Steyerl who in 2017 was named the most influential contemporary artist in the world by the British publication “ArtReview,” produces work that is political and personal. Steyerl, qui a été nommée en 2017 l’artiste contemporaine la plus influente dans le monde par la publication britannique “ArtReview”, produit une œuvre qui est politique et personnelle.
Le Centre Beaubourg/Pompidou propose une rétrospective de l’artiste Hito Steyerl, titrée, assez judicieusement “I will survive” ; car, en effet, il s’agit, pour le visiteur, de survivre à ce déluge hypermedia, car, selon toute probabilité, c’est un peu sonné et déboussolé qu’il en sortira, s’il en sort. Dès l’entrée, les deux installations donnent le ton : La première, une vidéo de l’artiste, située au-delà une sorte de grand bac à sable, lui-même devancé par un mur de sacs de sables. Étant trop éloigné de l’écran, on ne comprend rien à ce que dit l’artiste, et ce d’autant plus que la seconde vidéo, derrière, diffuse assez fort dans une langue étrangère. On s’y rend. Des images de maisons brûlées. Des sous-titres nous informent qu’elles ont appartenues à des familles juives, jusque dans les années 1990. Voilà déjà, dessiné, l’un des axes autour duquel tourne l’exposition, la cacophonie et le tragique de l’Histoire. Mais pas que (comme d’aucuns disent stupidement aujourd’hui). Les cartels, écrits étonnamment avec force détails dans une espèce de novlangue, soit une sorte de langage, disons, commercialement subversif (le capitalisme, c’est méchant, c’est paranoïaque, ça veut contrôler tout, etc.) nous expliquent tout ce que nous devons comprendre si jamais nous ne comprenons ou n’entendons rien à ce que nous voyons. Chic ! Il suffit de savoir lire pour comprendre l’art contemporain le plus actuel ! C’est dire les progrès de l’herméneutique muséale.. Ou bien, ou bien, cher Søren, toutes ces tartines lexicales ne sont-elles étalées qu’afin de pallier un certain vide de contenu ? À la réflexion (24 heures), on peut se le demander. L’artiste Steyerl a déjà un parcours prestigieux, avec moult prix, et elle est Docteure en philosophie : une consœur ! Une fois passé ce premier sas, on rentre dans une pièce, où s’étalent les (déjà) célèbres mots Hell Yeah We Fuck Die, ce qui ne veut pas dire grand-chose, mais enfin, au moins, il y a des mots très parlants : “Fuck”, ça fait toujours son effet.
Sur les écrans, des robots réels ou virtuels, en situation d’attaque, de défense, etc. Rien de très nouveau. Au premier plan, mangé par le cadrage de mon smartphone Huawei, des espèces de sculptures en bois des robots vus en animation… Deuxième salle, en gigogne : dans la première, une espèce de musique disco avec, à l’écran, des figures électroniques humanoïdes qui bougent en tout sens, prolongés par une multitude de fils qui se connectent se déconnectent. Tron 2 Legacy, c’est bien plus beau.
Dans la salle enfilée, très sombre, en fait, des gens regardent une vidéo. Dans la première salle, ne voyant rien au fond, j’ai dansé un peu sur la musique, et après, réalisant qu’il y avait du monde au fond… Oups ! Un écran, avec un allemand qui braille plutôt qu’il ne parle, en disant comment il faut se révolter, un truc du genre, comment il faut procéder, en retournant son corps, en passant par le fondement… bref, ciao! Ensuite, plein de trucs entremêlés, du genre :
Voyez le genre de cartel. Voilà ! On apprend que le capitalisme s’adapte en permanence aux changements de statut des marchandises. (On commence à se dire qu’on n’est pas venu pour rien, on va apprendre des trucs…). More about this :
Cartel suite :
Steyerl a des avis sur tout, elle embrasse l’entièreté de la complexité du monde, chevauchant métonymie sur métonymie. Quel rapport entre Ismail al-Jazari et la lutte exterminatrice des Turcs contre les Kurdes ? Enfin, vous lisez vous-même, tous les raccourcis que l’on trouve sur les cartels, qui permettent de produire une espèce de nourriture pré-mâchée, sorte de fast-food-for-thought (ffft) nourriture-rapide-pour-l’esprit, mais, à ce point, on commence à se demander s’il n’y a pas là, en format démultiplié, une espèce de parodie multimedia du journal télévisé, d’une histoire (‘story’, comme on dit sur CNN, par exemple) à une autre. En quelque sorte, tout ce que nous donne à voir, et je n’ose pas dire “à penser”, Steyerl, nous le savons, nous le savions déjà, en gros. Mais la pertinence du cartel cherche à renforcer l’autorité du discours plastique. Ainsi, quel est le lien véritable entre al-Jazari et les robots ? À mon avis, néant. Mais c’est dit, c’est écrit, ça passe dans la conscience, et le quidam cherche les connections…
