Journal #11. Quelques mots sur la foule en musée, ou en bocal, mais plus encore

Je sors du Musée d’Orsay. Je comptais voir les tableaux de Peter Doig. Pas beaucoup, et certains accrochés très haut, comme au XVIIIe (manque de place ? On avait compté que sur une seule salle ?). Mais il y avait ses choix dans les salles contigües, issus du patrimoine, essentiellement XIXe français, Monet, Cézanne, Degas, etc. Pourquoi, justement, ne pas avoir intégré les tableaux haut perchés au milieu du patrimoine ? En est-on encore à des découpages aussi scolairement chronologiques ? Il est à souhaiter que non. 

Et puis on enfile les salles, mais on s’arrête, dans la partie décor et peintures (Niveau médian, Pavillon amont), face aux Vuillard, exceptionnels. Il n’y a personne. On se trouve face à de grands Vuillard, magnifiques, et il n’y a personne. 

Édouard Vuillard, “La Meule”, 1908-09, peinture à la colle sur toile, 230,0 x 163,5 cm, © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

On ne voit quasiment voire pas du tout les visages, tandis que les deux femmes semblent très concernées par les mains de l’homme. Que fait-il ? Qu’est-il en train de fabriquer ? Une petite figure avec de la paille ?

Les détails sont assez épatants. Enfin, regardez cette meule ; transparente, laissant passer les couleurs du ciel. C’est un peu insensé. Mais intensément artistique, c’est-à-dire magique. Le ciel est bien aussi, comme un mur de briques ajouré. 

Edouard Vuillard, “L’Allée”, 1907-08, peinture à la colle sur toile, 230,0 x  164,0 cm, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Ce qui est intéressant, ici, c’est tout sauf la dame et le chien, of course.

Ce n’est plus de la peinture, c’est de laine ; paysage laineux multicolore. Après avoir tricoté le paysage et l’allée, Madame s’est fabriquée un banc, et elle s’y repose. Le chien, peu habitué aux promenades laineuses, n’ose s’y aventurer.

Edouard Vuillard, “Les Lilas”, vers 1899, peinture à la colle sur toile, 240,0 x 154,5 cm, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

D’une vieille dame à canne Vuillard fait une étrange créature, presque futuriste, avec ses vêtements semblant de maille faite de quelle matière ?

Ces tableaux respirent le calme et la tranquille déconstruction explosive de la représentation vuillardienne.

Plus tard, je tente l’exposition “Van Gogh à Auvers-sur-Oise. Les derniers mois”. Le titre est un tantinet racoleur (n’oubliez pas qu’il est mort par autolyse). Je ne goûte guère Van Gogh, mais puisque je suis là, autant vérifier une fois encore. Et là, c’est le drame. 

Pauvre photo smartphonez prise le 08 11 23 par votre serviteur Si j’étais connu comme certains critiques, je pourrais obtenir des visites exclusives, sans personne around. Mais je n’en suis pas encore là, et si jamais… Non, je ne crois pas. Bref. La photosmart-faux-nez ci-dessus indique juste l’entrée de l’exposition. Et encore, il paraît qu’aujourd’hui, il n’y a pas tant de monde… Il fait chaud, c’est irrespirable. Je plie les gaules. C’est la retraite (je leur laisse la Maison). Qui voit quoi ? Qui saisit quoi ? Pourquoi, comment, en sommes-nous arrivés là ? C’est partout pareil, me direz-vous, c’est  saturé. Dès qu’un nom est un peu connu, c’est terminé, c’est la foule, la tourbe, comme disait de la foule Voiture, le poète. Ce n’est pas péjoratif, c’est juste qu’on en a plein les yeux, plein les oreilles, plein le nez, etc. De toutes façons, je n’apprécie pas tellement Van Gogh, et n’ai jamais compris ce qu’on lui trouve. Ceci dit, j’ai parlé avec une employée, et, lui faisant part de ma lancinante consternation — l’impossibilité de regarder —, elle m’a confié avoir vu la même exposition à Amsterdam et là, miracle, il y avait une vraie jauge, et il y avait de l’espace autour des tableaux et des regardeurs, et on pouvait respirer, et se sentir bien à l’aise, et prendre son temps ! Mais pourquoi ne fait-on pas cela en France ? L’exposition de Staël, c’est du même tabac, un monde archi comble, chacune et chacun dégainant son smartaphone (sic) et personne ne voyant rien, ou si peu. Là encore, pas de jauge, ou elle est bien trop laxiste… Et tout cela est fort dommage. On devrait proposer deux types de visites ; l’une avec smartphone, et l’autre sans. Nous serions bien plus tranquilles ! Ah oui ! Cette personne bien informée m’a aussi par ailleurs appris que c’est l’inoubliable Ministre de la Culture Fleur Pellerin, au cours d’une carrière autant fulgurante que mémorable (du qui aura autorisé l’utilisation des téléphones portables dans les musées ! Combien nous, les amoureux des arts, lui sommes éternellement reconnaissants !

