C’est durant ma seconde visite (on ne peut pas tout digérer en une seule) au “Salon du dessin contemporain Drawing Now Art Fair”, sur le stand de la Galerie Lelong & Co, que j’ai “découvert” les œuvres de David Nash. J’ai été tout de suite assez frappé par leur simplicité et leur sorte d’évidence ; voire, une certaine forme de naïveté, bien que « naïveté » ne soit probablement pas le bon terme, à moins de le prendre dans le sens d’une certaine épure.
Dans un entretien sur le site Widewalls (ici), Nash explique que durant ses études à la Chelsea School of Art, il a découvert l’œuvre de Paul Cézanne :« sa géométrie et sa façon de la comprendre, comme une reconstruction, ont été très importantes pour moi. On m’a appris à dessiner de façon assez minimaliste, en utilisant des cônes et des cylindres. Le travail de Constantin Brancusi a également été fondamental pour moi, ainsi que le fait d’apprendre qu’il vivait en contact permanent avec ses œuvres. Cela m’a permis de prendre conscience que je voulais résider là où je travaillais. En même temps, j’apprécie beaucoup la peinture chinoise ancienne et la rapidité avec laquelle elle est exécutée. Mon tempérament me pousse à exécuter mes pièces rapidement. Car soit je sais où je veux aller, soit je me rends compte que je suis perdu et je commence simplement autre chose. J’ai donc beaucoup de pièces en cours…»
C’est bien ce qui vient à l’esprit ; pour certaines pièces, la rapidité d’exécution. Ainsi, “Red Tree” ↑ n’a pas dû être réalisé sur plusieurs semaines… Nash est aussi sculpteur, utilisant le bois, le feu, le bronze, et dans ce dessin on note comme une présence de cendre (arbre de feu ?). C’est très étonnant. On pourrait tout autant penser à une pile de saucisses. Mais je ne crois pas que c’était ce que Nash avait en tête. Tout est principalement rouge dans cet arbre, même ses énormes racines et son tronc. Que peint Nash ? Un arbre qu’il a envie de voir rouge (il en a peint plusieurs) ou bien le devenir-feu de cet arbre ? Il y a bien des oiseaux de feu chez Stravinsky pourquoi pas des arbres de feu chez Nash ? Ou bien ce rouge est directement de source chinoise, symbolisant la chance, le bonheur, et le feu. Comme encore ici :
L’automatique paréidolie patine… Arbre ? Feu ? Saison ? En tout cas, on note cette belle force équilibrée entre les incisifs rouges, oranges, dans un noir plutôt passif, ou peut-être structurant.
Je me demande s’il n’y aurait pas chez Nash, dans ce pastel notamment, une certaine inclination à l’informe. Je n’en dirai pas plus pour l’instant ; ce n’est qu’une impression.
Traduit, le titre donne : Colonne stridante. La paréidolie nous avait indiqué qu’il pouvait s’agir de bouches ouvertes ; mais pas nécessairement stridantes. Mais le titre confirme qu’il y a là comme des formes de bec (le verbe ”squawk” est utilisé tant pour les humains que les oiseaux). On suppose que cette colonne pourrait se poursuivre, comme la “colonne sans fin” de Brancusi se prolonge à partir d’un motif itératif, ce qui donnerait, chez Nash, une cacophonie monumentale, mais qui, on ne sait pourquoi, semble non pas vindicative mais plutôt comique, car ces becs ont de sympathiques ouvertures.
