Claude Guibert entretien

Claude Guibert est le commissaire (vivement que quelqu’un trouve une nouvelle appellation !) d’exposition en cours de Gérard Fromanger, ‘Annoncez la couleur !’ (jusqu’au 12 mai), au Musée Saint-Roch d’Issoudun. Il me propose une petite visite privée afin de présenter la scénographie.

Claude Guibert : L’argument de l’exposition, c’est la relation entre l’œuvre de Fromanger sur 50 ans et Louis Ducos du Hauron, inventeur de la photo-couleur en trichromie, partant des études d’abord de Newton — la décomposition de la lumière—, et puis de Maxwell, la trichromie, qui permet, à partir de trois primaires, de reconstituer toutes les couleurs du spectre. À partir des études théoriques de Maxwell, Louis Ducos du Hauron, a inventé, pratiquement, la photo-couleur en trichromie.

Léon Mychkine : Mais, pardonnez-moi, mais pourquoi « trois couleurs » ?

CG : Parce que Maxwell avait découvert qu’à partir des trois primaires de la lumière, c’est-à-dire « rouge-vert-bleu », selon les dosages, on pouvait reconstituer toutes les couleurs du spectre. Et donc, à partir de cette découverte scientifique, le praticien Ducos du Hauron a inventé, après mult recherches, avec des insuccès, la photo-couleur en trichromie à partir de trois filtres : rougevertbleu, et puis ensuite, il a pu le faire avec la trichromie du peintre; parce que la trichromie du peintre, c’est jaune-bleu-rouge, vous comprenez ? Fromanger ne connaissait pas Ducos du Hauron, mais il a travaillé toute la quadrichromie, c’est-à-dire,

la trichromie + le noir,

de cette façon là. Et beaucoup de séries qui sont exposées là, sont lisibles de cette façon là. Et ça l’a intéressé, donc l’argument de l’exposition : “Annoncez la couleur !”, c’est ça.

LM : Et ce chercheur, Ducos du Hauron, il était intéressé lui-même par l’image ?

CG : Oui, il était même un peu peintre. Et puis il a inventé différents procédés, il s’est intéressé à l’image animée, il fait partie des pionniers de ceux que j’ai appelé “les conquérants de l’illusion” : j’avais une exposition qui s’appelait ainsi et pour laquelle j’avais demandé à dix peintres de rendre hommage à dix pionniers de l’image fixe et animée. Et j’avais demandé à Gérard s’il acceptait de rendre hommage à Ducos de Hauron. Et après cette exposition, m’est venue l’idée d’exposer personnellement Gérard Fromanger, que je connais depuis 45 ans.

LM : Et, du Hauron, quand fait-il ses premières photos-couleur ?

CG : Dans la ville d’Agen, vers 1877 (il est mort en 1920). Il y avait eu d’autre inventions de photo-couleur. Les Frères Lumière avaient inventé les “autochromes”, qui était un autre procédé; mais celui qui régit le système actuellement, quand vous regardez un vidéo-projecteur, vous avez rouge-vert-bleu, quand vous regardez à la loupe un écran de télévision, vous avez rouge-vert-bleu. L’imprimerie, c’est rouge-vert-bleu + le noir. Donc, la trichromie gère tous nos systèmes contemporains. Et donc Fromanger peut être lu à partir de ça. Si vous voulez, je vous en fais la démonstration avec quelques tableaux. Après les tableaux de 71, après ce passage de la déconstruction par la couleur, Fromanger va passer à la quadrichromie. C’est par série de cinq tableaux “Les Batailles”, noir, jaune, bleu, blanc, rouge.

Gérard Fromanger, série ‘Batailles’, 1995, huile sur toile, 130 x 97 cm. Photo Mychkine.
Gérard Fromanger, série ‘Batailles’, 1995, huile sur toile, 130 x 97 cm. Photo Mychkine.

Dans cette série des “Dérives”, qui sont plus récentes, eh bien vous voyez là aussi les primaires du peintre, qui sont dans le circuit; et là on est dans autre chose : Fromanger a subi et connu les Situationnistes, de Guy Debord, et la notion de la « Dérive », qui était propre à Debord, se retrouve en peinture, si vous voulez.

Gérard Fromanger, ‘Bastille-Dérive rouge-jaune-noir’, 2007, Série “Bastilles-Dérives”, acrylique sur toile, 200 x 300 cm. Photo Mychkine

 Et là vous avez ce tableau, ‘La vie d’artiste’, qui est un peu “hors-chronologie”, mais a un intérêt documentaire très important, c’est qu’il montre comment, Fromanger, après 68, après les événements où il était dans la rue, et aussi aux Beaux-Arts pour faire des affiches, comment on rentre dans l’atelier ? Il a fait revenir la rue dans l’atelier, avec la Série du Boulevard des Italiens. Il demande à un photographe de l’accompagner sur ce boulevard, de faire de faire des vues parfaitement anodines, et il va projeter sur la toile, et c’est là que commence, comme d’autres peintres de la figuration narrative l’on fait — Rancillac, Monory, Télémaque, etc. —, c’est là que se passe ce que Deleuze appelle ce moment du passage de la photographie à la peinture. Et c’est ce moment là qui devient décisif dans ce qui sera l’œuvre en permanence de Fromanger.

LM : D’accord. Il est extraordinaire ce tableau

Gérard Fromanger, ‘La vie d’artiste’, 1975-1977, série “Hommage à François Topino-Lebrun’, digigraphie, 200 x 300 cm. Photo Mychkine.

Gérard Fromanger, ‘La vie d’artiste’, 1975-1977, [détail] série “Hommage à François Topino-Lebrun’, digigraphie, 200 x 300 cm. Photo Mychkine.
CG : Il est très intéressant. Il a un intérêt en tant que tableau, et en tant que document.

LM : Absolument.

CG : Dans les séries les plus récentes, comme par exemple “Le cœur fait ce qu’il veut”. Fromanger a eu un gros problème cardiaque. Et les professeurs regardent les graphiques, les radios, et Fromanger demande à un infirmier ce qu’il en est, et l’infirmer lui répond : « Vous savez, le cœur fait ce qu’il veut ». Et donc “Le cœur fait ce qu’il veut” se décompose en deux parties : les ‘Cardiogrammes’, et les ‘Peintures-mondes’. Les cardiogrammes, c’est l’intranquillité intime, si on peut dire, de l’artiste, mais en même temps, c’est aussi la fragilité et l’intranquillité sismique de l’homme sur sa planète.

Gérard Fromanger, ‘Cardiogramme-Peinture Blanc de Titane’, 2014, série “Le cœur fait ce qu’il veut”, acrylique sur toile, 200 x 300 cm. Photo Mychkine

Et l’autre volet, les ‘Peintures mondes”, eh bien ce sont ces terres un peu de toutes les couleurs. Et comme dit Gérard : « Je ne suis pas devant le monde, je suis dans le monde »

Gérard Fromanger, ‘Peinture-monde, bleu outremer clair’, 2015, série “Le cœur fait ce qu’il veut”, acrylique sur toile, 200 x 300 cm. Photo Mychkine

LM : Oui, bien sûr

CG : Et il regarde le monde tel qu’il est devant lui, y compris avec ces migrants qui traversent la Mediterranée. La toile “Sens dessus dessous” vient d’une autre série, dont nous avons la chance d’avoir celle-ci, car nous n’en avons plus d’autre, de cette série.

Gérard Fromanger, ‘Carbon noir’, 2017, série “Sens dessus dessous”, acrylique sur toile, 200 x 300 cm. Photo Mychkine

LM : Bien, merci beaucoup.