Cécile Bart, ‘Silent show’ (CCCOD). Espace critique. Partie 3

Ne sont projetées sur les « peintures/écran » que des corps et des figures dansants. Pourquoi? Parce que, dit Bart, dans un film, « ce qui bouge le plus, ce sont les corps ». Soit. Mais l’artiste aurait pu tout aussi bien projeter des trains ou des voitures roulants, ou bien des avions volants, ou encore le vent dans les arbres, ou les vagues de l’océan… Mais elle a choisi de montrer des corps dansants. Pourquoi ? Probablement pour que nous puissions nous identifier et permettre ainsi une projection plus directe dans la peinture/écran. Le silence des extraits projetés renforce la possibilité d’identification, ou de communication avec les corps, car nous les interrogeons : Que font-ils, d’où ces images proviennent-elles ? Qui sont ces femmes indiennes et pour quelle occasion dansent-t-elle ? Et qui est cette femme qui fait des claquettes dans un endroit interlope ?

En pensant rétrospectivement aux pièces exposées de Bart au CCCOD, je me suis fait la réflexion que l’on pouvait peut-être faire le lien avec le premier ‘Combine’ tri-dimensionnel de Rauschenberg, et qui fut associé à un spectacle de danse chorégraphié par Merce Cunningham (Minutiae) et mis en musique par John Cage (“Music for Piano 1”) et dont la première fut donnée le 08 décembre 1954 sur la scène du Brooklyn Academy of Music. Les danseurs portaient des justaucorps dont les couleurs s’associaient à celles de Minutiae et l’historien d’art Charles Stuckey parle de « collages vivants ». Sans vouloir écraser Bart sous des références aussi illustres et tétanisantes, on peut émettre l’idée que là où Rauschenberg faisait sortir les couleurs de son installation afin qu’elles se dispersent, incarnées sur le corps des danseurs, Bart fait rentrer dans le tableau des corps dansants et ceux des spectateurs, par ombre portée. Mais, comme on la déjà dit, les projections débordent, dépassent le format, deviennent hors-cadre. Et c’est ce qui intéresse Bart.

Qu’est-ce que cela donne ? Pour s’en faire une idée, il faut bien écouter ce que nous dit Bart. Elle produit une interaction entre deux régimes de technè (production) artistiques : la peinture et le cinéma. Elle subvertit les deux genres parce qu’elle projette des images mouvantes sur des toiles fixes, et elle fait “déborder” les images : « l’image passe, elle reste sur l’écran, et elle va ailleurs […] sur les sols, sur les murs. Et c’est ça qui m’intéresse. » Pour saisir la portée de ce que propose Bart, il faut alors bien voir comment l’image se dé-porte, rebondit autrement dans l’espace en deça ou au-delà la toile. C’est-à-dire que si l’on ne se concentre que sur la « peinture/écran », si on limite sa vue au strict cadre du tableau, alors on rate quelque chose, qui concerne justement l’en deça ou l’au-delà du tableau. Ainsi et par exemple, le film passant à travers la peinture/écran se projetant sur les surfaces avoisinantes, murs ou sols, offre alors comme une image-fantôme du film qui était en quelque sorte vivant sur la toile. Ajoutez à cela les perturbations causées par les visiteurs passant derrière les peintures/écran, ce que Bart appelle des « rétro-projections », et on obtient un environnement à la frange chromatique dé-géométrisée, déviée, où la projection devient ombre active.

Si l’on se place alors du point de vue du projecteur lui-même, nous obtenons, depuis ce point de vue projectif, une perspective (image projetée + écran + plus spectateur + ombre portée des films + rétro-projections des corps par retour perceptif dans la peinture/écran). On a donc, là aussi, quelque part (comme on dit) une histoire de la peinture et du mouvement représenté.

Une question : Pourquoi ne voit-on que des extraits courts et donc répétitifs ? Je crois qu’une réponse peut être formulée ainsi : pour bien marquer l’empreinte. Si Bart laissait courir tout un film nous serions distraits par ce dernier ; or ce n’est pas le but. L’extrait fait retour et donc quelque chose, ici, insiste. C’est parce qu’il y a répétition qu’il y a questionnement.


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