Journal #8. Comte-Sponville en Ehpad

André Comte-Sponville, bien connu des marchands de tapis, était l’invité de l’émission “C politique”, sur France 5, ce dernier dimanche, hier donc. Il venait pour un énième bouquin écrit par lui, ou un nègre, ou par ChatGPT ; et, surtout, pour donner son avis éclairé sur les sujets abordés. Sur chacun, comme un gimmick, l’animateur en chef, Thomas Snégaroff, demandait au “philosophe” : Que peut la Morale face à ça ? Et, à chaque fois, le vendeur d’air en boîte répondait : Rien. Ça en devenait comique. Bien entendu, en tant que philosophe de supérette, le pauvre homme était bien incapable de définir la Morale autrement qu’en des termes dix-neuviémistes anté-Nietzsche, c’est-à-dire rien d’autre qu’en “bien” et “mal”. Quelle découverte ! Et tout problème actuel, des retraites aux méga-bassines, était renvoyé à la dualité Légal/illégal, tel que, si tel sujet était fondé sur la légalité, alors c’était réglé. Réglé par quoi ? La Démocratie.   

Avec Comte-Sponville, tout est huilé par sa Sainte Quintuplarité absorbante Bien/Mal, Légal/Ilégal, Démocratie. C’est simple, c’est pratique, ça ne me mange pas de pain de mie. Heureusement que Léna Lazare, militante du mouvement Les Soulèvements de la Terre, et donc considérée comme “éco-terroriste” par notre Ministre de l’Intérieur qui a toujours un problème traumatique avec l’autorité, et qui doit remonter à l’enfance (il suffit de voir ses mimiques et sa manière de parler), et Anthony Cortes, journaliste investigateur des questions écologiques, étaient présents sur le plateau pour rappeler que, de temps en temps, dans l’Histoire de notre beau pays, il est nécessaire de se révolter contre l’ordre établi afin d’obtenir des avancées sociales. Ce qui est bien entendu véridique. Pour ne pas rester en reste sur cette petite indication subversive, le Comte-Spongeville (il éponge tout), a renvoyé à l’exemple du Régime de Vichy, et à demandé si nous étions encore sous ses lois, et la réponse étant négative, il n’a rien ajouté, ayant probablement induit par là que cet exemple historique était imparable pour comprendre si une situation actuelle était politiquement légitime ou non. Entendez : Puisque nous sommes en démocratie (et pas sous Vichy), puisque je vous le dis, sans d’ailleurs en donner la définition (Aristote eut été utile pour rappeler la définition de la Démocratie), alors tant que c’est voté, légal, c’est légitime. Argument imparable ! Donc, on y revient, on se répète, privilège de la sénilité : Si c’est légal, c’est tout bon ! On l’a bien compris, ce n’est pas avec Dédé l’Éponge que nous allons faire la révolution, même, ne serait-ce, que de refuser le changement d’heure (c’est légal). La philosophie aura bien souffert, ou aura été pliée de rire durant toutes les interventions de ce philosophe d’opérette, qui, certes, il faut lui reconnaître, sait vendre du papier (les arbres le détestent). 

Ce qui devenait exaspérant avec Dédé l’Éponge, c’est que, face à chaque conflit, chacun avait ses raisons. Les activistes avaient  “sûrement” raison de se révolter contre les méga-bassines, et les paysans avaient “sûrement” raison de les défendre… Plus consensuel, tu ne peux pas. Plus mièvre non plus. Mais il ne faudrait pas que ses charentaises prennent feu sous l’intensité électrique de sa pensée.

Moralité, l’avenir, c’est pas Dédé l’Épongé — prêt pour des cours en Ehpad —, ce sont eux :

Léna Lazare, Anthony Cortes

PS. Je tiens à dire que je n’ai jamais lu un seul livre de Dédé Sponville. La seule fois où j’ai feuilleté l’une de ces productions, c’était lorsqu’a paru le livre “à quatre mains”, La sagesse des modernes : dix questions pour notre temps : essai, en 1998, écrit avec Luc Ferry (Lulu Ferry-boat pour les intimes). Je m’en souviens assez bien. Je me trouve au rayon philo de la Fnac d’Orléans. et je vois ce pavé (580 pages !). Je souris d’avance au plaisir intellectuel que je vais ressentir en pérusant en son intérieur. Je n’ai pas été déçu. Afin de vérifier la solidité du livre, j’ai ouvert plusieurs fois au hasard, en lisant ce qui me tombait sous l’œil ; et à chaque fois je crois pouvoir me rappeler qu’était toujours sertie là, fébrile, impatiente, telle une perle du Vietnam, une bonne grosse connerie à savourer. Et m’en reviennent même deux ! Je ne sais plus de qui elle provient, mais elle sont véridiques. À un moment, les éminents penseurs parlent de musique, et l’un d’eux (pardon !) déclare qu’il échangerait volontiers toute l’œuvre de Boulez contre une chanson des Beatles ! Avouez qu’ « ça s’coue l’palto ! », comme disait mon grand-père. Bien entendu, face à un tel énoncé, qui, littéralement, tombe sous le sens (aplati), l’autre acquiesce. Et puis cette seconde : À un autre moment, l’un de ces fidèles serviteurs de la philosophie déclare qu’après Picasso, en peinture, il n’y a plus rien eu ! Et l’alter ego d’abonder.Vis-à-vis à de tels énoncés, si riches, si puissants, on se rend compte qu’il doit falloir du temps pour lire un tel ouvrage, pour bien en saisir toutes les facettes et les nuances. N’est-ce pas étourdissant ? Quel exploit, tout de même, que de pouvoir écrire et dire autant de conneries en un seul livre ! Je crois me souvenir qu’il y avait des parties de dialogue, et des parties textes, mais chacun alors signé proprement par l’un des deux auteurs ; autrement dit, chacun sa petite crotte, dont on ne peut, légitimement, qu’être fier, puisque c’est tout ce que l’on peut produire.  

En Une : Georg Scholz. Les Paysans-Industriels [détail], 1925

Journal #4 (De la niaiserie)

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA France