Pinault suite : Honneur et déshonneur de la critique d’art. Chapitre 1 (Amuse-bouches)

 

 

Le journal Le Monde a publié plusieurs articles signés par les fameux critiques d’art de la maison, au sujet de l’installation de ce qu’on appelle la “Bourse-Commerce – Pinault Collection”, et que j’appelle, la Bourse-Pinault, car il s’agit bien de la sienne. Attardons-nous sur le clavier somptueux des critiques du Le Monde, qui auront façonné couronnes de fleurs sur couronnes d’éloges autour de l’auguste chef du conquérant milliardaire. Et, comme toute belle histoire à un début, commençons par les origines de ces dithyrambes, avec les articles d’Harry Bellet et de Philippe Dagen, en date du 27 avril 2016. Ce sont des amuse-bouches, le plus gros viendra plus tard, mais ça prépare le terrain. Le sous-titre de cet entretien avec le grand homme, donne : “L’homme d’affaires détaille au “Monde” les contours du musée qu’il compte ouvrir fin 2018, à la Bourse de Commerce de Paris.” Première remarque : M. Pinault n’allait pas ouvrir un musée, mais quelque chose qui allait s’apparenter davantage à une galerie d’art. Essayez d’acheter un tableau au Musée d’Orsay, ce ne sera pas possible. En revanche, tentez votre chance à la Bourse-Pinault, et là, c’est tout fait loisible ; c’est prévu dans les statuts de l’établissement. La Bourse-Pinault est en effet bien déclarée comme « société commerciale », plus précisément une Société à Actions Simplifiées (S.A.S). Il s’agit donc d’une société commerciale privée, ce que ne sont ni un musée, ni une fondation, car une fondation a, dans ses statuts, un but non lucratif. Ce n’est pas le cas de la Bourse-Pinault (la BP, pour faire vite). Mais non seulement le premier sous-titre est erroné, quant à l’information donnée, mais aussi le second : “François Pinault a annoncé, mercredi 27 avril, l’implantation de sa fondation d’art contemporain à la Bourse de commerce de Paris. Pour Le Monde, l’homme d’affaires détaille les contours de ce nouveau musée, qui devrait ouvrir fin 2018.” (Pour ceux qui brûleraient de connaître le titre de ce très court entretien inquisiteur à souhait :  “François Pinault : “Un musée ne peut être un lieu où on se contente de montrer””). La BP n’est pas non plus une fondation. Je signale au passage, qu’en droit français, il est interdit d’utiliser ce terme s’il ne s’agit pas d’une réelle fondation (information transmise par J.M. Tobelem). Mais voyez !, en quelques lignes, on ne sait plus très bien de quoi on parle, cependant que les deux mots cités sont bien employés, et lus.

Première question de Bellet : « Pourquoi Paris ? Réponse du sieur  : — La maire de Paris, Anne Hidalgo, m’a proposé de m’intéresser à la Bourse de commerce, formidable bâtiment historique, au cœur de Paris, pour y installer ma collection. J’ai accepté cette proposition, et c’est avec joie que je m’engage dans ce projet ».

Tu m’étonnes que c’est avec joie ! On le serait à moins ! 5 000 € de loyer/mois payé par les visiteurs ! Bon, il a bien fallu claquer 150 M€ pour les travaux, et payer 15 M€ sur deux ans, mais bon, il faut savoir, parfois, faire des sacrifices…

Bellet : « Un lieu de plus, mais pour quoi faire ? —  Un nouvel espace pour y présenter ma collection dont tout le monde connaît l’importance, mais aussi pour y susciter de nombreuses occasions pour les artistes d’aujourd’hui de créer des œuvres et de faire le point sur leur travail. Je crois beaucoup à la force du compagnonnage entre un grand musée d’art contemporain et les artistes vivants. Un musée ne peut être un lieu où on se contente de montrer. […] J’ajouterai que ce musée doit être tout particulièrement ouvert à toutes les formes d’interdisciplinarité et qu’on doit y apporter un soin tout particulier au travail de médiation, de façon à permettre à la création de notre temps de devenir plus encore l’horizon de tous.»

