Peut-on être amoureux d’une statue ? Je me le demande, chaque fois qu’au Louvre, Galerie des Grands Hommes, Aile Richelieu, Niveau 0, je me trouve face à la Diane de Houdon. Je l’adore. J’adore son mouvement, sa grâce, son élévation, sa légèreté, son corps, son allant, bref, et tout et tout. Je l’avais prise en photo sous toutes les coutures, quand j’avais encore un appareil Reflex numérique, mais un jour, trouvant mes photos nulles, je les ai toutes mises à la corbeille. Hélas ! Car il faut aussi prendre Diane en contre-plongée, pour souligner son caractère aérien. Heureusement, entre-temps, j’ai eu le bonheur de faire la connaissance et de rencontrer une historienne de l’art spécialiste de l’œuvre de Houdon, Valérie Roger, autrice d’un Catalogue Raisonné, et qui a eu la gentillesse, en sus de m’accorder un entretien, de me fournir de nouvelles images ! Qu’elle en soit remerciée. Figurez-vous que la dernière fois que je suis venu à Paris, je me suis rendu dans la Salle des Grands Hommes (pour y faire des photos) où se trouve “ma” Diane ; et la salle était fermée ! Motif : Changement de place de sculptures.
Je ne connais nulle autre statue qui me ferait cet effet ; soit celle de monter sur le piédestal, et de courir avec elle, ne serait-ce que pour refixer une corde à son arc…
Ici on ne peut s’empêcher de remarquer peut-être une légère insinuation phallique avec cette flèche si bien placée, mais, justement, à-propos de sexe, il faut savoir que Houdon avait, d’après ce que l’on sait, formé très naturellement la vulve de Diane, qu’elle était très ressemblante.
Tout est ferme ici, tant dans la gestuelle que dans l’anatomie, et la décision, Diane est en chasse ! et toute cette tension — tout en étant légère —, se ressent, accompagnée qu’elle est par la lumière qui s’accroche dans les stries audacieusement produites par Houdon :
Or, nous apprend, dans son livre Le Statuaire Jean Antoine Houdon et son époque, Vol. III, Georges Giacometti :« La particularité de la nudité de la Diane amenée jusqu’à l’exactitude anatomique la plus intime, par la mise au grand jour du sexe même de la Déesse, a aussi fait beaucoup écrire et l’on a cru pouvoir dire, qu’elle n’avait pas été primitivement poussée à cette exagération de l’imitation de la nature, se basant pour en juger ainsi sur le merveilleux exemplaire en bronze que le Louvre expose en la salle Houdon. Mais on a trop vite considéré, ou insuffisamment analysé le bronze sur ce point délicat, car l’on aurait facilement vu que, cette partie de l’individualité de la figure a subi un remaniement indubitable ; on y remarque en effet, lorsque l’on est familiarisé avec le travail du bronze, les traces d’un martelage aussi intempestif qu’insolite, traces que seule la nécessité de faire disparaître certaines saillies débordantes pourrait expliquer, de même que l’intervention d’une soudure qui, sans le besoin d’un rapport de matière sur un point offrant discontinuité de suite dans la surface, resterait tout à fait inexplicable. De plus pour l’autre épreuve en bronze du même type corrigé que celui de la statue du Louvre, soit la Diane de la collection Hertford, les mêmes remarques d’un remaniement ultérieur apparaissent, autant qu’il est permis d’en juger, sur un document photographique.»
Vous avez bien lu : On a martelé et soudé la vulve ! C’est incroyable tout de même. On a une quantité proliférante de pénis, de bourse, de phallus au Musée du Louvre, mais une vulve réaliste, non ! Cela ne saurait être ! La vérité, c’est que pour installer au Louvre la Diane de Houdon, la décision fut de massacrer son anatomie artistique, anatomie à laquelle tenait tant Houdon, dont c’était tout simplement la passion. Autrement dit, on a mutilé une statue sublime tout autant que souillé l’honneur artisan-artiste de Houdon, comme on peut le voir ici :
C’est du vandalisme, ni plus ni moins.
Il n’y a (plus) rien à voir. Ce n’est plus un sexe, c’est une anomalie physique. D’après ce qu’en dit Giacometti, il faut admettre que les « saillies débordantes » constituaient bien les labia. La censure iconoclaste est passée par là. Mais, notez, une censure misogyne, et non pas seulement prude. Il y a plusieurs modèles de la Diane de Houdon, un en terre-cuite, d’autres en plâtre, un en plomb, et trois en bronze, un en marbre, sis à Lisbonne, sur lequel les labias sont bien visibles
au Musée Calouste Gulbenkian, ouvert en… 1969. Autre temps autres mœurs.
On imagine la gêne et l’embarras de ces messieurs du Louvre confronté à une Diane entièrement nue, ce qui n’était pas du tout académique, car elle était traditionnellement soit au bain soit recouverte d’un voile pudique. De fait, la beauté sans fard de la statue de Houdon à quelque chose, je maintiens, de sublime. Ce doit être aussi pour cet hors-catégorie artistique que je dois tant l’aimer. Et on imagine qu’ils furent aussi surpris par l’invraisemblable quantité de stries (accroche-lumière) disposés sur le corps, qui à dû apparaître comme tout à fait détonnant pour l’époque. Comparez par exemple avec l’Euterpe de Delafontaine, en ce détail :
Ici, nulle strie sur la peau, c’est un bel épiderme de bronze, bien académique, sans personnalité. C’est ennuyeux. Rien à voir avec la dynamique de la Diane de Houdon qui, avec ses stries, aurait presque précédé Soulages dans sa compréhension du rapport cavité captation de la lumière (et qui vous dit que Soulages ne s’est pas inspiré de Houdon dans sa technique de peintre ?), mais qui pourrait tout autant évoquer une peau griffée par la chasse. Imaginez-vous courir nue dans les sentes et coulées… Vous en sortirez égratignée.
Que dire de plus ? Il faudrait pétitionner pour demander à ce que l’on redonne sa vulve à la Diane de Houdon, tant il est parfaitement injuste qu’au milieu de tant de pénis, phallus et bourses exposés au Louvre, l’on ne puisse, en notre siècle, refuser au portrait d’une femme d’apparaître dans toute sa nature.
Entretien avec Valérie Roger, historienne de l’art, à-propos de la Diane de Houdon (P.2)
Léon Mychkine
écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant
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