En cherchant, la seule allusion végétale à l’expression “power plant” ressort à ‘Power Plant’, une « variété de cannabis pure, une landrace, 100 % Sativa, originaire d’Afrique du Sud. Elle est immédiatement devenue très populaire dès son apparition sur le marché, car elle fleurit rapidement et donne de super productions.» (dixit un site en ligne…). Donc, Steyerl fume de la Power Plant, ou bien elle connaît… Là encore, on ne voit pas très bien le rapport entre plantes, cannabis, fleurs, et centrales nucléaires (ce que signifie aussi “power plant”). Vous aurez noté, dans le cartel, qu’au même moment où il s’agit de nous désaliéner, comme s’il fallait nous l’apprendre, que l’œuvre se prolonge dans une application pour smartphone ! Steyerl nous ramène au réel bien réel ; dénoncer la Big Company pour y replonger les yeux-joints. Bravo !
Voyez, là, on commence à se dire qu’il y a un léger crissement mental dans le “tout-embrasser” de Steyerl, et que ça va devenir, à tout le moins, gênant. Je vous rappelle qu’en amuse-gueule, nous “avons eu” des maisons de juifs brûlées, et puis la tuerie turco-kurde, et là, on y retourne, s’agissant d’une femme incarcérée en Turquie. Comme disent les jeunes : « C’est quoi l’bail ?» Quel est le rapport entre l’anthropologique besoin maladif de tuer et faire souffrir son prochain et la technologie ? Pas énorme. Chez Daesh, on égorgeait très bien avec un couteau… Les raccourcis opérés par Steyerl sont vraiment grossiers, et, avec cette troisième incidence, çà y est, ça pèse ; à tiers-parcours. On commence à se poser des questions : Pourquoi mêler ainsi les genres ? Ça prend la forme d’une recette de gloubi-boulga… On continue ? Oh oui son Prince !
Tout à coup, Steyerl se la joue “peintre” (pourquoi pas ? Elle est tellement polyvalente : cinéaste, animatrice 3D, sculpteuse, historienne de la politique et des techniques, experte en géopolitique, etc.), voici qu’elle fait référence à Rodtchenko, avec ses trois pauvres monochromes… Le Cartel, rappelons-le, fait office d’auctoritas principis, ça vient d’“En-Haut”. Si on vous dit qu’un célèbre triptyque a été considéré comme la fin de la peinture, c’est que ça doit être vrai… Le quidam, qui a lu, ne se pose peut-être pas la question, du genre : « Ah bon, il y a eu une fin de la peinture ? La peinture, c’est mort ?» C’est le « qui fut » qui paralyse l’intellect. Mais qui est ce « qui »? Nul autre que Rodtchenko lui-même ! C’est lui qui a déclaré que ses trois monochromes avaient tué la peinture ! Quelle connerie ! C’était pathétique en 1921, mais là, franchement, ramener cette vieille histoire gaguesque en 2021, ce n’est vraiment pas sérieux. Surtout que cet imbécile de Rodtchenko, après avoir “fait” le peintre, est devenu un pur propagandiste soviétique… Bravo encore ! Mais bon, attention, le cartel nous prévient : « Ce mur de couleur dit l’échec de la représentation photographique à l’heure d’une sursaturation médiatique d’images.» Et là, on commence à se dire : D’où vient-elle, cette espèce de novlangue pseudo-philosophique, qui assène des sentences comme des ‘fortunes cookies’? D’où vient encore cette assertion pseudo-philo comme quoi la photographie serait en échec, face à la surmédia-bla-bla ? “Qui” à dit cela ? Steyerl connaît-elle la photographie contemporaine ? S’y intéresse-t-elle ? Ce genre de discours est devenu tellement novlangue qu’il ne veut plus rien dire, car on pourrait substituer l’expression « représentation photographique » par n’importe quelle autre ; par exemple “de la poésie contemporaine”, “de l’art non financiarisé”, etc. Mais voyez, l’exploitation pseudo-philo du cartel n’est pas encore terminée, car on trouve encore une couche “interprétative”. La pandémie du Covid-19 a fait naître, on le sait, des milliers d’épidémiologistes spontanés et des centaines de philosophes qui savaient exactement quoi penser de ce qui se passait dans les sociétés… Après tant de banalités assertées et de prophéties à la va-comme-je-te-pousse, la vie va reprendre son cours comme avant, dans très peu de temps. La peur est en train de s’amoindrir, la surveillance, de toutes manières, était déjà là (expliquez-moi comment vous gérez le pouvoir quand vous gouvernez des dizaines ou des centaines de millions de personnes sur un territoire souverain…). Bref, au terme (déjà ?) de cet excursus notamment dans la politique cartélienne, je crois que nous avons ici un cas d’école : C’est à croire qu’il s’est agi de “dire” le plus possible dans un minimum d’espace, i.e., le cartel. Curieusement, il y là a un étonnant effet-miroir : l’embrouillamini des installations correspond à la bouillie conceptuelle des cartels. Well done !
