« Le nez regarda le major en fronçant les sourcils ».
Anya Belyat-Giunta. Anya Belyat-Giunta. Anya Belyat-Giunta. C’est un mantra. Entendez l’enchaînement des voyelles… A Y A E Y A I U A. Il ne manque que l’O. L’O est dans l’Œuvre. Comme l’e dans l’eau. Voyez ce dessin (Loucheurs #9) : “Super bizarre” (j’ai déjà utilisé cette expression dans la Partie 1). Ce qui est ; ce qui manque (un fond — en partie haute — un peu négligé tout de même. Il faudrait interroger cela, à l’occasion). Anya Belyat-Giunta est née en 1975 à Saint-Pétersbourg, ville décrite par un certain Nicolaï Gogol, dans laquelle un homme, se réveillant, réalise, en se regardant dans le miroir, que son nez l’a quitté. (Le lecteur aura saisi à l’instant d’où provient la citation d’en-tête !). Saint Pétersbourg-Anya Belyat-Giunta-nez-Gogol. Trop simple ? Peut-être. Je l’ai déjà écrit, il est des artistes qui font monde, tout de suite. Il n’y a pas à tortiller. Il y a quelque chose. Et il suffit de “quelque chose” pour faire monde.
Façons de procéder. On ne sait pas très bien si les coups de gomme servent à effacer à ou à tracer ; ici une chevelure, et là une barrière (?), ce qui, reconnaissons-le, procède d’une manière étonnante d’utiliser la gomme, faite pour… gommer, n’est-ce pas ? Mais ici la gomme est utilisée comme un pinceau, et un crayon. Regardez ces mains en bas à gauche, qui semblent emprisonnées dans cette barrière. Et, tout en bas, sont-ce d’autres doigts noirs montants ? À qui sont-ils ? D’où viennent-ils ?
Et ce visage tourné vers l’Est, qui a l’air très inquiet mais, tout aussi, inquiétant. Il y a aussi quelque chose de l’ordre du touchant chez Belyat-Giunta ; les choses semblent vouloir se rejoindre, mais on ne sait pas si, dans cette volonté, il n’y aurait là un rien de menaçant ; comme justement ces doigts noirs montants. Mais cette figure humaine elle-même, combien a-t-elle de mains ? Mais, si ce visage semble humain, que dire de ce qui semble son corps ? Une centauresse ? Mais s’agit-il même d’un visage féminin ? (Je penche pour l’affirmative).
Ce que j’aime bien, avec les dessins de Belyat-Giunta, c’est que l’on peut difficilement éviter de se poser la question : « Que s’est-il passé ? » Il se passe toujours et il s’est toujours passé quelque chose dans un dessin d’ABG (je n’ai pas vérifié statistiquement, et suis incapable de produire une statistique d’ailleurs, mais pour l’instant, ce que j’ai vu me le confirme). Regardez ce gros-plan ; l’inquiétude. Et que dire de cette marque rouge sang ? Recouvrement ? Mutilation ? Sur le côté gauche, se risquerait-on à supputer la présence de points de sutures, ou d’agrafes ? Ce visage cache-t-il un trou béant ? En tout cas, rien que ce plan rapproché, comme aurait déclaré Jacques-Louis David : C’est beau comme l’Antique ! Entendons-nous bien sur le terme “antique” : non pas quelque chose de grec ou romain, mais bien plutôt relatif à l’ancestral, à ce qui hante ; avec, tout de même, ici, quelque chose de la Renaissance ; et je pense à certain artiste, en particulier, et n’en dirai pas plus. Si, une dernière chose (deux). On notera le format du dessin, à peine celui d’une feuille A4, et, surtout, l’économie de moyens, économie qui, bien entendu, est inversement proportionnelle à l’effet produit !
Léon Mychkine
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