Entretien avec André Mérian

André Mérian, photographie sans-titre, issue du livre Occasions, chez la fabrique du signe

Léon Mychkine : Quand on suit votre travail, on ne s’attend pas à voir ce type de photographies que vous publiez à la Fabrique du Signe ; donc pouvez-me dire quelques choses sur ce projet qui a donné lieu à ce livre ?

André Mérian : C’est vrai qu’à une certaine époque, j’étais plus dans le paysage, avec une approche plus ou moins documentaire, mais quand même un peu minimaliste

LM : Oui.

AM : Donc, pour revenir à l’histoire d’Occasions, il s’agit d’un travail que j’ai commencé quand j’étais en mission pour la commande de Calais, en 2016. Et quand je rentrais chez moi, je travaillais sur cette histoire. Ce sont donc des objets, que j’ai récupérés, dans des conteneurs de poubelles, à Marseille, et pratiquement en bas de chez moi, seuls quelques uns ont été récupérés ailleurs, mais en général, l’approche, c’est de récupérer ce qui est jeté à côté de chez moi.

LM : D’accord. Donc, ça se passait comment ? Vous ouvriez la poubelle ?

AM : Oui, et souvent je me mettais à ma fenêtre, à l’étage, et comme les conteneurs restent ouverts, je pouvais voir ce qu’il y avait dedans. Au début j’étais parti sur une approche plus typologique, c’est-à-dire une série sur les jouets, une sur la nourriture, sur la décoration, sur la publicité, des choses comme ça. Et puis en fait, quand j’ai décidé de montrer le boulot, quand l’idée du bouquin est venue, en discutant avec Brice Matthieussent, nous avons décidé de ne pas les mettre en série, mais de les disperser. Ces objets, je ne les photographiais pas chez moi, mais chez ma compagne, qui habite Avignon ; où je pouvais m’installer avec ce mur blanc, la table bleue. Je prenais le train, avec les objets dans la valise. Une fois je suis parti avec une demi-porte de voiture. Ce qui m’intéressait, c’était la question de l’expérience, de la vie de l’objet. Il était récupéré, déplacé, et après jeté. Il y avait tout un parcours de l’objet que je trouvais intéressant.

LM : Et donc en les photographiant de cette manière, en les isolant, vous voulez leur redonner quelque chose, un statut ?

AM : Oui, voilà ! C’est-à-dire qu’en les isolant, en les mettant toujours sur la même table, même lumière et distance, j’ai voulu leur donner une forme, un statut de sculpture. Et si on reconnaît certains objets, il y en a d’autres, on ne sait forcément ce que c’est. Par exemple la deuxième image, après le bouquet de fleurs, on ne sait pas très bien ce que c’est. On pourrait penser à un morceau de fromage, à un gâteau

LM : de la mousse

André Mérian, photographie sans-titre, issue du livre Occasions, chez la fabrique du signe

AM : et en fait c’est de la mousse isolante. Après, l’autre image, on dirait une tablette de chocolat, et ce sont des tuiles. Et avec tous ces objets, j’essaie aussi d’évoquer la consommation, avec la publicité, la mouse, les habits, par exemple. Et j’aime bien que l’on s’interroge sur l’origine des objets, je ne livre pas tout tout de suite. Par exemple la tête de lit, on ne la reconnaît pas en tant que.

LM : Et par exemple, le ballon dans le sac Ikéa, vous l’avez trouvé comme ça ?

AM : Oui, mais ce n’est pas un ballon, c’est une lunette de toilettes.

LM : Et ce travail, qui se distingue de vos photos que l’on connaît davantage, ouvre une autre voie dans vos recherches ?

AM : En fait, pendant que je travaillais pour la commande de Calais, et que j’ai commencé ce travail-là, j’ai présenté tout mon boulot dans une exposition qui s’appelait ‘Nevermind’. C’était à la galerie du Ve à Marseille, et puis après c’est parti au Château d’Eau, à Toulouse, etc., et ça n’a plus rien à voir avec les paysages que je faisais auparavant. Et là, actuellement, je suis en train de terminer un nouveau boulot, qui traite de mon environnement immédiat ; c’est la question du territoire, que je fréquente quotidiennement. Et ça n’a plus rien à voir avec les images que je poste sur Facebook.

LM : Et du point de vue technique, vous travaillez au numérique, à l’argentique ?

AM : Toutes mes images sont sur film, et après je les scanne. Et je préfère partir d’un scan que d’un fichier numérique. C’est pas du tout la même histoire. C’est beaucoup moins dur, c’est plus doux.

LM : Et donc ces images ont été prises avec quoi ?

AM : Avec mon Fuji 6/9. Je n’ai qu’un seul appareil, avec qu’une seule optique. Et un trépied. C’était pareil pour Calais.

LM : Ah oui ! C’est assez ascétique comme posture.

AM : Oui, mais c’est ça qui est intéressant. Je suis obligé de marcher, de me rapprocher, de m’éloigner, tandis que le photographe qui utilise plusieurs optiques peut rester au même point de vue. Mais moi, il faut que j’aille vers le sujet.

André Mérian, photographie sans-titre, issue du livre Occasions, chez la fabrique du signe

LM : Et donc, vous avez un rapport différent avec la photographie puisque vous utilisez l’argentique ?

AM : Disons que je trouve que l’appareil numérique, c’est vraiment un appareil de consommation, parce que c’est tellement facile… Quand j’avais des étudiants, on voit bien comment ça se passe : on fait 50 fois la même image, et après, quand il faut choisir, on n’y arrive plus, tandis que pour moi, la sélection, elle se fait pratiquement à la prise de vue.

LM : Et vous reconnaissez, à l’œil, une photo numérique ou argentique ?

AM : La plupart du temps, oui. Surtout sur les grands tirages, quand c’est hyper contrasté, dur, je le vois tout de suite. Et même dans l’édition, je peux le voir.

LM : Je vous remercie

André Mérian, photographie sans-titre, issue du livre Occasions, chez la fabrique du signe

Propos recueillis au téléphone et traités par Léon Mychkine


Article n’est pas financé. Si vous souhaitez participer à son développement, merci beaucoup de votre don via ce lien ici