Le corps d’Elvis et celui de Bardot (roman-photo)

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Vers la fin des années 1950, Elvis Presley, sur scène, roulait des hanches de manière très suggestive. En 1956, alors qu’il passe dans l’émission télévisée The Ed Sullivan Show (diffusé du 20 juin 1948 au 6 juin 1971), Elvis est cadré au dessus de la taille, de façon à ne pas propager chez le téléspectateur des ondes érogènes excessives, car, pour sa part, le public, surtout féminin, était en transe. En 1956, Roger Vadim, dès les premières images de son film Et Dieu… créa la femme, filme nue Brigitte Bardot, sagement couchée derrière un drap, au soleil du golf de Saint-Tropez.

La caméra filme, de loin, chevilles et pieds, puis, se rapproche

Un homme est entré dans le jardin et il se dirige vers elle, ce qui permet à la caméra de se placer de l’autre côté

Le cadrage est très étonnant, car c’est comme si la partie inférieure — à ce moment — du corps, disparaissait dans un néant, le hors-cadre. Cela donne une étrange image, avec Curt Jurdens, alias Éric Carradine, de l’autre côté, presque rendu à l’état mou et suspendu du linge qui l’entoure. Image annonciatrice : ici, les poupées de chiffon, ça va être les hommes, pas les femmes, enfin, surtout, La femme, alias Juliette Hardy, qui va en montrer de toutes les couleurs à quiconque s’interposera sur son chemin, c’est-à-dire, sa liberté. Dès le début, donc, tant dans la scénographie que les dialogues, Vadim donne le ton : ici, on va exalter la libre volonté des femmes. Cette libre volonté, on s’en rend compte, semble trop récente pour les mœurs, car dès le commencement la logeuse (famille d’accueil) de Juliette la traite de « dévergondée », ce qui, à l’époque, est assez lourd de sens comme adjectif, et Juliette elle-même semble vite perdue au sein de cette (trop?) grande liberté qu’elle s’est accordée, d’où son comportement et attaches erratiques, ce qui, encore une fois, n’arrange pas sa réputation dans la bourgade. Dévergondée, elle est, et elle sera. Elle embrasse en public son amoureux du soir, ou davantage ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On notera ce long cou, de danseuse, première formation artistique de Brigitte, grand cou qui nous fait penser, encore une fois, à celui de Simonetta Vespucci, peint par Botticelli. Juliette aimerait bien que Christian Marquand, alias Antoine tardieu, l’emmène loin de ce bled, à Toulon, où il réside. Il lui promet, pour le lendemain. Un peu plus tard, dans les toilettes, séparée des hommes et des femmes par un mur qui ne rejoint pas le plafond, Juliette surprend une conversation entre Antoine et une personne, à qui il dit qu’il va se l’“envoyer” cette nuit et puis c’est tout, pas de plan pour après. Juliette, furieuse, quitte le bar et va rejoindre Carradine sur son yacht. Elle est paumée.

Pendant une séquence donnant sur le cimetière tropézien, ce cadrage de Jean-Louis Trintignant, alias Michel Tardieu, transi d’amour pour Juliette, est empêtré dans son inhibition. Ce beau plan entre amoureux éploré et couronnes céramiques funéraires offre un rapprochement mental avec quelque chose de funeste, qui commence à rôder dans le film.

De rebondissements en rebondissements, Juliette finit par épouser… Michel. Elle n’est pas comblée, mais il n’y a plus que cela à faire.

Le soir, dîner de mariage chez la belle-mère de Juliette, qui, peu avant, la traitait de dévergondée. Juliette monte dans la chambre. Tout le monde est à table. À force d’attendre, Michel monte voir un peu ce qu’elle fait. Elle l’attend, commence à le déshabiller, et découvre son torse, son ventre, qu’elle caresse, et, surprise, le trouve beau, et lui dit.

Elle se lève, se place contre le mur, et commence de se déshabiller.

On a compris que Michel est tellement inhibé qu’il est puceau. C’est le soir de son mariage, et la femme dont il rêvait s’offre à lui. Feu d’artifice à tous les étages. Et Vadim filme ce beau plan qui scelle l’union à venir

Il est bouleversé, le beau Michel.

