Journal #12. “Zappe ton génocide !” De l’obscénité du penser, chez MM. Meurice et Preciado

I   

L’“humoriste” Guillaume Meurice a commis une boulette, le 29 octobre dernier, proposant, pour la fête  d’Halloween, un déguisement de Benyamin Netanyahou, qualifié alors par Meurice, de « nazi sans  prépuce ». Le 07 octobre 2023 a eu lieu, en Israël, ce que nous savons, disons, ce que nous pensons savoir, suffisamment savoir pour rester encore choqués, et pondérés, face à la fuite des événements, mouvement irréversible du mode de fonctionnement médiatique. Cette sortie a choqué un grand nombre d’auditeurs, l’Arcom (Autorité de régulation de la communication   audiovisuelle et numérique) a été saisie. Par la suite, Meurice a reçu donc un avertissement de la Direction de France-Inter, et il a tout de suite annoncé qu’il allait porter l’affaire en Justice, afin de contester cette décision. Au lieu de s’excuser, de finalement conclure que cette blague n’en était pas une, car, tout simplement, ce n’est pas drôle que de caractériser le ministre israélien ainsi, Meurice, dans son orgueil et la toute puissance de son autorité absolue d’humoriste subventionné, a “conscience” que ce qu’il dit est toujours drôle, et qu’il n’y a pas à tergiverser ; il SAIT, et donc il est sûr de toujours être dans son bon droit d’humoriste. En quelque sorte, cela place l’humoriste dans une position tout à fait spécifique, celle d’un être qui a la faculté de blesser n’importe qui, de salir n’importe qui, au prétexte qu’il s’agit d’humour, vérifié et validé par l’autorité tutélaire qu’est Meurice à lui tout seul. C’est un pouvoir extraordinaire. On peut se demander, comme le remarquait très justement Eugénie Bastié sur France-Culture ce jour, dans l’émission “Répliques”, s’il est bien utile (elle pense, à juste titre, que non) que le Service Public rémunère via les impôts des amuseurs et autres clowns, qui n’ont souvent d’autres buts que de faire ricaner, et toujours au dépend d’autrui (Meurice est assez spécialiste, avec ses micro-trottoirs, pour faire passer les gens pour des abrutis, voire, tout simplement, de pauvres cons). Tout cela, il faut le dire, est assez malsain. Mais alors, si cela est malsain, comment s’étonner d’“une crise de malsain” au sein du malsain “institutionnel” ? Apparemment, c’est encore possible, ce que conteste Meurice. Mais la saillie sordide de ce dernier signale, avant tout, une pure obscénité de l’esprit. Quand bien même Netanyahou est un fieffé malfaiteur, un démagogue d’extrême-droite, un exécrable Premier Ministre qui, il l’a dit lui-même, sait qu’il devra “rendre des comptes”, est-il drôle et hilarant de le traiter de “nazi” ? Non. Mais, d’une manière plus générale, on peut dire qu’il n’est jamais drôle de traiter qui que ce soit de “nazi”. Mais, abjecte précision de la part de Meurice, Netanyahou est un “nazi sans prépuce”, entendez, circoncis, donc juif. Pour ceux et celles qui n’auraient pas eu à l’esprit que Netanyahou est bien juif, Meurice nous le rappelle, car lui, il le sait, Netanyahou est circoncis. Il s’agit donc d’un juif nazi. Voilà l’oxymore vomitif rendu par Meurice. C’est d’une rare élégance. Et ce, d’autant plus, que 26 jours plus tôt le peuple juif a souffert d’une sorte de “Shoa par balles” comme on n’en avait pas vécu depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et il faut rappeler que les victimes, les familles, les proches, sont encore dans le deuil de ces atrocités commises par le Hamas, et ce, quand le deuil est possible, c’est-à-dire quand les corps sont identifiables, ce qu’ils ne sont pas tous, car notamment, — pardon pour cette précision —, les exécuteurs du Hamas ont aussi attaché ensemble des êtres humains avant d’y mettre le feu. Dans ces lourds jours d’effroi, de deuil possible ou impossible, de stupeur, d’abomination, voici qu’un “humoriste” entend nous faire ricaner, avec sa plaisanterie ignoble. Et personne ne rit. Du moins, ceux et celles qui ont ri ne se sont pas fait connaître… En tout temps, il ne serait déjà pas drôle de traiter un Premier Ministre israélien de “nazi”, car on peut reprocher beaucoup de choses à la politique israélienne, mais probablement pas celle d’un penchant effectif pour le nazisme. Il est donc impossible qu’une telle saillie verbale devienne drôle. Ce que conteste Meurice. On peut estimer que cela, cette arrogance, cette imbécillité, repose entièrement sur la toute puissance dont se pense investi l’individu contemporain ; soit la toute puissance du Sujet face à la Collectivité : “Je peux dire n’importe quoi, ce que je veux, car je sais que je suis dans mon bon droit, celui de la liberté d’expression.” Oui, certes, mais la liberté d’expression ne permet pas, justement, de dire n’importe quoi. Mais l’humour représenterait-il, justement, le domaine d’une liberté sans borne ? Non. Si vous en doutez, dites à votre mari que c’est une “merde”, à votre femme que c’est une “pute”, à votre enfant qu’il est “débile et laid”. Et, s’ils s’offusquent, dites-leur que c’est de l’humour. Bien sûr, c’est si drôle !  

