Le “cas” Lévêque. Entre tribunal “populaire” et censure

Avant d’en arriver au “cas” Lévêque, dont on fait des choux gras, et des bonnes consciences à la pelle, il est nécessaire de se questionner sur le contexte intellectuel qui a permis qu’on en arrive là, c’est-à-dire, il ne faut pas se leurrer, toujours au SILENCE ; car rappelons, que selon une enquête Ipsos 2109, en France, chaque année, 130.000 filles et 35.000 garçons subissent des viols et des tentatives de viols. La vérité, c’est ça. Chaque fois qu’une affaire de pédophilie éclate, c’est souvent pour des faits anciens, rarement pour des faits actuels. Que doivent penser les victimes, d’aujourd’hui, de ce qui leur arrive ? Qu’il leur faudra attendre vingt ans pour en parler ? Que leur bourreau n’est pas assez connu ? Les cas des célébrités, ont la “chance”, si j’ose dire, d’être révélés au grand jour ; on en parle, ça secoue le cocotier médiatique, et puis ça retombe, comme une belle poussière débarrassée de ces impuretés, poussière qui, de nouveau, étouffe ce qu’il continue de se passer dans le monde réel, là où des centaines de corps, chaque jour, sont heurtés, abîmés, blessés souvent par leur plus proche parent. Que fait-on pour tous ces enfants ? Que fait-on pour tous ces corps adolescents ? Relisez ces chiffres, plus haut, et demandez-vous si les viols d’enfants et d’adolescents ne constituent pas l’un des plus grands tabous de notre société si développée ?

Si j’étais d’obédience lacanienne (mais ma came c’est plutôt Freud), il y aurait déjà beaucoup à dire sur le patronyme… Lévêque… (Vous voyez ? Clergé, enfants de chœur, etc.). Mais je vais m’abstenir. Trop facile. Plus difficile, en revanche, est la sempiternelle question de l’homme et l’œuvre. Et encore… Socrate était pédéraste, comme la plupart, à l’époque des aristocrates ou personnalités cultivées. Soit. Autre temps, autres mœurs. Le Marquis de Sade a été condamné pour avoir séquestré et violenté Rose Keller à six mois de prison au château de Saumur, puis au château de Pierre-Scize. Ajoutons qu’il fut banni des terres familiales de La Coste, en Provence. 258 ans plus tard, cette “affaire” ne nous fait ni chaud ni froid. Certes, Sade pourrait nous paraître un répugnant personnage ; il était une sorte de bandit sexuel, prêt à commettre des actes sado-non-masochistes (justement) sur des personnes non consentantes, ou rémunérées pour. Oui. Nous savons cela. Sade est-il un grand écrivain ? Oui. Devrions-nous avoir honte de le lire ? Non. Pourquoi ? Parce que l’œuvre de Sade, en grande partie, si elle assume des fantasmes et des actes sexuels et des tortures, est fictionnelle ; Sade écrit des romans, des pièces de théâtre, etc. Et, fait non aggravant, il n’y a pas de pédophilie chez Sade. En sus, bien évidemment, tout ce qu’il écrit n’est pas nécessairement vrai ; et, de fait, il écrit magnifiquement la langue française, et, de surcroît, je crois qu’y voir seulement, comme d’aucuns, uniquement un “ théoricien de la violence sexuelle” (comme l’écrit J.F. Kahn dans le Huff Post, so chic !), c’est un peu court. Il m’a toujours semblé que l’œuvre sadien peut être considéré comme une vaste et cruelle métaphore de l’ordre libéral (resituons les concepts) dans son usage des corps. Mais j’y reviendrai un autre jour. Comme je l’écrivais : Autres temps autre mœurs. Posons la question: Quelles œuvres de Claude Lévêque constitueraient une illustration et défense de la pédophilie ? Je n’en sais rien, n’étant pas un spécialiste de son œuvre, mais j’ai tout regardé sur son site électronique. Par ailleurs, il est tout à fait évident qu’en 2021, il serait insupportable de lire ou de voir quelconque sublimation ou déclaration énamourée pour la pédophilie. Mais, faut-il ajouter, c’est devenu insupportable, car cela ne fut pas toujours le cas. En 1979, l’écrivain Tony Duvert, célèbre tant pour sa plume (il écrit bien mieux que Matzneff, vulgaire proxénète des cœurs) que pour sa pédophilie, au cours d’un entretien dans Libération (oui oui, le journal) mené par Marc Voline et Guy Hocquenghem, dit ceci :

