Art (de peindre)

There is no really such thing as Art. There are only artists”. “… Art with a capital A has no existence”. E.H Gombrich

Cette phrase ouvre le livre The Story of Art, ouvrage qui commence par la Préhistoire. Je me suis laissé dire que si ce livre s’intitule ‘story’, c’est parce qu’au départ il s’adressait à un jeune public. D’où le mot ‘story’, et non pas ‘history’. Le mot ‘story’ accompagne bien plutôt les ouvrages de fiction que les ouvrages historiques. Mais, encore une fois, le choix de ce mot, ‘story’, est très intéressant quand on questionne la fiction relative à la mythologie propre à chaque artiste.

Il est assez évident que cette phrase ne peut s’appliquer, ou s’expliquer, qu’au cours du XIXe siècle. Pourquoi? Parce qu’il n’est pas sûr que la Préhistoire comptait une discipline telle que l’“art”. Ensuite, et surtout, l’Art avec une majuscule a bien existé et a prospéré durant des siècles, disons, à partir de l’Antiquité Grecque, et de nouveau à partir de la Renaissance (au Moyen-Âge les artistes sont des “artisans”). Donc, si l’on pense à la Renaissance, c’est bien sûr l’Académie qui valide ce qui doit être accepté en tant qu’Art, même si les artistes jouent un rôle dans cette injonction qui n’est pas nécessairement passif (le passage du panneau de bois décoré au tableau comme motif principal, est le fait des peintres, et non de l’Académie, et changera pour toujours la prise d’indépendance de la peinture en tant que telle, — à ce sujet, voir le livre remarquable de H. Belting, Miroir du Monde. L’invention du tableau dans les Pays-Bas). Mais ce que signifient les deux phrases de Gombrich, c’est le moment de la désintégration de l’Art capital ; et ce moment n’arrive qu’à partir de la première partie du XIXe siècle, avec, par exemple, Turner. Prenez le tableau Snow StormSteam-Boat off a Harbour’s Mouth, de 1842. Nous y sommes, dans la désintégration. Désintégration du paysage commun (la mer, le ciel), et désintégration de la représentation : traits de pinceaux dynamiques et grossiers, passages sans nuances d’une forme à une autre: c’est le chaos. C’est de la peinture.

Joseph_Mallord_William_Turner_-_Snow_Storm_-_Steam-Boat_off_a_Harbour's_Mouth_-_WGA23178

La phrase “c’est de la peinture” peut sembler évidente, voire idiote. Mais dire “c’est de la peinture” signifie que la désintégration du paysage et de la représentation permet l’expression pleine et entière de la peinture. Donc, une fois passée l’épreuve de la double désintégration, nous passons à une révélation ; celle de la peinture. C’est-à-dire qu’à l’instar de la tempête, le réalisme passe par dessus bord ; car rien n’est réaliste dans cette mer de peinture. On distingue de grands traits de peinture, qui re-géométrisent un espace livré à la furie des éléments.

Snow Storm - Steam-Boat off a Harbour's Mouth exhibited 1842 Joseph Mallord William Turner 1775-1851 Accepted by the nation as part of the Turner Bequest 1856 http://www.tate.org.uk/art/work/N00530

Turner est le peintre qui, l’un des premiers, aura détruit l’Art de peindre, pour en produire un autre. Ce n’est plus un sujet peint, c’est la peinture-sujet.