En ce vendredi 14 mai, ayons une pensée pour les 3700 juifs parisiens qui ont été raflés par la police française et puis conduits où nous savons. En ce même jour, je lis un résumé de livre, dans lequel on fait équivaloir la vie moderne, disons, contemporaine, avec ce qu’elle comporte de chance, de choix, de discrimination, le tout assaisonné d’une couche de Covid-19, avec les camps de concentration et d’extermination. Je ne sais pas si la personne qui a publié en ligne ce résumé s’est informée de l’étrange résonance des dates, mais même si on ne le savait pas, la presse nous l’aura rappelé, qu’un certain 14 mai 1941, il se sera déroulé l’un de ses épisodes infâmes et ignobles sur le territoire national, grâce aux bons soins de la police française et de son servile et abominable “gouvernement”. Durant la Crise du Covid, au plus fort, on a vu des citoyens, dans les démocraties occidentales, sous le coup des restrictions sanitaires, aboyer et hurler à la “dictature”. Ce genre de raccourci, aussi, est infâme autant que stupide. Il y a peu, on a pu lire un post qui comparait l’élevage industriel des animaux aux camps d’extermination. C’est évident… Bref. On a compris que la Shoa sert de référent à n’importe quelle souffrance humaine, rejoignant par là, et bien malgré elle, ce qu’on appelle le “point Godwin”. On parle parfois de “Loi Godwin” mais l’appellation est impropre, il ne s’agit pas d’une Loi scientifique. En revanche, il est vrai que de très nombreuses personnes, face à une situation qu’ils jugent anti-démocratique, n’auront pas beaucoup de scrupules à employer des termes tels que « totalitaire », « fasciste », « nazi », entre autres subtiles épithètes. Bien entendu, la plupart des personnes qui s’indignent en employant ces termes n’ont jamais connu le moindre régime afférent à leur jugement. On connaît l’ineffable « CRS SS ! », crié par les petits-bourgeois étudiants leaders de mai 68… Certes, avec le temps, le slogan est devenu assez comique. Mais, à bien réfléchir, il ne l’est pas. On ne se souvient pas qu’un CRS, dans une rue de Paris, aurait appliqué son canon sur la tête d’un étudiant, tout en lui disant, avant de lui perforer le cerveau d’une balle : “Hier ist kein Warum”, « ici il n’y a pas de Pourquoi », la célèbre formule des vrais SS qui, quand un déporté lui demandait “pourquoi ? pourquoi faites-vous cela ?”, dans ses “bons” moments, le SS répondait : “Hier ist kein Warum”. Dans ses “mauvais” jours, le SS lui logeait une balle en pleine tête, et on n’en parlait plus. Personne ne venait le réprimander, bien entendu, c’était extrêmement banal. Ainsi, tous ceux qui comparent notre vie actuelle avec ce qu’ont enduré les déportés, les massacrés, ceux qui ont été torturés dans les cellules française de la Gestapo, tous ceux et celles qui ont été gazés à peine descendus du wagon à bestiau (quand ils n’étaient pas déjà morts de faim et de soif), tous ceux et celles qui ont été abattus dans des fosses communes durant ce qu’on appelle la “Shoa par balles”, dans le Grand Est européen et jusqu’en Russie, alors, vous tous, vous êtes indignes de prendre la parole ou l’écrit pour déblatérer ce genre d’insanité, parce que, ce n’est pas vrai, on ne peut pas comparer notre époque à ce qui s’est passé en termes de terreur, de répression, et d’extermination, à partir du régime nazi. Il est grotesque et sinistre de comparer notre époque avec l’Histoire la plus abominable. Si vous êtes convaincus de vivre sous une dictature, que faites-vous pour la combattre ? Si vous avez épuisé toutes vos ressources de résistance, que faites-vous encore sur ce territoire ? Que ne le quittez-vous !? Ah non ! Pas folle la guêpe… Ailleurs, mais où ? Où retrouverais-je les droits octroyés tout de même par cette dictature ? Pas facile