Comme l’a écrit Kant, dans sa Critique de la Faculté de Juger 

« Dans tout ce qui provoque de violents éclats de rire, il faut qu’il y ait quelque absurdité (où l’entendement ne pourra donc trouver en soi aucun plaisir).»

L’humour est assez consubstantiel de l’absurde, c’est une récurrence. Alors, traiter Netanyahou de “nazi” est-il absurde ? Pour ceux qui pensent qu’Israël commet un “génocide” à Gaza, qu’Israël “extermine” les Palestiniens, non, ce n’est pas absurde, c’est vrai. Mais si c’est vrai, alors ce n’est pas drôle, puisque l’humour caractérise une exagération, une déformation du réel, une caricature ; une impossibilité. Or, encore une fois, nombreux sont ceux qui pensent et hurlent depuis des semaines, et dans le monde entier, qu’un “génocide” est perpétré par l’armée israélienne et son gouvernement. C’est bien là que gît peut-être la plus profonde abjection de la soi-disante blague de Meurice, c’est qu’il ne “sort” pas cette saillie pour faire rire, et donc pour bien faire comprendre qu’il exagère, qu’il surjoue, qu’il abonde dans l’absurde, non ; ce qu’il dit là, ce 29 octobre dernier, il le pense

Ce que n’ont pas compris, ou ne veulent surtout pas entendre les prompts accusateurs d’Israël, c’est que le peuple juif, et d’autres peuples d’autres nationalités, est toujours dans le deuil du 07 octobre, et que ce qu’il s’est passé là, ce 07 octobre, n’est pas forcément oubliable et aboli par la réplique de Tsahal, soit l’entreprise de destruction totale du Hamas. Entre parenthèses, des soldats qui préviennent les civils qu’ils vont bombarder la zone dans quelques heures et qu’il faut donc partir — ce que le Hamas empêche systématiquement —, voilà des nazis bien humanistes ! Mais à peine la première journée de bombardements effectuée sur Gaza, déjà, les coupables, ce n’était plus le Hamas, mais Israël. C’était tellement prévisible…

II

Il paraît que Preciado est “philosophe”. Avec un Master de Philosophie, c’est un peu court. Soit. Mais comment un “philosophe” peut-il écrire cela, dans le journal Libération du 30 octobre 2023 ?:        

« Si nous ne sommes pas capables de dénoncer à la fois le Hamas et la politique coloniale et militaire d’Israël, si nous ne sommes pas capables de pleurer à la fois les victimes du Hamas et les victimes de l’armée israélienne, si nous ne sommes pas capables de parler ou d’agir de peur d’être appelé·es “anti-occidentaux” ou “antinationalistes”, alors nous devons assumer le fait qu’un jour on parlera de nous comme des plus grand·es criminel·les de l’histoire. On dira il y a eu Guernica, Auschwitz, Hiroshima, Srebrenica, Rwanda. On dira il y a eu Gaza.»  

