Appel pour une “Fédération des Artistes”, ou la Théorie des Étourneaux

C’est en discutant de sujets divers avec une amie artiste que m’est venue l’idée que je vais vous soumettre, à vous, amies et amis artistes. Attention ! Avant de lire cet Appel, je vous préviens que : je ne suis pas omniscient, je ne connais pas toutes les ficelles du “Marché”, ni tous les tenants et aboutissants ; bref, je ne suis pas un spécialiste. Cependant, pour en avoir parlé avec quelques artistes, je pense que cette idée est bonne, non pas parce que c’est moi qui l’ai énoncée, mais parce qu’elle fait écho, et qu’elle me semble juste, et, pour tout dire : vitale. Une dernière chose. Si vous trouvez cette idée sans intérêt, ridicule, sachez que je ne me lancerai dans aucune polémique à son sujet, je ne suis pas en train de lancer un parti politique dans lequel c’est moi le chef… Je ne suis le chef de rien du tout. En revanche, je relaierai toutes les idées ; et, à ce moment, nous pourrons employer la première personne du pluriel (et pas le « on »).

En proposant cette idée d’une Fédération, j’espère bien que certaines et certains artistes seront intéressés par ce projet, et j’attends avec impatience vos idées adjacentes. Dès lors que je recevrai des réponses, des suggestions, alors nous pourrons commencer de nous organiser. Rien de ce qui va suivre ici n’est écrit dans le marbre, mais l’idée principielle, à mon humble avis, est fondamentale : Il faut vous unir.                                                                        

D’après ce que je comprends de la situation artistique en France, on peut dire

1) que la majorité des artistes sont dans une sorte de précarité générale, qui nuit à leur travail, partant, à leur œuvre (il faut travailler beaucoup pour œuvrer). Certains et certaines s’en sortent par eux-mêmes, en remuant chaque jour et chaque heure, ciel et terre. Ils et elles sont entrepreneurs de leur art H24. Bien, tant mieux pour eux. D’autres n’y arrivent pas bien, à réunir toutes les compétences qu’il faut pour devenir, en quelque sorte, un artiste-entrepreneur. Ce n’était pas prévu. Un détail, parmi d’autres : Il vous faut, de plus en plus, écrire, et écrire, et, à la base, ce n’est pas votre métier, d’écrire, et vous n’avez pas toujours l’aide suffisante pour cette demande exogène.

2) La majorité des artistes espère, dans une sorte d’aquarium géant, que l’on vienne les saisir, les mettre en lumière quelques temps dans une galerie, ou autrement, et pour ensuite les remettre dans leur élément naturel, l’Océan de l’Attente. Cette situation est assez insupportable, humiliante, stressante, et elle engendre, bien entendu, des rivalités, des jalousies, et, chez certains, des espèces de “plis” qui les transforment en aigrefins, en VRP d’un art fait avant tout pour plaire, mais qui, du coup, ne ressemble plus du tout, éthiquement, à ce que devrait être l’art (vous ne vendez pas des savonnettes…).

3) Le point archimédique, c’est l’argent. Il faut vendre. C’est bien normal. Comment fixer le prix d’une œuvre ? Il y a deux solutions. Soit c’est une salle des ventes réputée et spécialisée qui l’établit, soit c’est vous-même. Une fois fait, il vous reste à négocier tous les autres processus, qui ne sont pas toujours gagnants, n’est-ce pas ?

4) La solitude de l’artiste est très lourde à porter, très difficile. De plus, cette solitude ne peut que favoriser le “Marché” et tous ses acteurs. Comment résister à la moindre pression, comment ne pas céder aux compromis, comment refuser une exposition avec d’autres œuvres qui vous desservent ? Etcétéra.

5) Je propose que les artistes se fédèrent, s’associent, toutes et tous, du moins, ceux et celles qui le désirent. Imaginez une seule seconde une Fédération (on peut changer le nom, peu importe) d’artistes, comme les Guildes du Moyen-Âge.

6) Les artistes contemporains sont assez grands pour évaluer entre eux combien peut coûter une œuvre d’art ; ils n’ont pas besoin des salles des ventes ni des milliardaires pour le savoir. Ainsi, je vous propose d’établir une Nouvelle Grille du Point. Vous fixez vos prix, qui sont incontestables, car ils sont référés dans la Nouvelle Grille du Point, établie et validée par les artistes eux-mêmes. Elle devient une grille de référence (imaginez les conséquences positives).

7) Vous vous entraidez toutes et tous, car vous avez tout à y gagner. Vous vous exposez vous-même, et encaissez la majeure partie des bénéfices. Imaginez cette Fédération. Vous êtes puissants. Il va falloir compter avec vous.

Revenez au réel. Êtes-vous puissant ? Pouvez-vous, à tout coup, imposer vos conditions (légitimes) ? Pouvez-vous exposer quand vous le désirez, quand vous vous sentez prêt ?

