
Un jour, on dira que le Mouvement Surréaliste aura été le dernier grand mouvement artistique Mondial ; pas seulement français comme le croient beaucoup, c’est-à-dire que le Surréalisme, néologisme forgé par notre cher Guillaume Apollinaire, a essaimé depuis l’Espagne, le Royaume-Uni, en passant par les Pays-Bas jusqu’au Japon ! Ainsi, l’exposition surréaliste de 1938 présentait 60 artistes venus de 14 pays. Sauf erreur, plus aucun mouvement artistique, intellectuel (dans le sens de l’époque, et pas d’aujourd’hui car obsolète), littéraire, poétique, révolutionnaire (l’Amour et la Beauté sauveront le monde…), philosophique de bazar mais de bonne foi, n’a plus jamais existé, ni montré le moindre bout de nez. Aussi il n’est pas étonnant qu’une petite plongée dans sa vaste piscine de type “Béthesda mirobolante” nous soigne, par miracle momentané, de la désespérance toujours plus exacerbée d’un monde merveilleux dont décidément de nombreux salopards sont indignes, le rendant donc condamné à disparaître. Ordoncques, pendant que nous sommes vivants, il ne sera pas dit que nous lâchons l’affaire. Et tout cela à partir d’une impulsion scopique depuis notre bon Victor Brauner, maître surréaliste, né en Roumanie (1903-1966). Brauner est mort un an avant ma naissance. C’est un signe. Il fallait qu’un jour je pensasse à lui ! Voilà qui se fait. Avec, parmi son œuvre nombreuse et protéiforme, ce dessin, “Anatomie du désir”.
À-propos de ce qui est donc (“Anatomie du désir”) une série, l’éminent Serge Fauchereau (1999) écrit :
C’est une rêverie sado-masochiste délirante sur le corps féminin; un texte en prose correspond à chaque planche.
N’en déplaise à Monsieur Fauchereau, il me semble hasardeux et facile de parler de sado-masochisme (en plus Sacher-Masoch n’avait pas du tout apprécié que le clinicien « Krafft-Ebing se serve de son nom pour désigner une perversion », comme l’écrit G. Deleuze. Et c‘est réducteur, car cela range l’épisode collectif surréaliste dans une vision clinique, psychique, tandis que, vous allez le lire, le poème éponyme à la série de dessins est juste fantastique, cruel, monstrueux, etc. Mais il ne me semble pas que l’on puisse le synthétiser avec deux adjectifs, pardon !, j’oubliais « délirant », qui est encore un adjectif clinique.

Nous retrouvons notre figure aux pieds unis (maintenant “ver luisant”) dans cette peinture :

C’est surréaliste. Vous avez remarqué, aujourd’hui, pour décrire une situation ubuesque, absurde, incompréhensible, on dit : « C’est surréaliste !» Et bien souvent, les uttérants ne savent pas même ce qu’ils convoquent ! Pour preuve, il n’y a jamais aucune liaison, aucun rapport possible, entre ce qui les offusque et la réalité du Surréalisme. Mais nous sommes en France ! j’oubliais…
Le ver luisant aspire la créature féminine. Il fait plus que l’illuminer de son rayon, parce que le corps se déforme plutôt méchamment, n’est-ce pas ?

Une seconde, je vous évite un torticolis (ma bonté me perdra) :

Je ne pense pas que Brauner avait l’information, mais on pense à une étoile aspirée par un trou noir. À savoir : Quand une étoile passe (trop) près d’un trou noir (“black hole”), elle est attirée inexorablement, et, avant de disparaître en son sein, littéralement, elle se déforme, s’aplatit comme un crêpe, avant d’être littéralement avalée et de libérer un « phénomène super lumineux ».
Une source de lumière ponctuelle et extraordinairement intense détectée au sein d’une lointaine galaxie et baptisée ASASSN-15lh fut récemment assimilée à la plus brillante des supernovae détectées à ce jour. (12.12.2016, The European Southern Observatory, ESO).
Avouez que, dénommer une supernova “Assassin” (phonétiquement, nous y sommes !), cela eut comblé de plaisir nos Surréalistes ! Ajoutons tout de même (un peu de respect et d’échelle des valeurs), que la luminosité exceptionnelle d’ASASSN-15lh fut équivalente à 570 milliards de fois celle du soleil ! La science nous donne ce chiffre très précis. Mais qu’est-ce que cela donne, concrètement, de briller 570 milliards de fois de plus que le soleil ? Seul le détecteur en eut une idée… Revenons à Victor. Mais nous ne l’avions pas quitté — il brille dans la Constellation de Breton/Soupault XDS 234l. Comme chez d’autres peintres surréalistes, tels Ernst, Tanguy, Dali, il y a une organicité des motifs et des textures chez Brauner. Comme ici :

D’où sort donc ce corps ? De cette espèce de siège (de) chair ? Ou bien est-ce un meuble, car n’est-ce pas un verre que nous voyons ?

Meuble organique, au sens littéral, avec organes. Next!

Héron d’Alexandrie vécut au Ier siècle après notre Seigneur ; il fut mathématicien, ingénieur, et mécanicien. Brauner devait savoir qu’Héron avait créé des automates hydrauliques, et qu’il étudia le phénomène de la vapeur et de l’air comprimé. Dans son ouvrage Pneumatica, il présente des machines utilisant l’air, la vapeur ou l’eau ; et dans Automata il décrit des machineries scéniques conçues pour le théâtre à base de poids et contrepoids. On lui doit L’“éolipyle”, une invention qui démontre la force motrice de la vapeur. Mais cette recherchera restera sans suite. Il inventa aussi une “machine à sous”, soit une coupelle avec une boîte à monnaie où les fidèles jetaient une pièce afin d’obtenir automatiquement de l’eau bénite. Et plein d’autres choses (ici).
Dans notre image de tableau, il se passe quelque chose en ce qui concerne la transsubstantiation des matières. Mais dans quel sens ? On peut supputer que le mécanisme passe de gauche à droite, non ? Mais est-ce si sûr ? On distingue dans la forme anthrope un visage naissant. Alors, serait-ce la personne formée qui “informerait” la forme de gauche ?

Ou bien serait-ce sur le vif l’autoportrait de l’artiste ?

Note. ASASSN est l’acronyme de All Sky Automated Survey for SuperNovae. “ASASSN-15lh” est une supernova superlumineuse, dont la magnitude absolue est d’environ -22 dans la bande spectracle visible, et située aux confins des constellations australes du Toucan et du Paon. (Si c’est pas surréaliste !)