Cela, c’est cette suite de noms de lieux : « Guernica, Auschwitz, Hiroshima, Srebrenica, Rwanda, Gaza ». Que signifie cette suite ? Preciado y voit-il, à chaque fois, une équivalence ? Ne se rend-il pas compte ce qu’il y a là quelque chose de problématique à lister ainsi les lieux de chacune de ces horreurs ? Et il faut tout de suite dire qu’il est tout autant problématique d’isoler Auschwitz en tant que tel, comme le fit en son temps Adorno, et plus récemment Agamben (dans un titre par ailleurs plus que douteux). Auschwitz n’est pas la métonymie de la Shoa, c’est l’un des lieux-symboles, mais ce n’est pas le seul. Toute l’histoire de l’extermination juive ne peut pas être métonymisée sous un seul lieu ; agir mentalement ainsi, c’est réduire l’événement historique, indissociable du nazisme, dont l’un des buts majeurs était la disparition du peuple juif de la surface terrestre. Et cet événement catastrophique dans toute l’Histoire de l’Humanité a pris du temps. Mais peu importe les longueurs de temps, dans la respiration médiatique, on veut nous faire déjà penser — “réagir” c’est mieux —, à ce qui se “passe” à Gaza depuis un mois, tandis que nous n’avons pas encore pensé (le pouvons-nous ?), ce qui s’est passé le 07 octobre en Israël. En nous entraînant dans la suite de la logorrhée médiatique, qui nous enfonce dans la gorge et les oreilles au quotidien ses rations d’horreur, nous ne sommes pas obligés de tout digérer, de tout analyser, de tout comprendre. Avons-nous “compris” la Shoa ? Avons-nous “compris” le Rwanda ? Et la liste est longue de ce que nous n’avons pas encore compris. Preciado, lui, semble avoir tout compris, puisqu’il aligne une liste, certes restreinte, de noms qui symbolisent, pour lui, l’horreur et les génocides  — à laquelle il aurait pu ajouter les Amérindiens, les Herero et Nama, les Arméniens, parmi d’autres probablement. Mais ni Guernica ni Hiroshima ne peuvent être, par exemple, qualifiés de lieux-métonymiques de génocides. Mais pourquoi pas ? Et qui ou quoi en décide ? Rappelons qu’un génocide peut être qualifié depuis au moins l’un de ces cinq critères, d’après la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ici

« Article premier  

Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.

Article II

Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) meurtre de membres du groupe

b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;

c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;

d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »  