« Or, pour moi, la pédophilie est une culture ; il faut que ce soit une volonté de faire quelque chose de cette relation avec l’enfant. S’il s’agit simplement de dire qu’il est mignon, frais, joli, bon à lécher partout, je suis bien entendu de cet avis, mais ce n’est pas suffisant… Certes, on peut créer des relations sauvages tout à fait personnelles ; mais il n’est pas question de se contenter de relations sauvages si on a affaire à des enfants. Il est indispensable que les relations soient culturelles ; et il est indispensable qu’il se passe quelque chose qui ne soit ni parental, ni pédagogique. Il faut qu’il y ait création d’une civilisation. Quand j’écrivais par exemple  Jonathan je montrais déjà un pédophile qui ne peut pas établir une véritable relation avec un enfant ; lui, Jonathan a une relation de pure passivité avec l’enfant, il a une espèce de lieu où l’enfant existe, et il ne peut pas faire davantage. Beaucoup de gens auraient voulu un personnage de pédophile plus romantique, plus actif. Ce qu’on pouvait faire de mieux avec l’enfant, c’était, pour moi, de s’abstenir. Et L’île Atlantique est encore plus pessimiste.»

On pourrait s’attarder longtemps rien que sur cet extrait, infâme et inouï s’il en est ; révélateur de la toute puissance du mâle (tout autant du mal), qui est assuré que ses pulsions sont universelles, compréhensibles et partageables pour tous, quel que soit l’âge. C’est absolument inqualifiable. Mais passons, pour reprendre de la hauteur (si cela est loisible, dans ce terrain fétide et marécageux) : En avril 1979, on peut déclarer, dans les colonnes de Libération, que la pédophilie est une culture, mieux (pire) une civilisation ; Voline et Hocquenghem ne s’arrêtent pas même là-dessus, l’affaire est entendue, évidente, ça passe très bien. Pour preuve, la question qui suivra n’a aucun rapport avec ce qui vient d’être dit. La question que l’on peut se poser c’est : Qui, lisant cet entretien, a eu envie de vomir ? Qui, en lisant cet entretien, s’en est trouvé tout justifié ? Je ne peux pas supposer que le lectorat masculin (au hasard) fut unanimement d’accord avec ce que disait Duvert ici. Mais, question suivante : Ce qu’a déclaré Duvert a-t-il fait l’objet d’un scandale, d’une enquête ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que l’“époque” l’entendait, et je parle bien ici de ce qu’on appelait l’Entendement, ‘Verstand’ pour Kant, ‘Understanding’ en philosophie anglaise ; soit la faculté de bien comprendre la réalité. Classiquement, l’Entendement s’oppose à la Sensation, et, nous le savons, le désir et l’attirance sexuelle ne ressortissent pas à l’Entendement ; nous savons rarement pourquoi nous désirons qui que ce soit, et encore moins pourquoi nous ne désirons plus, et il en va de même pour l’amour : qui peut savoir pourquoi il “tombe” amoureux, et pourquoi on n’aime plus ? Le domaine de la sexualité, par essence (formule littéraire) est sensitif, il est lié au sentir, tout autant qu’à l’animalité, et il appartient à certains moments de la vie absolument privés (on ne copule pas dans les jardins publics, et on ne montre pas son sexe dans la rue, c’est interdit et justiciable. En revanche, on peut voir une discussion rationnelle, ou plus ou moins, avec n’importe qui). Nous serons d’accord pour dire que “succomber” à la beauté d’un enfant ou d’un jeune adolescent n’est pas normal, et que, quand bien même une personne rationnelle davantage que sensitive pouvait être troublée par la beauté d’une jeune personne, il serait hors de question, hors de propos, d’y voir ici la moindre opportunité. Pourquoi ? Parce que les enfants et les jeunes adolescents ne sont pas des objets sexuels. Que l’enfant, dans son jeune âge, ait une sexualité propre, Freud en a découvert le domaine, mais justement, ce domaine sexuel ne doit, en aucun cas, être convoité par le “domaine” sexuel de l’adulte. Car bien entendu, laisser, en tant qu’adulte, cette attirance se verbaliser, se signifier, envers la jeune personne, c’est fracturer corps et psyché de cette même personne. C’est un crime majeur. Et tout psychologue, psychiatre, vous le dira : un enfant abusé sexuellement (comme si l’expression n’était pas redondante), n’a plus d’intérieur ni d’extérieur : son corps est “ouvert”, laissé au gré de qui que ce soit, l’intimité n’existe plus ; il s’agit bien d’un viol, dans tous les sens du terme. De fait, tous ceux qui se réfugient benoîtement dans le consentement sont partisans de cette déviance sexuelle, ou en sont les acteurs. Ce sont de misérables êtres humains. Ainsi, la raison pour laquelle les propos de Duvert, en 79, ne sont pas dénoncés, c’est, qu’à l’époque, ils font consensus. Pour preuve, et deux ans plus tôt, ce passage dans le livre de Finkielkraut et Bruckner, Le Nouveau Désordre Amoureux :

