Le doux dessin burlesque de Sophie Cousin

Un talent souple, des curiosités prêtes à s’organiser vers les plus diverses tentatives

Félix Fénéon, 1886

 

C’est lors d’une soirée de collectionneurs, dont la vedette était un artiste proportionnellement aussi , que j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de Sophie Cousin, une artiste très discrète mais néanmoins fort pertinente. Tout de suite deux images. 

Sophie Cousin, “Rocher sur roues”, dessin, 24 x 32 cm

 

 

 

Sophie Cousin, “Sur pattes”, dessin, 24 x 32 cm

Il y a donc, dans les dessins de Cousin, quelque chose qui tient à la fois de la délicatesse, du plaisant (parce que bien fait), et de ce que j’appelle le doux burlesque. On ne s’esclaffe pas en regardant ces dessins, mais on sourit, on sourit tendrement (c’est interne). Et l’on se rappelle qu’il est très difficile de faire rire ou sourire, déjà, dans la vie courante, mais encore bien davantage en matière d’art contemporain ; on tombe souvent dans l’attrape-tout, le grossier, l’évident, la tarte à la crème (Ben et consorts). Rares sont les artistes qui savent faire délicatement sourire; et Sophie Cousin est de cet acabit. Ainsi donc, le dessin cousinien est tout autant sérieux, car il est appliqué, et, disons-le, cela peut même être beau ; réaliste, etc. Voyez, on dirait vraiment un rocher :   

C’est très bien dessiné. Il y a donc cette première croyance ; tiens !, un rocher. Et puis, dans un écart conceptuel, un vide inattendu (l’humour, chez Kant), ces deux roues, qui sont bien modestes par rapport à cet énoooorme rocher. On espère juste qu’elles vont le mener à bon port. Mais qui vous parle de port ? C’est une expression, ma bonne amie ! 

Et regardez ces petites roues, d’ailleurs à peine bien circulaires. Vont-elles même pouvoir tourner ? Cousin réussit l’équilibre (c’est le cas de le dire), entre dessin contemporain et humour. C’est rafraîchissant.   

Rien que ce rocher, en soi, est un individu, avec cette zébrure qui irait presque jusqu’à inciter à une division du personnage. Et notez encore ce petit rétrécissement, des deux côtés de la base, commme s’il s’agissait d’un gant ! (La divagation interprétative est un amusement supérieur de l’esprit). Il me semble bien que Cousin dépicte des individus. Comme l’écrit le philosophe P.F. Strawson (1959): 

« Connaître un fait d’individuation sur un particulier, c’est savoir que telle ou telle chose est vraie pour ce particulier pour aucun autre particulier et d’aucun autre particulier quel qu’il soit.»

À partir de là, ou, plutôt, en passant par là, il est un fait qu’on identifie, dans les dessins de Cousins, des individus. Et voyez, rien que cette reconnaissance signe la réussite du propos graphique. Bien entendu, on dira qu’un “bon dessin” est un individu. Sinon, ça ne marche pas. Après, qu’est-ce qui est bon ? Qu’est-ce qui est raté ? Question délicate, valable pour tout artiste (Cousin en parle ↓). Le minimalisme est souvent associé à des œuvres usinées, très propres, dont l’origine manuelle est gommée par la perfection de l’objet. Mais on pourrait tout autant parler de minimalisme de l’incertain (comme nous y avait par exemple initié un Degottex, un Barré, ou encore une Groborne, parmi d’autres). Minimalisme de l’incertain, donc, c’est-à-dire dans/du tracé ; comme cette forme rose ci-dessous. On peut supposer que si ce rose était parfaitement limité, contraint dans la limite du pourtour noir, cela “vibrerait” moins, ce serait moins incertain, et donc moins intéressant. 

Sophie Cousin, “Embûche”, dessin, 24 x 32 cm

Si l’on s’en tient au titre, on ne sait pas très bien ce que le terme « embûche » recouvre. Qui embûche qui ? Ou bien, où se trouve l’« embûche » ? Il y a deux façons de voir, en général, un dessin de Cousin. S’agit-il d’un numéro d’équilibrisme ? (Après tout, en tant que tels, les individus cousiniens peuvent bien agir comme ils l’entendent, pauser, s’amuser, tenter la soudure). Ou bien s’agit-il d’une vue de dessus ? (Objet couchés). Nous pencherions pour la première hypothèse. C’est d’équilibre dont il est question. Et cela fait partie du cahier des charges, supposera-t-on. Notez, bien entendu, que la condition équilibriste contient, intrinsèquement, son ontologique risque, se casser la figure. C’est entendu, c’est la vie. Une fois que l’entente graphique est réalisée, nous pouvons dire comme P.F. Strawson :

« Ainsi, en l’état actuel des choses, l’identification particulière en général repose en définitive sur la possibilité de situer les choses particulières dont nous parlons dans un système spatio-temporel unique et unifié.»

 

Sophie Cousin, “Réactive”, dessin, 24 x 32 cm

Lors de cette rencontre avec Sophie Cousin, à peine son identité d’artiste entendue, je cherchais dans mon téléphone-ordinateur et sur l’Internet quelques images, et celle ci-dessus vite venue, l’artiste m’a parlé, en écho, de Goldorak et son fulguropoing. Tout était plus clair. Passé ce moment partagé de culture cathodique, on note mieux, c’est enfantin, bédéistique, les traînées vertes comme un sillage au rocher (gant de boxe ?) immobile. Nous sommes en plein Mallarmé. 

Bribes de l’artiste, enregistrée via le téléphone, et retranscrites sous cette forme, et amendées par cette dernière :

« Les dessins prennent très peu de temps pour être faits. Par contre j’en rate. J’en rate énormément. C’est un peu comme une sorte d’alphabet. Quand on les assemble. Pas grand-chose à raconter sur un seul dessin. Mais si tu les assembles, comme moi je peux le faire à l’atelier, ça commence à devenir des mots ; une sorte de dialogue. […] J’ai toujours dessiné, et toujours des petites choses. Comme une sorte d’annotation. Et depuis au moins 5 ans, ça commence à faire une sorte de matière. […] Le blanc fait partie intégrante du dessin. Je ne peux pas remplir. Je ne peux pas remplir une feuille, ce n’est pas possible. Il faut que les choses soient suspendues.»

Quelques indices protocolaires. Intéressant cette idée d’une certaine tension entre la lettre seule (Un dessin) et l’alphabet latent qui, en germe, attend sa lettre voisine, ou, à tout le moins, vicinale. Intéressant aussi cette indication de l’impossibilité du remplissage ; on en connaît certaines et certains autres praticiens qui abondent dans cette parcimonie. Mais là encore, laisser le blanc, c’est augmenter le risque, mais le risque est inhérent à la création. 

Cependant, il ne faudrait pas accroire que Cousin dessine toujours vite. Pour preuve, ce dessin :

Sophie Cousin, “22 secondes de jaune”, dessin, 24 x 32 cm

Sophie Cousin me disait que si ce jaune a pris 22 secondes pour la réalisation, le gris a nécessité trois heures. Comme quoi… Je n’interprète pas ce dernier dessin ; je laisse le lecteur/regardeur à son intuition. 

What So ever

Ref/ P.F Strawson, IndividualsAn Essay in Descriptive Metaphysics, a Doubleday Anchor Book, 1959 

Léon Mychkine 

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

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