Élisa Larvego. Atypiques rencontres

Élisa Larvego, Aladin & Marianne, School bus, Calais, de la série “Chemin des Dunes”, 2016. Photographie couleur. Épreuve jet d’encre sur papier Permajet smoothpearl, cadre chêne, 60 x 73 cm, réalisée dans le cadre d’une commande publique photographique du CNAP et du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais ». Laboratoire photographique : Après Midi Lab, Paris (France) Inv. : FNAC 2017-0053 Cnap © Élisa Larvego/Cnap

De l’ensemble des photographes durant la mission calaisienne, Élisa Larvego est certainement celle qui nous donne les images les plus douces de la “jungle”. Cette douceur tient notamment à la qualité argentique de ses photographies, qui, en quelque sorte, nous ramène en arrière, vers cette douceur de tons qui ne possède pas le numérique, me semble-t-il. Il y a, en sus, quelque chose de cinématographique dans ces photographies. On parierait qu’elle a installé projecteurs et déflecteurs, tant ces prises de vues semblent à la fois naturelles et construites. Et c’est ce qui donne cette lumière “naturelle” à ses images ; une image en l’occurrence ici quasiment domestique, voire de vacance au sens littéral ; de farniente. Nul pathos ; nul signe d’une situation dramatique. Et, somme toute, même au fin fond de la “jungle”, il est bien normal que des moments de loisir, de repos, de jeu, existassent. Ainsi Aladin et Marianne jouant au Uno dans le ‘School bus’. Ici, la mise en scène, associant “bénévole” et “réfugié”, tend à brouiller les cartes de l’identification ; on ne sait plus très bien qui est qui ? Qui est réfugié, qui est bénévole ? Une manière très fine de retourner au commun, à l’humanité commune.

 Élisa Larvego, Amber & Mohammed, zone sud de la jungle de Calais, de la série “Chemin des Dunes”, 2016. Photographie couleur. Épreuve jet d’encre sur papier Permajet smoothpearl, cadre chêne, 60 x 73 cm, réalisée dans le cadre d’une commande publique photographique du CNAP et du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais ». Laboratoire photographique : Après Midi Lab, Paris (France) Inv. : FNAC 2017-0053, Cnap © Élisa Larvego/Cnap

 Amber et Mohammed, posant dans un sentier créé par de très nombreux passages. Je me suis beaucoup questionné, à l’époque de l’existence de la ‘jungle’, sur l’arrivée importante de sujets britanniques venus pour aider les réfugiés. En en parlant avec Jean Larive, et le questionnant sur ce sujet, j’apprends que de nombreux Anglais eurent honte ; honte de la situation à Calais, honte de la condition faite à ces êtres humains, et, surtout, honte de leur pays, et même, honte d’être Anglais. Ainsi, si bien sûr les premières personnes a être venues porter secours aux réfugiés, sont des Calaisiens, et des Français ; sont arrivés ensuite des citoyens britanniques. D’où cette complicité, probablement, qui s’est très rapidement établie entre réfugiés et citoyens anglais, pour la raison évidente que la plupart des premiers possèdent des rudiments d’Anglais tandis que les rudiments de Français sont certainement beaucoup plus rares, excepté les réfugiés maliens, par exemple. On ne peut pas non plus s’empêcher de penser au fait que la population aidante anglaise à contribué à “construire” un pont entre l’Angleterre et les réfugiés, qui, pour la plupart, rêvaient de s’y rendre. Ainsi, Amber et Mohammed, qui posent, comme deux amis au bord de mer.

Élisa Larvego, “Zone ouest de la jungle de Calais”, de la série “Chemin des Dunes”, 2016. Photographie couleur. Épreuve jet d’encre sur papier Permajet smoothpearl, cadre chêne, 112,5 x 138,4 cm, réalisée dans le cadre d’une commande publique photographique du CNAP et du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais ». Laboratoire photographique : Après Midi Lab, Paris (France) Inv. : FNAC 2017-0053,  Cnap © Élisa Larvego/Cnap

Aux abords de la route menant au port, zone ouest de la ‘jungle’, des réfugiés viennent contempler l’impossible, et profiter d’un meilleur réseau. Clôtures et barbelés ne servent décidément à rien…

Élisa Larvego, “Zara devant la porte de la Belgium kitchen, zone nord de la jungle de Calais”, de la serie “Chemin des Dunes”, 2016. Photographie couleur. Épreuve jet d’encre sur papier Permajet smoothpearl, cadre chêne, 60 x 73 cm, réalisée dans le cadre d’une commande publique photographique du CNAP et du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais ». Laboratoire photographique : Après Midi Lab, Paris (France) Inv. : FNAC 2017-0053, Cnap © Élisa Larvego/Cnap

Parlant de cette photo avec Élisa, je pensais que cette jeune femme était une réfugiée. Pas du tout. C’est une volontaire, et même plutôt une ‘hipster’, d’après Élisa ! Ça alors! Comme quoi, et ce n’est pas nouveau, l’image peut être trompeuse. Zara se trouve donc devant la “cuisine belge”, dont la porte fait office de “fond”, qu’installent les photographes en studio. Clin d’œil de Larvego à la profession, en partie traditionnelle, et historique, de la photographie de portrait. Larvego se montre, sans ostentation, grande technicienne des chromatismes ; qui, encore une fois, par leur douceur, font oublier la nature profondément irrationnelle du lieu. Ici, tout est bien rangé, fonctionnel, prêt à l’emploi ; extincteur, poubelle, enrouleur électrique, bassines, etc. Nous sommes “hors-lieu”, en quelque sorte. Et c’est aussi en cela que consiste le rôle du photographe ; celui de pas nous aliéner à une identité obsessionnelle, fixative, de ne pas, en un mot, d’ajouter de l’aliénation à l’aliénation. 

Photo en une : Élisa Larvego,“Ibrahim dans sa cabane en construction, zone nord de la jungle de Calais”, de la série “Chemin des Dunes”. Photographie couleur Epreuve jet d’encre sur papier Permajet smoothpearl, cadre chêne, 60 x 73 cm, 2016, réalisée dans le cadre d’une commande publique photographique du CNAP et du PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais ». Laboratoire photographique : Après Midi Lab, Paris (France) Inv. : FNAC 2017-0053, Cnap © Élisa Larvego/Cnap

Léon Mychkine

 

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