Cette Fédération, vous l’avez compris, est indépendante, inféodée à personne, à aucun intérêt particulier. Tout artiste désirant en faire partie candidate, et passe par un processus clair et démocratique de sélection, car il faut aussi, tout de même, être cohérent : Un grand nombre d’œuvres d’art sont très mauvaises. Pour être crédible, la Fédération doit, majoritairement, proposer de l’art de qualité. Nulle tentation élitiste ici, demandez-vous si vous avez toujours rêvé d’être un artiste nul… Et pourtant, vous savez bien que cela existe, les exemples ne manquent pas. J’entends déjà votre question : Qui va choisir de la qualité d’une œuvre ? C’est collégial, et en réseau privé. Chaque membre du Collège donne son avis, qu’il soumet à cinq personnes hors Collège.

Si je comprends bien ce qui se passe en ce moment sur le “Marché”, l’ouverture de la Bourse Pinault va conditionner pour longtemps tout l’écosystème artistique : « Le François Pinault passionné d’art reste une personne privée, mais le patron du groupe de luxe Kering, pesant 32 milliards d’euro selon Challenges, est devenu, grâce à ses expositions de Venise, un collectionneur-prescripteur, et l’ouverture de la Bourse de commerce pourrait bien faire de lui le mètre-étalon du marché mondial des artistes vivants » (Alternatives Économiques). Si j’ai bien compris, la ville de Paris, a quasiment offert, pour des sommes dérisoires quand on est milliardaire, une galerie d’art somptueuse en plein Centre-ville de la Capitale, et rien que pour servir les propres intérêts de M. Pinault. S’il ne s’agit pas ici d’un scandale, je ne sais pas ce que c’est, ou bien, peut-être, n’ai-je rien compris…

Allons-nous, amies et amis artistes, laisser un milliardaire obsédé par la richesse (ils le sont tous), qui n’a aucun goût raffiné, s’occuper du destin de l’art contemporain, en France et dans le monde ? Dans le monde, je ne sais pas ce que nous pouvons faire ; mais, en France, il me semble que nous avons les moyens d’agir. On entend très souvent les artistes se plaindre du “système”. Certains se plaignent moins, d’autres trop, et d’autres encore tirent leur épingle du jeu, et se débrouillent très bien. Tant mieux pour eux. La Fédération, si elle existe en assez grand nombre, trouve des espaces d’exposition, dans lesquels la quasi totalité des sommes issues des ventes revient à l’artiste ; le reste servant à régler les modalités. (Il va falloir inventer des nouveaux modes d’exposition, en s’inspirant des “running space”).

Vous l’avez compris, tout cela est assez embryonnaire, mais, une chose me paraît absolument claire : Les artistes doivent s’unir, comme sont unis, par exemple, les Intermittents du Spectacle, qui luttent, et obtiennent et ont obtenu des résultats. Amis artistes : qui lutte pour vous ? Entendons-nous bien : je ne suis pas en train d’insinuer que personne ne fait jamais rien pour vous ! Je n’ignore pas les différentes instances qui vous aident sporadiquement, les galeristes qui vous exposent et vous rémunèrent (pas tous!), les résidences qui vous aident à créer, etc. Bien entendu. Mais, à la fin, vous vous retrouvez seul, et donc, vulnérable. Je vous propose de vous unir. Attention !, ce n’est pas moi qui vais vous unir, je ne suis pas mégalomane. Non, je vous propose de réfléchir à cette idée de Fédération, afin de devenir plus fort, plus solidaire, et plus indépendant.

Je terminerai par ce que j’appelle la Théorie des Étourneaux. Pourquoi l’étourneau sansonnet vole-t-il en essaim ? Pour effrayer les prédateurs. Vous ne verrez jamais un rapace s’attaquer à un essaim d’étourneaux, et vous ne verrez jamais un étourneau isolé. Dans l’état actuel des choses, la majeure partie d’entre vous, êtes bien des oiseaux isolés, soumis aux aléas. Maintenant, imaginez que vous adoptiez, tous et toutes ensemble, un mode d’existence-étourneau. Vous devenez essaim. Vous volez en groupe. Vous vous reposez dans des espaces dépourvus d’anxiété, parce que vous avez des perspectives. Vous êtes inattaquable.

PS. J’ai d’autres idées sur le fonctionnement de la Fédération, ainsi que sur son mode d’adhésion, par exemple, mais je vous propose déjà l’idée de base. En voici une autre : Rêvons deux secondes. La Fédération existe, elle compte des dizaines (des centaines !) d’adhérents. Elle est dirigée par un comité qui a signé une Charte Éthique. Les décisions sont collégiales et démocratiques, il n’y a pas de Chef… Il n’y pas d’intérêt personnel à servir, pas de manigance, tout est transparent. Chacun peut soumettre son adhésion à la Fédération, et il y a divers modes de participation offerts.

 

Léon Mychkine