La violence du réel chez Garry Winogrand

Avertissement : Quelques publicités font leur apparition sur Article. Les efforts ont été faits pour ne pas qu’elles soient envahissantes. Afin de soutenir le site, merci de désactiver votre Adblock, uBlock Origin, et/ou équivalent pendant votre navigation. Merci de votre compréhension, et donc, de votre soutien !


 

Garry Winogrand, “American Legion Convention, Dallas, Texas”, 1964, Fifteen Photographs, 1974 (Portfolio), Fifteen gelatin-silver prints in presentation portfolio box 64/75 

Au milieu de nulle-part, une zone passante, une moitié d’homme. Personne ne le calcule. Il est seul. Certes, dans l’image, chacun est seul, mais occupé, à penser, à regarder la rue, le ciel, le photographe. Le cul-de-jatte le regarde. Ils se regardent. C’est le seul échange dans cet image, où, sinon, personne ne considère personne. Il y  a bien ces deux hommes, l’un au calot l’autre contre le mur, qui fixent Vinogrand, mais Vinogrand doit être en train de focaliser sur l’infirme de guerre, même s’il ne pointe pas son appareil directement sur lui ; c’est bien lui le sujet de l’image prise. Ensuite, l’inconsidération des personnages semble un peu surjouée. On peut supposer que personne ne veut croiser le regard de l’invalide de guerre, moitié-homme moitié-sol. Car c’est étonnant comme il adhère au sol, dont on dirait qu’il a jailli. Je me demande comment il se déplace. L’image populaire, c’était une caisse à savons sur roulettes, avec dans chaque main une sorte de fer à repasser, en fonte…

Garry Winogrand, “Los Angeles, California”, Fifteen Photographs, 1974 (Portfolio), Fifteen gelatin-silver prints in presentation portfolio box 64/75

Situation quasi semblable, mais un peu antécédente : Ici, il s’agit de contourner ce que l’on voit, comme si ce pauvre mendiant dans son fauteuil roulant allait bondir comme un jaguar sur les trois créatures pour le coup parfaites. L’éclairage tombe à pic pour départager les lumières des ténèbres — t’en es, ou t’en n’es pas — avec les ombres fantastiques des jambes, qui achèvent de triangulariser le motif intime. Le bon moment, le moment exact. C’est cela, aussi, la photographie : être là exactement quand il le fallait. Et paradoxalement cela ne se commande pas, c’est vraiment lié au kairos. L’infirme semble bien fatigué, épuisé, tandis qu’il est visé du regard par les trois femmes et le jeune garçon sur le banc. La première, en partant de la gauche, à l’air prise d’empathie, la seconde a l’air un peu étonnée, et la dernière semble un peu désapprouver cette attitude de vaincu. Là encore, la photographie n’est pas orthogonale, ce qui est une des caractéristiques de la prise chez Winogrand.

Garry Winogrand, New York, 1968

Samo samo. Une vieille dame au sol, le visage et ses gants blancs ensanglantés. Accident ? Agression ? Combien regardent ? Combien assistent ? Une seule, sœur de son état. Son chapeau est tombé à côté, sa tête repose sur son cabas, et elle semble consciente, car son index gauche est tendu. Elle doit parler, un peu. Mais, visiblement, personne, pas même la sœur, ne sait quoi faire. Nous n’apprenons toujours pas à secourir notre prochain.

Léon Mychkine


Faites un don pour Article en cliquant sur → PayPal