« Au fond, la Loi ne demande aux amants que ceci : de ne pas faire les enfants ; en d’autres termes, de rester pleinement génitaux. Et inversement : le corps de l’enfant demeure aujourd’hui en Occident le dernier territoire inviolable et privé, l’unanime sanctuaire interdit : droit de cité à toutes les “perversions”, à la rigueur, mais chasse impitoyable à la sexualité enfantine, son exercice, sa convoitise. La subversion, si l’on y croit encore, ce serait de nos jours moins l’homosexualité que la pédérastie, la séduction des “innocents” (d’où le scandale que provoquent les livres de Tony Duvert alors qu’ils devraient stimuler, susciter des vocations, dessiller les yeux). »

Quant on a écouté parler parfois Finkielkraut (il faut bien se renseigner), on a toujours eu l’impression d’un monsieur convenable, toujours à la pointe du bon goût et de l’intelligence (certes un peu limitée). Quelle surprise que de lire ce passage sous sa plume et celle de Bruckner! N’ont-ils pas l’air de déplorer que le « corps de l’enfant » soit devenu « inviolable et privé » ? Cela laisserait-il à entendre qu’“avant” l’ancien article 311 du Code Pénal, par exemple, on pouvait aisément entretenir des relations sexuelles avec des enfants ? Je ne suis pas historien, mais je n’ai jamais lu nulle-part qu’en France, par exemple, il n’y eut jamais la moindre tolérance légale pour de tels “rapports”. Toujours est-il que nos deux “auteurs” semblent louanger Duvert, seul capable, selon eux, de nous ouvrir les yeux, mieux, susciter des vocations. Il y a quelque temps, dans l’“affaire Duhamel”, Finkielkraut posait la question de savoir si la principale victime n’avait pas été, par hasard, consentante, et je rappelle que les abus sexuels sur Victor (pseudonyme du frère de Camille Kouchner) aurait donc commencé alors qu’il avait moins de 14 ans. Dans quelle sorte d’esprit, en 2021, peut-on encore se demander si un enfant de, disons 12 ou 13 ans, peut être consentant pour entretenir la moindre relation sexuelle que ce soit avec un adulte ? Finkielkraut s’est fait virer de la chaîne d’information sur laquelle il a déversé ses propos. Ce n’est pas la première fois qu’il aura énoncé des horreurs, mais là, il a dépassé toutes les limites de la décence psychologique. Mais, si Finkielkraut pose cette question du consentement, c’est bien parce que son logiciel mental n’a pas “upgradé” passées les années 90, ou même Y2K ; c’est un vieux logiciel, dans lequel la riposte, toute prête, à la moindre accusation de pédophilie, ou de pédocriminalité, comme on dit maintenant, renvoie direct la “notion” de consentement. Je le dis tout net, c’est une excuse pédophile caractéristique : Se convaincre, s’auto-persuader, que l’enfant ou le jeune adolescent a parfaitement conscience de ce qui lui arrive, qu’il est, pour ainsi dire, et avant l’heure, mûr, et donc, consentant, c’est un raisonnement particulièrement abject ; raisonnement que l’on pourrait nommer le Syllogisme Pédophile :

Tu me plais, c’est “naturel”

Tu ne dis rien, tu apprécies

Donc je vais t’apprendre l’amour

Le pédophile établit un lien fictif de réciprocité, et je suppose qu’il n’interroge jamais sa victime sur son véritable consentement. Non, nul besoin, puisqu’elle l’aime ! La question du consentement est particulièrement prégnante dans les années 70. Pour preuve, cette “Lettre ouverte à la Commission de révision du code pénal pour la révision de certains textes régissant les rapports entre adultes et mineurs”, publiée par les bons offices du journal Le Monde, le 23 mai 1977, qui se termine ainsi :

On voit que, pour accentuer le caractère inique de l’article 331, on convoque l’adultère, l’interruption de grossesse, et les pratiques anticonceptionnelles, autrement dit, et bien souvent, des affaires qui ne concernent que des adultes, tandis qu’ici, on s’intéresse tout particulièrement aux enfants et adolescents.