Dans tout ce qui touche à la souffrance l’humaine, la moindre pensée doit prêter attention à la décence qu’elle porte à son sujet. Or, la “liste” de Preciado est indécente ; pis, elle est obscène. Car on ne peut pas aligner comme des perles sur un même collier une somme d’horreurs dont la pleine pensée, et pour un seul cerveau, est à peine, justement, pensable. Qui peut, déjà, penser l’horreur du 07 octobre 2023 en Israël ? Nous ne sommes que le 30 octobre, et pour les familles, les médecins légistes et rabbins qui recueillent les fragments de corps, pour le trauma national, non, ce n’est pas encore pensable. Cependant, face aux événements du 07 octobre, comme d’habitude, la parole médiatique déblatère, et invite à déblatérer n’importe quel “spécialiste”, n’importe quel “penseur”, à vite venir recouvrir de paroles des abominations qui ne sont pas encore nommables. Or les media obligent à avaler l’événement ; c’est un véritable gavage. Mais qui accepte d’être gavé ? Et qui se sent obligé de venir “gaver” ? Tout cela, cette appréhension de la pensée, du penser, apparemment, Preciado, dans sa “puissance” synthétique, en fait fi, et il balance sa “liste”, mettant tout dans le même panier. Donc, pour reprendre la liste métonymique, Auschwitz = Gaza ? Rien que d’écrire cela est absurde et honteux. Non pas que les milliers de morts gazaouis et étrangers ne comptent pour rien, mais il est obscène et indigne d’aligner de soi-disant équivalences historiques, dont le résultat relativiste, voire révisionniste, est la dilution du statut spécifique des victimes dans un sordide brouet qui nie la dignité, justement, des victimes et de leur propre historicité, historicité qui ne peut être ravalée au rang d’un signe égal. Maintenant, les forces israéliennes se livrent-elles à un génocide à Gaza ? Je n’en sais rien, et ce n’est pas à moi de le dire, il faudra peut-être un tribunal pour cela. Israël aurait-il pu “moins” bombarder Gaza ? Je n’en sais rien non plus, je n’en ai aucune idée. Ce que je sais, c’est qu’Israël est en guerre depuis le premier jour de son existence, soit depuis le 14 mai 1948. De quelle autre contrée au Monde, avec une constance égale pour de nombreux pays limitrophes ou plus éloignés, a-t-on voulu la disparition depuis 75 ans ? À ma connaissance, aucun. Ce que je sais, c’est que les juifs n’ont pas connu une telle incursion exterminatrice de masse depuis la “Shoa par balles” (on distingue la Shoa concentrationnaire, et la Shoa par balles, soit celle principalement exercée dans l’Est de l’Europe jusqu’aux portes de la Russie). Comment “comprendre” cela ? Comment le “synthétiser” ? Surtout, et d’autant plus, quand on se trouve bien au chaud, chez soi, à des milliers de kilomètres ? Il faut être sérieux, respectueux et humble avec la tragédie. Mais les bombardements sur Gaza ont déjà, dans beaucoup d’esprits, pris le pas sur ce qui s’est passé le 07 octobre, et, dans la liste de Preciado, il y aurait pu y avoir le nom de Sderot, en tant que lieu-métonymique. Il n’y est pas. Autrement dit, l’omission du moindre lieu juif dans la liste obscène de Preciado constitue une obscénité dans l’obscénité ; et je n’ai cité que quelques lignes, nul besoin d’en lire davantage. 

Mais certainement que beaucoup d’individus ont déjà fait équivaloir les atrocités du 07 octobre avec les bombardements sur Gaza, et donc, ces mêmes individus doivent se dire, quelque part dans l’esprit : “match nul”, voire pire ; il est fort probable que l’on doit estimer, dans sa petite tête de géopolitiste spontané, que là, les israéliens exagèrent ; ils tuent “trop” de gens, il “faut” arrêter. Mais je ne vis pas dans un pays dont on a juré l’anéantissement depuis 75 ans. Je ne vis pas dans un pays où, depuis des décennies, on peut, dans la rue, être pulvérisé par une roquette du Hamas ou du Djihad islamique, sans que, pour autant, ce même pays ne déclare la guerre. 

En alignant sa liste, Preciado, qui se prétend un rebelle au normatif, un “anti-système” de ce que vous voulez, tombe dans le piège classique du consommateur d’images et d’événements, soit une sorte de créature pavlovienne qui a toujours tout compris sans rien savoir, mais qui a ses exigences et ses “vérités” ; soit exactement le profil type du consumériste, à quoi l’on doit tout, et qui ne doit rien à personne. Or l’Histoire ne se consomme pas, elle se pense, et si les media la veulent prémâchée pour nous, c’est leur problème, pas le nôtre. Et seule cette liste suffit à montrer l’obscénité dudit, car la prophétie faisant de nous des plus grands criminels de l’histoire relève d’une bien outrecuidante tartufferie. Mais, à la limite, rien n’empêche à Preciado de prendre les armes et d’aller combattre à Gaza contre Tsahal. 

Mais l’obscénité connaît toute une gradation, et Preciado n’est pas le seul à verser dans cette dernière. Voici ce qu’écrit un correspondant du journal Le Monde, dès le 07 octobre dernier :« Le Hamas palestinien peut se targuer d’avoir mené, samedi 7 octobre, avec un succès qui dépasse peut-être ses espérances, l’acte de guerre contre et sur Israël le plus meurtrier depuis la naissance de l’Etat juif, en 1948. En perpétrant ces massacres, principalement contre des civils, le mouvement islamiste assume mettre dans la ligne de mire d’Israël l’ensemble de sa hiérarchie militaire et des milliers de vies de civils. » 