Changeons de sujet, et regardons ce très charmant autant que curieux tableau de Giovanni Giacometti, le père des fameux Alberto et Diego :

Giovanni Giacometti, “Vue de Capolago”, vers 1907, huile sur toile, 51,5 x 60,0 cm, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Mais c’était sans compter sur l’adorable ours blanc de pierre (300 kg) de Pompon :

François Pompon, Ours blanc, entre 1923 et 1933, statue en pierre, 163,0 x 251,0 x 90,0 cm, Musée d’Orsay

J’ai fait le tour x fois de cet ours charmant, et j’avais envie de lui faire un câlin, de monter dessus. Mais c’est interdit. Ne serait-ce que de le caresser… Caresser l’ours Pompon.

Il est extraordinaire, cet ours. Vous voyez ? on dirait qu’il porte des chaussons. Des chaussons pour plantigrade. Je l’adore. Et je vous le prouve :

Il est d’une grâce ! Et voyez ce ventre plat. Sportif ? Irréaliste ? Trop tout de même ? Mais non.

Qu’il est débonnaire ce gros nounours. Qu’aurions-nous aimés visiter l’Arctique en sa compagnie !

Voyez, il sourit !

Mais de profil ce trait de bouche, qu’est-ce ? Est-il édenté ? Endetté ? Sans avenir ?

Sans transition, comme on disait au 20 Heures, ce Seurat. On benne tous les derniers épouvantables tableaux de D. Hirst pour celui-ci :

Georges Seurat, “Poseuse debout, de face”, 1886, huile sur bois, 25,0 x 15,7 cm, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Adrien Didierjean

La tarte à la crème, c’est le pointillisme. Ça peut se discuter. On pourrait très bien dire que Seurat, ce qui l’intéresse, c’est comment apparaît ce qui est, c’est-à-dire comment les choses se distinguent les unes des autres. Bien sûr, cette femme nue, cachant ses parties (comme on disait), n’est pas une chose, mais Seurat veut l’intégrer au décor, ou bien est-ce l’inverse ? S’agit-il d’un petit univers cotonneux, ouaté, ou floral, qui s’assemble au gré d’on ne sait quelle motion, et s’associant tout à coup, livrant une proposition plastique, pour le plaisir du regardeur ? C’est très étonnant ; regardez comment les éléments voletants viennent se placer bien à-propos à la place des yeux — mais tout autant du corps en son ensemble —, et les voici en place. Et quels grands yeux !  

Un petit côté… Terminatrice ?

Il y aurait des choses à dire sur l’effet caméléon/personnes/choses chez un Vuillard, un Seurat, et pas chez Bonnard, car le pauvre, il fit ce qu’il pouvait. Mais chez ces deux zèbres-là, assurément, il y aurait à cogiter, à découvrir des points de rencontre, des zébrures éclairant le ciel neuronal.

Et que dire de ce Manet ?

J’ai tenté de remettre un peu de punch dans l’image, mais c’est peine perdue ; ce tableau, en réalité, il brille, surtout dans le vert. Je ne sais pas comment Manet a produit cela, mais c’est extraordinaire (attention à ne pas abuser du mot). Non, c’est extraordinaire ! Et voyez le sécateur qui dépasse de la table ; petit hommage à Chardin, en passant. Mais la reproduction du Musée d’Orsay est nulle… Hélas. Pour preuve :

Édouard Manet, “Tige de pivoines et sécateur”, 1864, huile sur toile,  56,6 x 46,0 cm, © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowsk

La reproduction est si mauvaise que tout semble avachi, écroulé. C’est dommage. Il est vivant ce tableautin, car, encore une fois, par-ci, par-là, il brille et vibre. Et ce sera tout, merci.

 

Léon Mychkine

écrivain, docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

Aidez la critique d’art libre et indépendante via PayPal