L’article 311 stipulait : « Tout attentat à la pudeur commis ou tenté sans violence ni contrainte ni surprise sur la personne d’un mineur de quinze ans sera puni d’un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d’une amende de 6.000 F à 60.000 F ou de l’une de ces deux peines seulement. Toutefois, l’attentat à la pudeur sur la personne d’un mineur de quinze ans sera puni d’un emprisonnement de cinq ans à dix ans et d’une amende de 12.000 F à 120.000 F ou de l’une de ces deux peines seulement lorsqu’il aura été commis ou tenté soit avec violence, contrainte ou surprise, soit par un ascendant légitime, naturel ou adoptif de la victime ou par une personne ayant autorité sur elle, soit par deux ou plusieurs auteurs ou complices, soit encore par une personne qui a abusé de l’autorité que lui confèrent ses fonctions.»

Qui y a-t-il de si inique dans cette loi ? Un adulte ne peut pas attenter à la pudeur d’un mineur de quinze ans (et moins), qu’il y ait violence ou pas. Et, s’il y a violence, contrainte, surprise, ascendant légitime, autorité abusive, etc., la peine est alourdie. Cette lettre ouverte fut signée par Françoise Dolto, et cosignée par les noms suivants :

Aussi incroyable (pour d’autres beaucoup moins) que cela puisse paraître aujourd’hui, nous y trouvons les noms de Louis Althusser, Roland Barthes, Gilles Deleuze, Jacques Derrida, François Dolto, André Glucksmann, Gabriel Matzneff, Alain Robe-Grillet, Jacques Rancière, Jean-Paul Sartre… N’en jetez plus ! Qu’avaient-ils donc, tous ces gens, avec cette urgence de refondre l’article 311 du Code Pénal ? Si j’ai bien compris, l’intention des auteurs est d’obtenir l’abaissement de l’âge légal des “relations” en dessous de 15 ans. Mais pourquoi donc ? Quelle est la motivation ? Apparemment, les auteurs sont convaincus, persuadés, savent, qu’il y a un “droit de l’enfant et de l’adolescent” à entretenir des relations avec des personnes de son choix. Mais d’où sort-il ce droit ? Où les auteurs l’ont-ils déniché ? Est-ce un “droit naturel” (jus naturale) ? Rappelons qu’en théorie, le droit naturel, formulé par Hugo Grotius (XVIIe), stipule qu’il y aurait une nature humaine intrinsèque qui repose sur un principe naturel : la préservation de soi. Ça ne coûte pas grand-chose, et il faut juste espérer que personne, dans un voisinage proche ou lointain, ne déploie des velléités belliqueuses. Heureusement, Hobbes est venu peu de temps après, et a tranché entre Droit Naturel et Loi Naturelle, cette dernière fondée sur la Raison humaine. On voit bien que, la disposition à un Droit Naturel existant depuis l’Antiquité, avec Épicure, a pu survivre, dans la société occidentale, une espèce de phantasme que ce qui est naturellement bon pour moi doit aussi l’être pour autrui, et c’est bien cette intrusion anachronique (c’est Hobbes qui fonde l’État Moderne, pas Grotius) qui peut être encore détectée chez les défenseurs du consentement : “Cet enfant, ce jeune adolescent, être sensible et intelligent, est capable d’aimer charnellement un individu plus âgé que lui, car, après tout, et comme on le dit, l’amour n’a pas d’âge”. Mais on voit bien le raisonnement fallacieux qui se cache sous cette exploitation pulsionnelle ; c’est absolument indéfendable. D’ailleurs, un projet de loi, tout récent, en date du 18 juin 2018, consultable ici, stipule clairement ceci :

« Le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l’encontre d’un mineur de quinze ans au motif qu’un mineur de moins de quinze ans est incapable d’y consentir librement : cette protection est assurée par le délit dit de “l’atteinte sexuelle”». On peut lire aussi ceci : « Avant quinze ans, un mineur est réputé ne pas pouvoir consentir librement à un rapport sexuel avec un adulte.» C’est clair. Mais c’est aussi dire à quel point cette notion de consentement a infecté le discours législatif : il est repris à son tour par le législateur en tant que preuve à charge : Il ne peut pas y avoir de consentement à un acte de nature sexuelle avec un mineur de quinze ans et moins, puisqu’il en est incapable d’en formuler la notion, le concept. Il n’est pas prêt.