Est-il nécessaire d’indiquer que des terroristes peuvent se « targuer » de massacres ? En quoi est-ce un « succès » que (pardon), d’éventrer des femmes enceintes et de brûler vif des enfants ? Surtout, le journaliste parle d’« acte de guerre ». Non, ce qu’ont commis les terroristes du Hamas le 07 octobre, dans les kibboutz et au festival de Réïm, ne sont pas des actes de guerre ; ce sont des massacres doublés d’actes de barbarie. En sus, le Hamas n’est pas une armée, au sens régalien du terme. Mais le journaliste le dit plus loin, qu’il s’agit de massacres. Mais une armée, justement, ne commet pas de massacres, même si elle tue, en cas de conflit, c’est ainsi. Le Hamas est une milice fasciste terroriste. Les media sont incapables d’apporter la moindre décence à quoi que ce soit, mais ce n’est pas une raison pour y renoncer, et, surtout, la bafouer. Jouer le jeu médiatique, donner des mots à sa cybernétique sans tête, c’est ballotter dans le même flot boueux dans lequel surnagent davantage d’horreurs que d’épiphanies, c’est comprimer la pensée dans une bulle d’air ; cela ne veut rien dire. Il faut y résister, sous peine de dire n’importe quoi, et de ne plus penser, si jamais on en fût capable.  

PS. L’extrait issu du journal Libération n’est pas une erreur de trajectoire, on trouve par exemple dans le magazine Les Inrockuptibles cet encore exemple type de concaténation historico-pseudo conceptuelle qui confine à l’absurde :« Nous vivons une époque fascinante qui ressemble à la fin du XVe siècle, lorsque le capitalisme colonial s’est lancé dans l’entreprise coloniale en l’Amérique (sic), lorsque l’imprimerie s’est développée et que le projet de sécularisation des connaissances qui mènerait à la fois à la Shoah et à Hiroshima s’est déployé. » Vous avez bien compris ? Le processus de sécularisation des connaissances — sous réserves que cette obscure expression signifie quelque chose —, mène droit aux deux événements cités. Comment voulez-vous argumenter là-dessus ? Peut-être ne sommes-nous pas à la hauteur, car il paraît, vox media, que Preciado est l’un des grands penseurs de notre temps. Ça doit être cela… De fait, Philosophie magazine (12/2022) nous le dit :« Le philosophe, à partir des pratiques écologistes, trans, féministes, anti-racistes, anti-capitalistes, entend révolutionner le monde ». Et sur le site du Centre Pompidou, nous lisons qu’« [i]l est l’un des penseurs contemporains les plus importants dans les études du genre, des politiques sexuelles, et du corps.» Mais, si cela est avéré, s’il est un spécialiste de ces choses, que ne reste-t-il dans son jardin ? La plupart des philosophes connaissent un champ spécifique et s’y maintiennent, car ils n’oublient jamais d’où ils parlent, et seuls les grands philosophes peuvent embrasser diverses disciplines sans jamais dire d’absurdités ni plonger dans l’indécence ; or, de ce type de grand philosophe, la France n’en connaît pas, et ils sont rares à l’échelle mondiale. Le seul qui vient à l’esprit est l’étasunien Hilary Putnam (1926-2016). Voilà un penseur qui a contribué décisivement à la philosophie de l’esprit, à la pensée de l’éthique, tout autant qu’à la théorie quantique, sans oublier la philosophie des mathématiques, parmi d’autres domaines, en y apportant, à chaque fois, des apports considérables et fructueux. Mais n’est pas Putnam qui veut, cependant qu’il est bien vrai qu’en France, n’importe qui est philosophe, et que même les assermentés médiatiques nous ont, de longtemps, habitués à déblatérer sur n’importe quel sujet avec l’assurance, à chaque fois, de savoir. De fait, ce n’est décidément pas un hasard si la France est le pays de Tartuffe. 

En Une : Pieter van Der Heyde (après Pieter Brueghel l’Ancien), “Avarice” [Détail], 1558, gravure sur papier vergé, 22.5 x 29.5 cm, National Gallery of Art, Washington DC.

 Léon Mychkine

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France