Ren Hang 任航 était un photographe né à Nong’an (nord-est de la Chine) le 30 mars 1987. Il s’est suicidé le 23 février 2017, à l’âge de 29 ans. Les autorités chinoises, est-ce étonnant ?, n’appréciaient pas du tout ses images et l’ont donc censuré plusieurs fois. Il est dit que Hang était dépressif, et le suicide, pour un dépressif, c’est toujours une option, il faut bien le savoir, car un “vrai” dépressif, pas celui qui “fait” une dépression de saison (ponctuelle, etc., quatre mois et je fais un livre… suivez l’indice), à “envie”, chaque jour, d’en finir, voire plusieurs fois par jour lui vient cette “envie”. À dire vrai, le terme « envie » n’est pas approprié, il s’agit d’une pulsion fortissime, qu’il ne faut pas associer à la “fameuse” « pulsion de mort », car même les non-dépressifs sont concernés par la pulsion de mort, pulsion qui ne les conduit jamais au suicide, car, encore une fois, ce n’est pas la même chose).
Ce qui frappe, en regardant ses photographies, c’est l’extraordinaire “popitude” de leur éclat. Je veux dire, s’il y a eu un artiste Pop Art, c’est lui ! Regardez ces images (ici) !, elles sont pop, pétillantes, super fraîches. Hang avait le chic pour mettre les corps-nus dans des positions tout à fait inattendues, à l’encontre des clichés occidentaux, et des attentes concernant la nudité genrée. En effet, Hang n’érotise pas davantage le corps féminin, comme on s’y attend tellement via le regard occidental (le fameux “male gaze”, comme s’il n’était, d’ailleurs, qu’occidental, tandis qu’il y a fort à parier qu’il est universel, period!), que le corps masculin. Et puis, il faut bien le dire, ce ne sont pas les mêmes corps ; le corps asiate est différent, et Hang se fichait bien de chercher des modèles féminins à la Kardashian ou masculins façon Brad Pitt version “Fight Club” ; à un point tel que, parfois, on ne sait pas très bien de quel sexe est le corps que nous voyons, car en fait, cela importe peu. Mais Hang ne masquait pas pour autant systématiquement l’“identité” sexuelle, tout dépendait de la mise en scène qu’il avait en tête, car bien entendu qu’il y a des prises de vue sexualisées, cependant jamais vulgaires, quoique parfois crues, ce qui n’est pas la même chose.

Tout usager de la langue française connaît l’expression « cul par dessus tête » ; qui signifie “se retrouver à l’envers, en désordre”, mais là, en l’occurrence, l’expression est très appropriée. Évidemment, on remarque la colombe naturalisée à cheval sur les deux fesses. Symbole de paix, et de pet… C’est selon. On remarque aussi que la différence d’incurvation entre postérieur et cou n’est qu’une affaire de dégré, et qu’à vrai dire, sans tête, on peut tout à fait avoir à l’esprit des expressions du type « ressembler à un », « avoir la tête dans le », « laid comme un », etc. Or, à vrai dire, où se trouverait donc la laideur, à moins de convoquer cette autre fameuse expression des « parties honteuses ». Rappelons que des milliers de peuplades continuent de se promener cul nu, sein à l’air ainsi que le sexe, et que cela semble tout à fait normal. Il aura fallu quelque siècles de catholicisme intégriste pour finir par trouver cela absolument indécent, obscène, pour aboutir aux fameux régalien « attentat à la pudeur ». Ainsi, et vite vu, on pourrait se demander, à voir cette image : « Où se trouvent bas et haut ? »

On le constate aussi, il y avait, chez Hang, de l’humour. Comme dans cette scène. À première vue, il s’agit d’une scène de sexe (grenouilles de béniter et prudes diront « pornographique », tandis que cela ne l’est pas du tout). Supposé préliminaire à une scène de genre, sauf que la jeune femme n’a pas l’air, c’est le moins que l’on puisse dire, « d’être dans son assiette ». L’honnête homme, en ce cas, bien évidemment, passera son chemin (si l’on peut dire). La jeune femme à la plante des pieds quelque peu douteuse ; on supposera qu’elle a arpenté les lieux un certain temps, avant de finir par tomber tête la première dans son hâvre.

La position des corps, façon très souple en quinconce, ne peut pas vraiment être sexualisée, la vision en devient plutôt comique. En témoigne la dernière image, par ordre d’apparition, qui est tellement fragmentée, que l’on pourrait s’interroger sur son intégrité. (Vous aurez noté qu’il peut y avoir plus d’une image dans une image.) Ici, je dirais que Han photographie dans une veine pop qui pourrait être qualifée de “bonbon”. Le corps façon bonbon ; souple, aimable, souriant, sucré. Il faut y insister ; les positions demandées par Han sont souvent désexualisées, voire totalement improbables ; et c’est ce qui en fait la grande originalité. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a jamais sexualisation. La photo suivante est certainement l’une de ses plus célèbres, le “body landscape” 身體景觀 :

Il y a, ici, trouvé-je, quelque chose d’à la fois sublime et comique. Et puis, tout de même, rien que cette idée, de faire allonger des corps pour en obtenir un paysage de dunes douces… C’est très poétique. Des fesses 臀部 à l’infini. Et ce jeune photographe, suicidé, mort si tôt, pendant que des ordures vivent nonagénaires… Oui, on le sait, le Monde est injuste. Mais allons plutôt nous promener sur les payages hangiens ; enfonçons-nous un tantinet dans ces chairs de dunes, qui restent solidaires, pas comme le sable collant. Sentons-les vibrer sous nos pas et communions avec leurs jeunes vies sous le bleu ciel 蔚蓝. Merveilleuse promenade !
(La version inverse — corps sur le dos — existe, mais elle est moins poétique, moins rythmique.)
Une portion congrue vire à l’étrange, comme ici

C’est tout bête, mais cela fait son effet. Comme souvent chez Hang, il y a ce mixte entre étrangeté et comicité. Faut-il expliciter ce que le regard peut comprendre tout seul ?
Nous pourrions examiner encore nombre d’images hangiennes, mais il faut savoir terminer, sous peine de redite, d’inanité sémantique, ce dont nous nous gardons du mieux que nous pouvons.
Paix à ton âme Ren 靈魂安息 任