Ce qui est assez étonnant, dans l’“affaire Lévêque”, c’est que, durant des décennies, on aura exposé l’artiste, contribué à sa notoriété, exhaussé la valeur des ses œuvres, contribué à sa reconnaissance internationale, bref, ça tournait. C’était un Grand Artiste. Et puis, patatras ! une personne, âgée aujourd’hui de 51 ans, l’accuse de relations sexuelles alors qu’elle était adolescente : Le sculpteur Laurent Faulon, installé à Genève depuis près de vingt ans, accuse l’artiste Claude Lévêque, 67 ans, de pédocriminalité. Il l’aurait violé de ses 10 ans à ses 17 ans, ainsi que ses deux frères (Journal Le Temps). Rappelons qu’une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny au printemps 2019 pour « viols et agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans » à la suite des accusations formulées par Laurent Faulon. Une pétition, demandant, en quelque sorte, que justice soit faite à l’encontre de Claude Lévêque, mise en ligne le 27 janvier 2021, a recueilli 945 signatures, au moment où j’écris. Hélas! la pétition termine ainsi : «Enfin, il nous paraît urgent d’identifier les systèmes de domination qui ont rendu ces violences si longtemps possibles.» L’expression «systèmes de domination» est une expression bien commune maintenant, qui ne veut pas dire grand-chose, elle est utilisée souvent par tous ceux qui, au nom des “minorités” (choisies, tout de même), voient de la domination partout, contre quoi les trois rédactrices de la lettre-pétition luttent aussi, à leur manière, en pratiquant l’écriture inclusive, cette nouvelle arme terrible de la nouvelle égalité revendiquée des minorités (choisies, tout de même). « Hélas », parce que, si on lit bien, il ne s’agit que de contribuer à condamner Lévêque, sans preuve, car accusation ne vaut pas condamnation, dans un État de Droit ; et, surtout, à bien rappeler que tout cela, ma foi, c’est le passé. On doit donc en conclure qu’aujourd’hui, c’est réglé, c’est Byzance. Nulle mention des 130.000 filles et 35.000 garçons abusés annuellement, en France. Non, çà, c’est quand même moins fun que de condamner un artiste “déjà” coupable. C’est arrivé à d’autres (Polanski, Louis C.K., Kevin Spacey), et cela arrive à Lévêque. Je ne dis pas que Lévêque est innocent, mais je ne dis pas, non plus, qu’il est coupable. Je n’en sais rien, je n’incarne pas le Ministère de la Justice. Ce que je crois savoir, c’est qu’il est assez patent qu’il a déjà été condamné par les institutions, les administrations dans lesquelles se trouvent ses œuvres, et par une portion de la “communauté” artistique. Quel courage ! J’ajouterai que le retirement de ses œuvres à la vue du public dans tel ou tel musée, telle ou telle mairie, est un acte caractérisé de censure, censure contre laquelle ne s’élèvent absolument pas les 945 signataires de la Pétition “Le tapis sous la poussière. Lettre ouverte suite à la plainte de Laurent Faulon contre Claude Lévêque”, ce qui est, pour le moins, lamentable et dommageable. En plein État de Droit, sous un régime démocratique, face à des œuvres qui n’ont pas été acquises avec un pistolet sur la tempe, voilà que tout le monde, jusqu’en Suisse, retire ce qui, apparemment, est devenu un ensemble de preuves accablant… On dira, un jour, que cette censure est tout autant scandaleuse que délirante. S’en réjouir, c’est se préparer, alors, à être censuré soi-même, quel qu’en sera le motif.

A contrario, la revue Art Press a publié, le 23 février 2021, une tribune pour signaler qu’il était assez essentiel de rappeler le principe de la présomption d’innocence, et qu’ainsi donc, et jusque preuve du contraire, Claude Lévêque n’était pas coupable des crimes dont on l’accuse. Combien de personnalités ont signé cette tribune ? Si je compte bien : 67. Ajoutons qu’on y trouve très peu d’artistes… C’est qu’il en faut aussi du courage pour aller à contre-sens tant du vent que des aboiements. Ceci dit, j’espère qu’aucun des 945 signataires de la pétition condamnant Lévêque n’a jamais, de près ou de loin, entretenu la moindre relation professionnelle ou amicale avec l’artiste, et que, au grand jamais, ils n’ont été au courant de la moindre déviance chez lui, et qu’ils ont tout “découvert” avec la médiatisation de la plainte de Faulon. Et, accessoirement, je suppose aussi que jamais, au grand jamais, aucun des 945 signataires ne s’est jamais inscrit ou n’aurait validé ou consenti au moindre “système de domination”, ni n’en aurait justifié les actes et effets, bien entendu.

En couverture : Claude Lévêque, Problems, 2016, réchaud électrique, néon rouge, Dessin Romaric Étienne, 25 x 20 x 20 cm, Photo Julie Joubert, © ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris

 

 Léon Mychkine