On note le biceps et le froissement des muscles. Et nous ne verrons rien de plus. Et puis, Juliette, vêtue d’un peignoir, se prépare à descendre. Elle a faim. On se dit qu’elle ne va quand même pas oser se présenter, devant la belle-famille, en peignoir… ? Si ! La voici devant la table, à piocher du pain, de la viande, des légumes, du vin, etc. On lui demande si Michel va bien. Elle répond “oui”, et remonte. Et là, décidément, on se dit que cette scène n’a pas perdu de son audace. Qui, le soir de son mariage, oserait agir ainsi ?

Plus tard, c’est la fameuse longue scène de la danse endiablée. Juliette se retrouve au sous-sol du bar de Carradine, où est en train de jouer un groupe. Et c’est parti ! Vadim va offrir la caméra à ce corps qu’il aime tant, qui s’affirme tellement dans sa liberté joueuse et sensuelle.

Et, tout à coup, Vadim va diriger la caméra d’une manière tout à fait inattendue, anti-cinématographique au niveau de ce qu’on appelle le “plan”. Il va commencer par couper le corps de Juliette, en descendant la caméra, et en y restant.

Il ne garde que la partie inférieure. Les jambes. Et ce plan dure, longtemps. C’est tout à fait inhabituel.

C’est cette “femme-jambe” l’héroïne ; ces jambes qui ne s’arrêtent plus de danser, rejointes par celles des musiciens. Composition bien étonnante, encore une fois. Et puis Vadim est tout en bas, filmant vraiment ce que l’on ne filme jamais, sauf nécessité impérieuse (un cadavre), et voici qu’il va faire remonter la caméra, zoomant sur les jambes, jusqu’à l’entrejambe, ayant, pendant ce temps, très certainement provoqué dans le propre corps du spectateur des émotions dont il se sera souvenu longtemps, en cette année 1956, l’année où l’on filme Elvis au dessus la taille.

Il est fort probable qu’un certain nombre de spectateurs auront jugé cette scène obscène et déplacée, par trop vulgaire. Cette femme qui, on l’a vu, est une “dévergondée”, qui couche avec qui bon lui semble, même quand elle vient de se marier !, qui danse entourée de musiciens déchaînés, et qui trouve encore le moyen de se caresser les jambes en dansant, remontant ses mains vers, vers, vers son sexe, triangle noir de la culotte, la main droite s’arrêtant juste à hauteur de la vulve… C’est incandescent, c’est le feu.

Même quand la caméra filme de nouveau en plan américain, Vadim s’arrange pour que Bardot se soit juchée sur une caisse pour ne filmer, encore une fois, que le bas de son corps.

Vadim l’aime, comme un fou, comme tout ceux qui, dans le film, tombe plus qu’amoureux de cette femme libre et  impossiblement radieuse. Godard a écrit, en 1957, que dans ce film, Vadim ne faisait que parler de lui, de sa vie. Mais non ! Vadim parle d’une femme, dont le film n’aura fait que tourner autour pour tenter de percer les ressorts de la jeune et fière insolence, et ce dès le début. Bon, il s’est rattrapé en écrivant aussi ces mots : « Il faut admirer Vadim de ce qu’il fait enfin avec naturel ce qui devrait être depuis longtemps l’ABC du cinéma français. Il est à l’heure juste car il sait respirer l’air du temps. » C’est bien Vadim, avec son film Et Dieu… créa la femme, qui aura lancé le premier tour de manivelle de ce que l’on va appeler très bientôt la “Nouvelle Vague”, sous la plume de Françoise Giroud.

PS. Dans la Bible, il y a, on le sait, deux récits de la création, mais dans aucun des deux on ne trouve de points de suspension quand il est annoncé que Dieu crée la femme. Dans le premier, Dieu crée homme et femme ; dans le second, il crée l’homme, puis tous les animaux, et enfin seulement, la nuit venue, prélevant la (fameuse) côte d’Adam, crée la femme ; Adam qui, à son réveil, la voit danser sur une table, que Dieu a aussi inventé…

 

Léon Mychkine

 

 


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