Il y a décidément quelque chose de simple, chez Nash, et, j’ajouterais, d’élégant. Dire « simple » ne veut pas, encore une fois, dire simpliste, car, on le sait, pour arriver à l’épure, à sa simplicité, il faut beaucoup de temps, et de travail. Ce dont témoignent la plupart des œuvres de Nash, notamment ce “Castle”, “Château”, qui n’a de château que le nom. Dans son travail de sculpteur l’artiste s’est mis un jour à avoir recours au feu. Dans l’interview Widewalls (indiquée plus haut), on lui fait remarquer que ses
« méthodes peuvent être perçues comme menant à des gestes quasi-primitifs. Est-ce intentionnel de votre part ? Réponse de Nash : — C’était surtout le cas de mes pièces en bois brûlé, parce que je voulais revenir à l’essentiel ou revenir aux quatre éléments. Le bois conduit à l’idée de l’arbre, dont la force provient des minéraux du sol et de l’oxygène de l’air, tandis que le feu évoque la lumière et la chaleur. Par une association d’idées, la force tellurique de l’arbre est présente… Le bois brûlé est à la fois effrayant et attirant. Il dirige l’expérience du spectateur vers d’autres surfaces plus profondes, plus organiques. Lorsque je brûle quelque chose, sa taille change, mais aussi sa distance, ainsi que sa temporalité, car nous ne savons plus s’il s’agit d’une pièce ancienne ou récente. Les critiques ont parfois mentionné le mot “vérité” à propos de mon travail, et je pense que c’est lié au fait qu’il est basé sur des matériaux et des outils simples. On peut sentir si quelque chose est inventé ou trop sophistiqué. Mais je n’invente rien et j’aime à penser que je “trouve” simplement les choses. Richard Long a également déclaré que les carrés, les triangles et les cercles sont des formes universelles qui n’ont pas été composées et qui n’appartiennent donc à personne. Personne ne peut les revendiquer, et j’admire cette idée.»
Je prie le lecteur de croire, comme cela m’arrive de temps en temps, que je ne m’attendais pas à trouver le mot « simplicité » dans la bouche de Nash. Encore une fois donc, grâces soient rendues aux muses de la sérendipité ! Ceci dit, deux mots sur cet extrait. Il est assez maladroit de qualifier les méthodes de Nash comme “primitives” ; il ne s’agit là aucunement d’œuvres d’art qui, comme chez certains, tendent à reproduire un geste primitif (comme on en trouve chez certains pseudo-décoloniaux ou pseudo néo-chamanes…). Parce que, disons-le, les œuvres de Nash sont sophistiquées ; mais elles le sont parce qu’elles sont simples. La plupart des créateurs savent que pour parvenir à la simplicité, l’élégance, il faut en passer par beaucoup de temps et d’épreuves ; ceux qui séjournent trop longtemps dans la complexité finissent souvent dans le baroque, ou le kitsch. Ceci dit, quand Nash dit qu’il n’invente rien, il fait bien sûr preuve de modestie, car les œuvres d’art naturelles n’existent pas ; il faut bien donc les inventer. Pour en revenir à ce “château”, il est amusant. Il peut évoquer un jeu, un assemblage, des parties qui sont allées au combat et d’autres qui sont restées fraîches, etc. Une résistance, somme toute. Un certain aplomb : “Je suis un château, j’ai morflé, mais je tiens”.
Terminons avec une œuvre sur papier
Un mur. Bien sûr que ce n’est pas un mur. Mais pas comme chez Magritte (“ceci n’est pas une quiche”). On est tenté, d’après la compréhension pensée par Richard Wollheim entre “signature” et “style”, de dire que ces gros traits noirs, que l’on retrouve morphologiquement rouges dans les arbres, sont une des signatures de Nash. La différence n’est pas très claire chez le philosophe, mais disons que ces gros traits ne caractérisent pas le style entier de l’œuvre de Nash mais en constituent l’une des signatures. La signature s’adapte à son format et à son propos ; pas le style, qui est plus large, plus profond (« profond dans la psychologie de l’artiste », va jusqu’à dire Wollheim). Ainsi, la signature “gros trait”, comme toute signature, est souple, et peut se faire briques, branches, tronc, ou encore autre chose, supposerons-nous.
Ref. Richard Wollheim, Painting as an art, Thames & Hudson Ltd, Londres, 1987
Léon Mychkine
critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant