Deux vidéos de Pascale Rémita. Rémanence/Rémittence

Pascale Rémita filme, probablement, du tissu. “Probablement”, car nous voyons les deux films “en négatif”, achromes (à la Manzoni). Il n’y a, pour ainsi dire, presque, pas de couleur.     

Deux fois du tissu, qui défile, de haut en bas, au départ comme une suite infinie ; et puis comme un effondrement ; puis comme entassement. Le tout en musique (François Joncour). Exposées, les deux vidéos sont côte à côte (d’où la précision dans la légende ↓↓), mettant en scène le même matériau ; un défilé vertical. Éva Prouteau, dans son texte afférent (ici), parle de « vidéos jumelles ». Mais elles seraient jumelles si elles se ressemblaient en tout point, dans leur mouvement. Mais tel n’est pas le cas. Et puis la gémelléité fusionnerait en une tautologie si on superposait la vidéo 1 sur la 2. Or, dans les deux vidéos, il se passe des choses différentes. Disons, par exemple, que dans la Vn°2, l’En-jeu, c’est l’illusion — euphorique —, de l’infini. On a — légitimement —, envie que cela dure.      

Vn°1. Ce qui semble un rideau s’écrasant. Et ça s’entasse. Le tas grossit, et paraît… respirer. Et puis ça remonte. On remonte les plis, semblant presque aller de gauche à droite. Mais le défilé vertical se brise, et ça replie, et ça recasse. Mais, surprise (!), l’amoncellement semble tari, parce qu’au-delà, ça coule toujours. Suivez-vous ? Ça s’empile devant et ça coule “derrière”. Nature dyadique du même ? Comment expliquer que ce qui semblait solidaire ne l’est plus ? Une trappe s’est-elle ouverte, empêchant le tas de progresser ? Mais cela recommence (plus de flux). Illusion ? 

Vn°2. (À partir de l’amoncelé): Ça se déploie, ça coule, fuit vers le bas. On croit que tout va être emporté par le fond, mais curieusement, à mi-écran, les plis résistent… Y a-t-il deux couches de tissu ? Finalement, les plis sont solidaires du dessous, ils se déploient, s’alignent ; s’organisent. Ça cascade. Au sens littéral de la cascade. Plus haut, il y a du plat ; en termes plus précis, un lit ; car c’est à la rupture du lit d’un cours d’eau que nous devons une cascade. (Allez voir le titre de l’œuvre). Cascadant.  

« Cascade : chute provoquée par une rupture de pente /// Cascatelle : petite cascade ///  Cataracte : chute  importante /// Chute : masse tombante d’une certaine hauteur, intermédiaire entre la cascade et la cataracte.» 

Rémita filme “deux” (donc Une — hypothèse princeps) cascatelle. Cascade d’elle ? Sors de ce corps !, Lacan cancanant, nan nan, ou nanan pour les enfants. Friands distillent. Stop

Pascale Rémita, “Mille plis légers des ondes” [capture d’écran]

Vn°2 suite. Tout le haut ne suit pas la chute (à tant de minutes, vous vérifierez. Je pourrais donner le chrono, mais ce serait vous mâcher la curiosité…). Car il semble bien que, là-haut, il y ait encore un lit. Comment expliquer sa résistance à l’emportement ? Il y a quelque chose de contre-intuitif : c’est comme si, littéralement, de la matière tombante se créait à partir de celle qui demeure en tant que lit. Comment fait-on cela ? C’est de la magie (comme tout bon art). Ici, nous sommes dans une parcimonie généreuse (ce n’est pas aisé, parce que, là non plus, ce n’est pas parce qu’il y a parcimonie que ça marche…).

Faire dire le + au -, voilà la bonne parcimonie. Non pas, et par ailleurs, que parcimonie = facilité.    

À regarder de nouveau, on se rend compte de la complexité de ce qui, au début, apparaissait fort simple : la chute de ce qui semble du tissu, ou bien le passage filmé de mouvements de tissus. Comme quoi, avec des choses en apparence “simples”, on peut soulever un certain nombre de questions, nombre de questions, comme les nombres réels.

Pascale Rémita, “Mille plis légers des ondes (1)”, 2020, diptyque vidéo projection HD, durée 4’16, création sonore François Joncour, Courtesy de l’artiste

Pascale Rémita, “Mille plis légers des ondes (2)”, 2020, diptyque vidéo projection HD, durée 4’16, création sonore François Joncour, Courtesy de l’artiste

Vn°2. On (un)finit par se demander si tout cela ne serait pas virtuel, puisque, plus nous regardons, et plus nous assaille un sentiment d’impossibilité quant à la nature semble-t-il quantique du matériau (mouvant et immobile depuis le même “corps”). Se défaire sans tout déplier. Et puis cela vient. On n’a pas précisé que tout cela est lent. Au ralenti. À un moment donné, on ne sait plus si cela descend ou remonte… Et on se retrouve dans cette dichotomie quantique (immobile et fuite). On se sera rendu compte que lorsque les plis ne sont pas horizontaux, ils sont verticaux. Une histoire de plis ; on n’y échappe pas. « La matière-pli est une matière-temps », écrivait Deleuze (Le pli, 1988). Cela s’appli-que à ce que nous “donne” à voir Rémita. Mais, question : Est-ce que cela marcherait avec n’importe quoi ? Par exemple, filmer, depuis une hauteur, le cours de l’eau ? Non. Pourquoi ? Parce que, si c’était homogène, ce serait ennuyeux ; et si c’était varié, ce ne serait plus organique, mais seulement diffracté. Or “Mille plis légers des ondes” est homogène & diffracté, par régions extensives. On emploiera l’expression pour désigner ce qui est mobile & immobile dans la même temporalité topographique ; une discussion.      

CNRTL : Rémittence […]  Par analogie. Accalmie, reflux, affaiblissement de quelque chose. Le 29 au matin il y a rémittence, mais le soir le vent reprend avec plus de force et ne cesse que le 30 pour être bientôt remplacé par un coup de vent plus violent encore (Dumont d’UrvilleVoy. Pôle Sud, t. 2, 1842). Les puissances de l’âme humaine (…) sont sujettes à des rémittences, à des défaillances graduelles (CournotFond. connaiss., 1851, p. 527). [ʀemitɑ ̃:s]… 

 

Léon Mychkine 

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

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