Déjanire ravie. (Rions jaune et vert avec l’ami La Grenée)

« Celui qui copiera d’après la Grenée, copiera éclatant et solide » (Denis Diderot, Essais sur la peinture)

Déjanire est la fille d’Œnée (roi de Calydon) et d’Althée. C’est la dernière épouse d’Héraclès. Il se l’est disputé avec le dieu-fleuve Achéloos, transformé durant la lutte en taureau. Héraclès lui pète la gueule et lui casse une corne. Il arrive que Héraclès et Déjanire entreprennent la traversée de l’Évenos (nom issu du suicide dudit dans le fleuve sus-dit, qui, avant, s’appelait Lycormas.) Le centaure Nessos leur dit qu’il est le passeur attitré, et qu’il peut prendre sur son dos la donzelle, moyennant un forfait. C’est parti ! Héraclès arrive sur l’autre rive au moment où Déjanire crie à tue-tête : Nessos est en train de tenter de la violer ! Héraclès se saisit de son arc et décoche une flèche en plein cœur du malotru. Nessos, avant de rendre l’âme, aurait susurré à Déjanire : « Si tu mélanges le sang de l’Hydre de Lerne à celui de ma blessure, que tu y ajoutes de l’huile d’olive et que tu donnes ma tunique à Héraclès, tu n’auras plus jamais à redouter ses infidélités. » Ultime perfidie du centaure, car, un jour où elle doutait de lui, Déjanire lui fait porter la fameuse tunique, qui, de suite, colle à sa peau et le brûle. Déjanire, le moral au plus bas, se pend. Héraclès, affligé, se couche sur un bûcher et meurt. On retrouve ensuite Héraclès sur le Mont Olympe, devenu Immortel, réconcilié avec Hera, qui avait tout manigancé depuis le début, et dont, réconcilié, il épouse la fille, Hébé (c’est le cas de le dire). Comme souvent, dans les merveilleux Mythes Grecs, les versions varient. En tout cas, en consultant le divin Robert Graves, on ne trouve pas de troisième larron dans la flotte, mais il précise que le centaure Nessos aura, durant la traversée, fait demi-tour, jeté à terre Déjanire, pour ensuite tenter ce que l’on sait (ne jamais faire confiance à un centaure…).

Louis Jean François Lagrenée, l’Aîné, « L’Enlèvement de Déjanire par le centaure Nessus », 1755, huile sur toile, 1570 x 1850 cm, Musée du Louvre

Il est assez comique, ce tableau. Surtout, on ne sait pas qui est le monsieur tout nu accroché à la queue chevaline. Pourquoi Lagrenée l’a-t-il ajouté ? Pour évoquer le suicide d’Évenos, comme s’il s’agissait là d’un dieu-fleuve ? Mais telle n’est pas la nature dudit. Alors… Qui est-ce ? À mon avis, La Grenée s’est planté ; il a voulu personnifier le fleuve, à l’instar d’Achéloos, qui peut se transformer en serpent, en taureau, ou en fleuve… Mais, à ce moment, Achéloos n’est plus dans l’Histoire. Mais, voici que je réalise que l’homme à la baille a glissé de son vase. S’agit-il de Diogène ? Mais que ferait-il ici ? On n’est plus à une bizarrerie près. Examinons au plus proche

Non mais, ce sein gauche, quelle mamelle ! Encore une fois, combien est ridicule la position de cet homme — à la nature interlope… Et comme il se saisit du crin de la queue… On dirait qu’il a peur de lui faire mal, au centaure. Ensuite, comment voulez-vous qu’Hercule tire en plein poitrail de Nessos avec Déjanire ainsi positionnée ? c’est bien plutôt elle qui va se la prendre. On ne dira pas où.

Après (est-ce un tic langagier d’époque ?), oui, au niveau chromatique ; ça pète ! Les chairs sont éclatantes, les tissus pareillement. Voyez cette séquence :

Voyez l’équilibre d’un côté des corps, de l’autre, des étoffes. Ça a de la tenue ! Ce rose en tourbillon qui part loin dans l’espace, cette robe jaune-or qui s’emporte aussi, et on se dit que la Déjanire devait être emmaillotée sévère ! Or, comme par hasard, malgré cet emmaillotage digne de Kaboul, voici qu’un sein a émergé ! La belle affaire ! Nul doute que le sein est dévoilé afin de signaler au regardeur l’intention sexuelle du centaure dépravé (mal éduqués qu’ils étaient). La posture de la donzelle ne laisse d’être autant comique. Ce pied gentiment posé contre la besace, que n’en donne-t-elle des coups dans le corps infamant ? Ce bras droit tendu pour attraper quoi ? Ce visage à peu près aussi atterré que si elle venait de faire bouillir le lait pour la troisième fois…(le seum rosifère). C’est confondant.

Franchement… Mais bref!, voyez encore, du vieux rose de l’étoffe aux verts marqués des joncs, en passant par le corps du gars barbu tirant la queue, ça parle couleurs ! Voyez un peu la carnation du barbu : un vrai nouveau-né. Seul le visage rougit dans l’effort de traction arrière. Et on se demande (décidément) ce que signifie cet avant-bras posé sur le flanc de l’homme- bête… Curieusement, ou pas, Hercule est du côté sombre, de la mort qui va venir depuis l’arc tendu, tandis que le vieux à la baille, le centaure, et la Déjanire, semblent du côté de la vitalité, de la lumière. Étonnant non ? Je parierais que ce Lagrenée était un fieffé libertin, adepte du triolisme !

 

Léon Mychkine