“Les chasseurs dans la neige”. Pieter Brueghel l’Ancien nous parle, et les hyphes aussi

Dire les choses avec les choses. “Les chasseurs dans la neige” n’a été fait, en sus de la perspective fabuleuse, que pour signaler la sinuosité métaphysique des branches.       

Pieter Brueghel l’Ancien, “Hunters in the Snow (Winter)” [Détail], 1565 , oil on Wood, 162 x 117 cm, Kunsthistoriches Museum Wien
Pieter Brueghel l’Ancien, “Hunters in the Snow (Winter)” [Détail]

C’est assez extraordinaire. Et je me demande pourquoi Brueghel le Vieux a pris autant de son temps pour représenter aussi bien, et labyrinthiquement, ces entrelacs celtiques. M’est avis que les arbres, y compris  arbustes et bosquets jouent différemment. Ils ont quelque chose que d’autres espèces n’ont pas, et, suivant leur nature, c’est-à-dire leurs formes, ils disent diverses choses. On pourrait presque juger que le tableau, mis à part le végétal, est tout en quadrillage (champs, maisons, lacs gelés), et pyramides (monts). Les entrelacs sont seul l’apanage des branches en haut du tableau. Elles devisent et s’amusent, et d’ailleurs, la nuit, changent de position. Personne ne le remarque, sauf Bruegel den Aauwe. Mais à la question “Pourquoi  Brueghel le Vieux a pris autant de son temps pour représenter ces entrelacs celtiques ?” la réponse est toute bête : Les peintres, les artistes, contrairement à ce qu’en disait Platon, aiment la vérité ; et la vérité, ici, c’est que telles sont ainsi formées et déployées ces branches, et Brueghel den Aauwe en rend compte, tout simplement — si l’on peut dire —, car Dieu que cela est bien dépeint ! Et l’on voit aussi par là combien est fictionnel le rapport entre la temporalité de la scène, qui, de fait, en inclue beaucoup, et celle du tableau, qui ne peut évidemment pas saisir tout cela le temps de l’exécution. Il ne s’agit non pas alors d’une fiction, au sens de “cela n’a pas a existé”, si, bien sûr que Cela a existé, il s’agit tout bonnement d’une scène de la vie quotidienne, certains travaillent, les chasseurs rentrent avec leur gibier, d’autres prennent du bon temps sur les patinoires, notamment des joueurs de curling. Mais pour l’instant, je reste bien près de ces branchages, avec, notez, ces corbeaux freux (frugilegus frugilegus) perchés qui doivent, c’est quasi sûr, aussi converser  avec les arbres. (Les humains, trop happés par leur cercles centripètes anthropiques, ne s’en sont jamais rendus compte). Rapprochons-nous.  

Pieter Brueghel l’Ancien, “Hunters in the Snow (Winter)” [Détail]

Rien que ce détail… Nous voici dans les murmures. Les arbres parlent à leurs branches maîtresses, qui parlent aux plus jeunes, et même aux pousses, qui, diversement, vibrent. La question qui peut venir est pourquoi, dans le pur espace, les branches trouvent-elles le moyen de tellement se contorsionner ? Imaginez-vous en être une. Vous vous dites, « lentement, aujourd’hui, je vais tout droit ». Et le lendemain, vous vous dites, « tiens !, je vais prendre à droite », et le surlendemain, vous vous dites :« et maintenant, à gauche ». Mais peut-être que ce dire s’étend sur plusieurs jours, voire semaines. Combien de temps pour gagner un centimètre de ligne droite dans le vide ? Il y a peut-être une raison pour laquelle les branches sont si tournicotées, une raison scientifique, mais existe-t-elle, cette raison ? Réponse IA via browser Brave : 

  1. Growth stress : Les arbres développent des forces mécaniques internes lors de leur croissance, notamment en raison de la turgescence des cellules (accumulation d’eau et de solutes). Ces forces peuvent causer des déformations des branches, notamment si celles-ci sont jeunes et flexibles.
  2. Torsion : Les branches peuvent être tordues en raison de la torsion naturelle de la croissance des tissus ligneux. Les cellules du bois et des fibres peuvent se développer de manière asymétrique, créant des forces de torsion qui peuvent faire se tourner les branches.
  3. Vent et intempéries : Les forces du vent et les intempéries peuvent causer des déformations des branches, notamment si celles-ci sont fragiles ou mal adaptées. Les branches peuvent se tordre ou se courber sous l’effet des forces mécaniques exercées par le vent ou les précipitations.
  4. Compétition pour la lumière : Les branches peuvent se tordre pour atteindre la lumière, notamment si l’arbre est planté dans une position où la lumière est inéquitablement distribuée. Les branches peuvent se courber ou se tordre pour maximiser leur exposition à la lumière.
  5. Génétique : Certaines espèces d’arbres ont des caractéristiques génétiques qui les rendent plus propres à développer des branches tordues. Par exemple, les saules (Salix) et les noisetiers (Corylus) sont connus pour leurs branches tortueuses.
  6. Étapes de croissance : Les branches peuvent se tordre à certaines étapes de croissance, notamment lors de la formation des bourgeons ou des pousses. Les forces mécaniques internes peuvent causer des déformations des branches pendant ces périodes de croissance rapide.
  7. Symbiose avec des champignons : Certains arbres, comme les sapins et les épinettes, développent des symbioses avec des champignons qui peuvent influencer la croissance des branches et les faire se tordre.

Monsieur de Sainte-Colombe avait composé une ode (aujourd’hui perdue) “Aux branches bifurquées”. 

Soit ceci : 

Pieter Brueghel l’Ancien, “Hunters in the Snow (Winter)” [Détail]

Voyez-vous cet éclat ? C’est de l’or dans la neige ; du soleil captif ; du hérisson en branches. Je trouve cela fabuleux. C’est à peine réaliste, et pourtant cela est. La force du monde, la force de la Nature. Brueghel a vu cela, et il le restitue. Profitons-en, tant qu’il reste quelque chose. Je me demande comment il opérait. Par découpages, quadrillages, comme Dürer ? Dessinait-il vite la scène, et reprenait-il ensuite sur d’autres feuilles tel détail, tel indice de luminosité, telle chute sur la glace ? On dirait que Brueghel voyait tout, que rien ne lui échappait. C’est cette fascination, cette dévotion pour la vérité, cet amour du réel et de la réalité, qui bouleverse, comme personne d’autre ne le fera après lui. Et notez, je ne fais qu’illustrer de branches, tant il y a à dire et voir en sus ! Les arbres sont partout, entendez, de près, au loin, avec les montagnes p.ex :

Pieter Brueghel l’Ancien, “Hunters in the Snow (Winter)” [Détail]

Je ne sais pas quels monts a dépeint ici Brueghel, j’ai beau rechercher sur l’Internet et considérer des images du Vaalserberg et des Monts des Flandres, je ne vois rien d’aussi pointu en termes de sommets. 

Note. Les arbres sont naturellement connectés entre eux par le tentaculaire réseau des champignons dont les filaments (appelés hyphes qui pèsent en moyenne 1,7 tonne par hectare de forêt) captent les nutriments du sol pour les échanger avec les sucres fabriqués par les végétaux à partir de la photosynthèse. La suite ici

à suivre…