Pinault ne doute pas de sa collection, c’est du sérieux, du lourd. Il adore Jeff Koons, dont il est collectionneur. C’est dire si son goût est assuré ! On notera qu’à trois reprises, le sieur Pinault emploie le terme de « musée » concernant ce qu’il compte installer dans la Bourse de Paris. C’est étrange, car il sait pertinemment qu’il ne va pas ouvrir un musée. Pourquoi a-t-il recours à ce terme erroné ? Ne sait-il pas, là encore, qu’un musée a aussi, dans ses statuts, une visée non-lucrative ? Ou bien faut-il voir là une bonne vieille rouerie commerciale — M. Pinault n’est pas un débutant —, consistant à faire acheter ceci pour cela ? Vous voyez ? Puisque je vous dis que c’est un musée, même si ce n’en est pas un ! Le lecteur aura-t-il été, déjà, vérifié, la différence entre fondation et musée ?

Bellet : « Qui dirigera le lieu ? — Je présiderai personnellement ce musée. C’est pour moi un engagement passionné. Par ailleurs, un conseil d’orientation qui définira les grandes orientations culturelles de l’établissement sera créé. J’en confierai la présidence à Jean-Jacques Aillagon.»

Aillagon, remercié pour ses bons services, car, on le sait, il n’est pas pour rien dans la croissance de la fortune de M. Pinault, lui qui l’avait aidé, de manière tout à fait désintéressée, à exposer Koons au Château de Versailles, quand il le dirigeait. Les milliardaires ont du cœur, ils savent se montrer reconnaissants.


Dans le même journal, le 27 avril 2016, Le Monde publiait un article de Philippe Dagen, titré “La Fondation Pinault, un joli coup pour la Ville de Paris”. J’avoue que je me demande encore pourquoi il s’agit ici d’un “joli coup pour la ville de Paris”… Mais nous allons vite être éclairés.

Premières phrases :« La Mairie de Paris est-elle désormais un acteur majeur de l’art contemporain ? En 2014, la Fondation Louis Vuitton est inaugurée dans un bâtiment construit sur un terrain du domaine public municipal et une convention d’occupation de cinquante-cinq ans est signée entre la Ville et la Fondation. Tout est fait alors pour souligner le rôle du maire de l’époque, Bertrand Delanoë. Aujourd’hui, Anne Hidalgo conclut un partenariat avec François Pinault auquel une concession de cinquante ans accorde la jouissance de la Bourse de commerce. On ne peut que faire le parallèle entre les deux opérations ; et observer que la Mairie de Paris s’est engagée dans des partenariats à long terme avec les deux principaux collectionneurs français et leurs groupes.»

Ici, Dagen se garde bien de dire que le budget initial de la Fondation Louis Vuitton était de « 100 M€ HT, [et que le] coût du bâtiment TTC s’est finalement établi à 790 M€ » (Cour des Comptes, rapport, novembre 2018). La Mairie de Paris a signé pour 100 M€ et elle se retrouve, x années plus tard, avec un budget qui avoisine les 800 M€. Qui a payé le différentiel ? Le magasine Capital nous l’indique : « Grâce à sa fondation, LVMH a pu user (légalement) de la législation. La loi Aillagon, en vigueur depuis 2003, permet pour les entreprises, via le mécénat, d’obtenir des réductions de l’impôt sur les sociétés. Selon la Cour des comptes, la Fondation a bénéficié de “518,1 millions d’euros pour les onze premiers exercices, soit 47,1 millions d’euros par an en moyenne” ». Il n’est pas étonnant que l’on retrouve M. Aillagon (encore lui !) dans les organigrammes de Vuitton et Pinault ! Maintenant, vous vous demandez : Mais qui donc a payé les 518,1 M€, au titre de la loi Aillagon (béni soit-il !)? Le contribuable parisien ! N’est-ce pas merveilleux, que le simple contribuable vienne en aide à l’une des plus grosses fortunes du monde ? Euh… Si c’est pour la culture… et si ça peut aider ce brave homme… Voilà peut-être le commencement de l’explication du titre dagénien : le “joli coup” ? Mais, sauf erreur, le “joli coup”, c’est Pinault qui l’a réalisé, pas la Mairie de Paris. Mais Dagen, dans son enthousiasme, à dû se tromper… Tout à coup, le voici solennel :

« Que  soit ainsi encore renforcé le statut de Paris “capitale des arts” mérite à peine d’être signalé, tant la tradition est longue. Plus remarquable est la montée en puissance de la municipalité dans le champ de l’art actuel. Elle y était active jusqu’alors essentiellement grâce au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (MAMVP), qui eut longtemps pour directrice Suzanne Pagé, aujourd’hui à la tête de la Fondation Louis Vuitton et que son actuel directeur, Fabrice Hergott, maintient au premier plan des musées parisiens. Désormais, elle peut se vanter de multiplier les lieux de prestige. Or qui est absent de ces accords ? L’autre puissance artistique, l’Etat [sic] et son ministère de la culture. Il n’a pas su ou pas voulu s’entendre avec ces autorités que sont les collectionneurs privés de rang international. Face au MAMVP, il y a le Palais de Tokyo, institution nationale. Désormais, à deux cents mètres du Centre Pompidou, il y aura la Bourse de commerce. Naturellement, l’hypothèse d’une quelconque rivalité serait déplacée.»

Rivalité ? Voyons ! Comme vous y allez ! Le budget du Centre Pompidou, en 2019, était de 2 M€… Celui du MAM est de 1,5 M€/an. Maintenant, à combien est estimée la collection du milliardaire Pinault ? Un milliard €. Quand la fortune de M. Pinault est, elle, évaluée à $55 Milliards, comment voulez-vous, décemment, parler de rivalité ? Non, c’est de bien autre chose dont il s’agit. Le terme exact serait certainement « écrasement ». En s’installant comme un monstrueux éléphant dans un magasin de porcelaine, avec des trompettes louangeuses pour ne pas entendre le prochain effet Dopler, le Lion de Venise vient ratatiner toute concurrence, toute rivalité, ce que vous voulez. Mais, n’est-ce pas merveilleux ? Ne faut-il pas remercier cette chère Mme Hidalgo, qui, décidément, a le sens du devoir pour aider les milliardaires en quête d’hébergement ? On rappellera, à toutes fins utiles, que Mme Hidalgo est encartée “socialiste”. Dans une République, on se serait attendu à ce que jamais aucune figure royale ne fût jamais réinstallée avec tambours et trompettes (et même sans). Il faut croire que, parfois, dans l’Histoire, des personnes, qui par ailleurs, détiennent un certain pouvoir, sacrent un Monarque, mais cette fois non par hérédité, ni pour son Esprit Éclairé, mais pour sa réussite dans le lucre. Décidément, nous vivons d’étranges temps.

 

PS. Qu’est-ce que c’est, un journaliste ? C’est quelqu’un qui rend compte, qui analyse objectivement (c’est rare), qui investigue (c’est encore plus rare, et, dans de nombreux journaux, la pratique, tout simplement, n’existe pas ; c’est plus simple, et ça fait moins de boulot). Ainsi, et pour revenir au Monde des courtisans, ici, il faut croire que Bellet a été ébloui par la puissance du Condottiere et son habile communication ; car que pouvons-nous lire durant la conférence de presse du Maître vénitien, le 27 avril 2016 (tiens ! comme par hasard !), en projection et au pupitre ? Musée. Si c’est écrit, c’est que c’est vrai.

à suivre…

Léon Mychkine


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