Les étranges et sur-naturelles images de Kathrin Linkersdorff

La notice de la Purdy Hicks Gallery (Londres) nous dit que la

série, “Fairies I-VI”, représente le résultat d’années d’expérimentation et de tests : capturer des moments de fugacité avec la touche la plus légère possible. La recherche et la pratique de la méthodologie biologique ont transformé son atelier en laboratoire. Les couleurs sont extraites des plantes et, en même temps, elle crée des liquides colorés à base de pigments végétaux concentrés et solubles dans l’eau, les anthocyanes. Ces couleurs extraites sont soigneusement réintroduites dans les tissus végétaux décolorés et on leur donne de l’espace pour se déployer à nouveau. L’interaction entre la couleur et la forme devient une danse poétique qui révèle également l’alchimie cachée présente dans toute matière vivante.  

Nous avons là, véritablement, un phénomène qui tient au vampirisme en même temps qu’à une sorte de travail effectivement alchimique, mais biologique ; rendre exsangue, et réinsuffler une dentellerie de survie mais seulement en image. Le résultat tient alors de ce que l’on pourrait qualifier, littéralement, d’une esthétique devenue vénéneuse. On regarde, mais on ne touchera pas.  

Kathrin Linkersdorff, from the series “Fairies, II/1”, 2020, archival pigment print, Edition of 3 + 2 APs, 150 x 150 cm / Edition of 8 + 2 APs, 35 x 35 cm, Purdy Hicks Gallery, Londres

Les images de Linkersdorff ne “donnent” pas à voir avec ce à quoi nous pourrions penser, par exemple des fleurs séchées, un recueil de simples ; cela a à voir avec ce que j’ai appelé le décalage de la mimésis, soit ici, l’offert, par Linkersdorff, d’une autre manière de considérer ce que, dans la tradition, on appelle la beauté et sa possible reproduction dans le domaine artistique. Il est bien évident que la notion de « beauté », dans notre contemporanéité, et spécialement en art, est quelque peu “dodgy”, comme on dirait en anglais, c’est-à-dire « louche ». On trouve par exemple des thuriféraires qui trouvent belles les installations de verroterie d’Othoniel, ou bien beaux encore les tableaux de Kieffer, etc. La notion est encore bien vivace, et nous ne pouvons que nous en féliciter, car il est clair que nous avons besoin de beauté (qui, comme l’a écrit Dostoievski, sauvera le monde). Or c’est justement, entre autres, mais singulièrement, ce que nous offre le travail de Linkersdorff. D’un certain côte, l’artiste nous montre une nature vraie, mais qui n’existe pas, ou, à tout le moins, qui ne peut exister que depuis ses interventions. Il est certainement impossible de tomber, dans le monde naturel face à de telles fleurs. Bien sûr, Linkersdorff le sait, puisque tout cela est le résultat de manipulations très délicates dont l’ensemble est titré “Fairies”, c’est-à-dire « fées ». Autrement dit, Linkersdorff sait très bien (supposé-je) que ce qu’elle montre, dans cette série, est sur-naturel. Et voilà justement, et pour reprendre les noms d’Othoniel et Kieffer, on ne saurait rien trouver de surnaturel dans leurs œuvres, ce qui n’est pas le cas chez Linkersdorff. Pourquoi ? Peut-être, et c’est assez complexe à expliquer, et je parle pour moi, parce que le verre et la peinture ne sont déjà pas naturels, tandis que les fleurs, n’est-ce pas ? Or injecter du surnaturel dans ce qui ne l’est pas au départ, ce n’est pas jouable ; ce qui tend à prouver que le surnaturel ne peut s’amorcer que depuis le naturel (ce qu’encore une fois ne représentent ni boules de verre ni tableaux peints, ni sculpture classique); et donc, en quelque sorte, Linkersdorff produit un décalage in-naturel de la mimèsis, ce qui me semble inédit (sous réserves).

Certains artistes, notamment en art numérique, remplissent à l’envi l’écran de couleurs psychédéliques, devant s’imaginer que l’outrance de couleurs Pop et saturées est forcément gage de beauté. C’est le contraire, sans compter l’aspect daté, paradoxalement, du procédé supposé absolument dans l’air du temps. La beauté est souvent le fruit d’un savant équilibre qui, chez Linkersdorff, confine à l’épure. Ce qui est assez extraordinaire, c’est que l’artiste, de mon point de vue, parvient à faire encore plus “parler” ses fleurs que la plus bellement quelconque chez le fleuriste ; c’est comme si chaque partie avait quelque chose à dire, comme ici 

ou là

La couleur, les plis, disent quelque chose. Mais quoi ? Au regardeur de se faire son idée, je ne saurais empiéter sur un tel territoire, que je risque de froisser.

À sa manière, Linkersdorff peint non pas sur mais dans la fleur, et cela est aussi très curieux, dans le sens intéressant du terme. Il s’agit de faire entrer la couleur, les anthocyanes, littéralement, ou presque, couleurs des fleurs, dans le corps si frêle et fragile de la fleur. C’est une opération qui doit demander une extrême délicatesse.

Parfois, elles semblent saigner 

Kathrin Linkersdorff,  from the “Series Fairies, IV/15, 2021, argchival pigment print, Edition of 5 + 2 APs, 80 x 80 cm / 31.5 x 31.5 in, Edition of 8 + 2 APs, 35 x 35 cm / 13.8 x 13.8 in, Purdy Hicks Gallery, Londres

Ici les fleurs racontent autre chose. Décidément, je les préfère non-saignantes, car il me semble que cet ajout dramatique d’éclaboussure et de coulure contredit le propos, que je pensais silencieux. Mais on ne saurait reprocher à une artiste d’expérimenter, et choisir plusieurs pistes.

Nos yeux profanes voient la Nature telle qu’elle est, les artistes telle qu’elles et qu’ils l’envisionnent, l’imaginent, la rêvent, éveillés.  

ψ

The ban of the mediaeval Church on magic had forced it into dark holes and corners, where the magician plied his abominated art in secrecy. Respectable people might sometimes employ him surreptitiously and he was much feared. But he was certainly not publicly admired as a religious philosopher. (Frances Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, University of Chicago Press, 1964)

L’interdiction de la magie par l’Église médiévale l’avait repoussée dans les coins et les recoins sombres, où le magicien exerçait son art abominable dans le secret. Les gens respectables pouvaient parfois l’employer subrepticement et il était très craint. Mais il n’était certainement pas admiré publiquement en tant que philosophe religieux.

ξ

Étymol. et Hist. 1. 1552 adj. (Pontus de TyardSolitaire premier, Discours philos., 29a, éd. 1587 ds Rom. Forsch. t. 32, p. 169: science universelle des choses naturelles, surnaturelles et divines); 2. 1727 subst. (RamsayVoyages de Cyrus, p. 344). De naturel*; préf. sur-*. Cf. antérieurement supernaturel (1464, Pierre MichaultDance aux aveugles, p. 2 − 1660, Oudin, att. sporadiquement aux xixexxes., empr. au lat. chrét. supernaturalisvies. ds Blaise Lat. chrét.).

Léon Mychkine 

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

 

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