Au bout du compte, il me semble que Steyerl, comme on dit, cherche à trop embrasser, à trop vouloir démontrer ce que nous savons tous, pour la plupart, déjà, et depuis longtemps : l’obscénité des images disponibles à gogo, l’obscénité et la pornographie des représentations médiatiques et, parfois, politiques (quel porc désastreux aura été Trump…), etc. L’art, par nature, hypostasie, s’il ne fait qu’afficher le porno, il n’hypostasie rien. Steyerl, par ses réalisations léchées, même quand l’image est intentionnellement crade, ne parvient pas à faire décoller le grand vaisseau exhibitoire qu’elle a eu à disposition : c’est abrutissant, redondant, et, le pire, c’est, qu’au bout du compte, on n’y comprend rien, on n’a aucune idée d’où elle part et où elle veut en venir. Or, ne rien comprendre à des œuvres d’art ne ressort pas au même phénomène que d’avoir saisi des bribes sans pouvoir les intellectualiser, ce qui peut arriver sans que cela ne soit rédhibitoire. Ici, on n’y comprend rien parce que tout est étalé comme du dégueuli d’ivrogne, certes, mais ultra chic ; or, comme l’écrivait Robert Antelme : « L’enfer, ça doit être ça, le lieu où tout ce qui se dit, tout ce qui s’exprime est vomi à égalité comme dans un dégueuli d’ivrogne.» Steyerl est ivre de sa volonté de puissance, de sa notoriété, ivre de sa supposée compréhension de tout, et voici le résultat…
Le grand paradoxe, c’est que certaines image peuvent être plus parlantes, chez Steyerl, quand elles sont extraites du déferlement filmique compulsif, comme ici :
Où l’on apprend, au moins cela, que pour disparaître de tout repérage satellitaire de surveillance, il faut avoir la taille d’un pixel, ce qui donne une saynète comique (c’est l’un des rares moments souriants), où les individus sont devenus des pixels bipèdes
La parole est à la défense (dans la presse déchaînée) : Aximi, Le Monde: « La pandémie, selon Hito Steyerl, n’a fait qu’intensifier la surveillance politique et l’exploitation économique, sous couvert de bonheur numérique. Plutôt que de refuser en bloc cette nouvelle donne, la rhétoricienne [sic !] en pointe l’ambivalence. Le monde de l’art, tel qu’il prospérait sans se poser trop de questions avant le Covid-19, était “le produit corrompu d’une globalisation néo-libérale”, dit-elle.» Sortir à Paris :« Hito Steyerl est inclassable, est-elle journaliste ? documentariste ? magicienne de l’image ? Peut être tout à la fois et même plus. Quoiqu’il en soit, elle sait captiver les yeux de n’importe qui. On peut certes être réticent face à ce débordement d’images qui parfois semble décousu, mais l’agencement des images est hypnotique, nous force à rester devant, ébahi. Ensuite on peut aussi tout à fait au delà du charme, ou de l’hypnose des images, rester devant elles pour y décrypter un sens.» [bon courage !]
Léon Mychkine