hein ? Récemment, j’ai vu, sur une table de nouveautés, à la bibliothèque, un livre titré Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui. Rien qu’en lisant ce titre, j’ai été révulsé. Mais chapeau ! Quel titre ! Ça va sûrement se vendre, vu le titre, pornographique en diable. Quel rapport, entre management et nazisme ? Son auteur, Johann Chapoutot, en voit de nombreux. La preuve, un ancien SS a fondé une école de management en Allemagne, après la 2nd Guerre Mondiale. Et alors ? Suggérait-il, dans son enseignement, de tirer une balle dans la tête de l’employé récalcitrant ? On le sait, l’Épuration, en Allemagne, n’a pas été faite de manière bien éthique (en France guère davantage) et de nombreux dignitaires ou gradés nazis se sont reconvertis sans problème. Je ne dis pas que c’est normal, mais à partir du moment où le pays permet ce genre de reconversion, alors, pour le dire brutalement, où est le problème ? Et puis, ce directeur du Management a-t-il jamais exécuté qui que ce soit ? Je ne dis pas qu’il était normal d’être nazi durant le pouvoir hitlérien, mais je me demande toujours, dans ce cas-là, qui, dans les aboyeurs contemporains, aurait été membre du parti nazi, ou bien SS, ou collaborateur, ou passif, ou veule, ou résistant ? Combien de Sophie Scholl ? Combien d’étudiants ont eu le courage de s’opposer, physiquement, par les tracts et les graffiti ; au discours totalitaire ? Et quant à vous, quand vous sortez pour brailler dans la rue, êtes-vous aussitôt arrêté, interrogé, voire torturé, jugé et condamné par des SS, et décapité, comme le furent les membres de la “Rose Blanche” (Die Weisse Rose) ? Non, vous pouvez brailler tout votre soûl, il ne vous arrivera rien de grave (je ne parle pas ici des gilets jaunes, j’en ai traité ailleurs, mais rappelons que les tirs de LBD ont été utilisés en banlieue parisienne des décennies avant le mouvement des gilets jaunes, mais bon !, un français d’origine magrébine — un arabe quoi ! —, éborgné, cela intéressait qui ?).
Je le redis, il est parfaitement possible de critiquer notre “système”, comme on dit, mais il est absurde et offensant de le comparer avec le régime hitlérien. Mon grand-père a été “travailleur STO”, à Hanovre. Les Allemands lui avaient dit que s’il fuyait cet ordre de déportation, ils tueraient femme et mère. Mon grand-père a obtempéré. Il a subi les bombardements alliés, américains (terrifiants, parce qu’ils volaient à haute altitude et n’avaient cure de cibler) et anglais (plus avisés et volant plus bas). Il a vu des gens partir en flammes sous les bombes au phosphore. Il a bien sûr failli mourir plusieurs fois, mais je ne l’ai jamais entendu ne serait-ce qu’une seule fois comparer son sort avec ceux qu’il avait vus, parfois, passer dans le camp, et qu’il appelait les « pauvres juifs ». Au STO, il mangeait, comme tous, chaque jour, du rutabaga ; et, une fois rentré en France, il n’en a plus jamais mangé de sa vie. Mon grand-père, comme tant d’autres, a été employé par l’Allemagne nazie, mais, je le redis, jamais il n’a comparé son sort avec ceux qui étaient déportés dans les camps de concentration et/ou d’extermination. Cela s’appelle l’intelligence, et, surtout, la décence.
Ce petit passage biographique, je l’espère, permettra, tant que faire se peut, de remettre les choses à leur place. Les choses, dans notre société, ne sont pas parfaites, et il existe de très nombreuses injustices, mais je ne vois pas, et je ne dois pas être le seul, le moindre point commun avec un régime tel qu’inventé par Hitler et ses sbires. Encore une fois, dire qu’il y des rapports, des points de comparaison, c’est indigne et honteux pour toutes les victimes du nazisme, qui, ne l’oublions pas non plus, aura causé la mort de 50 millions de personnes.
Léon Mychkine