Les images d’Aurore Bagarry. Part 2

Aurore Bagarry, Île Renote, Trégastel, Côtes‐d’Armor, Chaos de granite rose d’âge carbonifère (tardi‐hercynien)

Ne dirait-on pas des petites bouchées pour Cyclope ? Et n’y a-t-il pas un rapport entre la démarche en-cyclopédique chez Bagarry et sa circumambulation autour des roches, dans un très considérable périmètre : Finistère Côtes‐d’Armor Manche Calvados Seine‐Maritime Pas‐de‐Calais East Sussex Hampshire Dorset Devon Cornwall !? Donc, un lien entre ces deux et, enfin, avec le capteur, le viseur, de l’appareil photographique ? Si, c’est évident. Quel est ce lien ? La monomanie-monographique : un sujet : la roche. Revenons à nos bouchées. En tant que telles, elles ont cuit par le fond, cela se voit, et, maintenant, elles attendent. Depuis des éons, dit-on en langage géologique — l’éon représentant la plus grande division des temps regroupant plusieurs ères. On remarquera, à droite, une bouchée bien plus modeste, une petite hère, et qui tente en vain de se faire remarquer, en se tenant de biais… La marée basse nous permet de dégager encore des tons d’une grande douceur, encore incroyable, aussi.

Certainement que les géologues, pour chaque couleur, détectent une strate, une ère, un temps cosmique, pour le coup (enfin, le “temps” est déjà une primo-créature cosmique). Certainement que le spécialiste lit ici plein de choses intéressantes, tout comme l’archéologue lit dans les couches de fouilles. Mais, à lire la légende, on se rend compte qu’il ne s’agit que de granite : Chaos de granite rose d’âge carbonifère. Pourquoi est-il devenu rose ce granite ? C’est encore grâce à la malicieuse intervention de l’hématite, et, vous l’avez deviné : ayant cheminé dans le réseau cristallin du feldspath alcalin. Comme tout cela est, encore une fois, poïétique. Mais, le lecteur se pose une question sourde, qui le taraude : Carbonifère est-il synonyme de tardi‐hercynien ? Le tardi-hercynien s’inscrit dans le « cycle varisque », qui est un cycle “orogénique palézoïque (± 541 à -488 Ma) qui a débuté au Dévonien ( −419,2 ± 3,2 à −358,9 ± 0,4 Ma) et s’est terminé avec le Permien ( 298,9 ± 0,2 à 252,2 ± 0,5 Ma). Encore de la poésie, vous dis-je ! Le Carbonifère, quant à lui, signale la période qui commence après le Dévonien et précède le Permien (298,9 ± 0,2 à 252,2 ± 0,5 Ma). Ainsi, si j’ai bien compris, le Carbonifère est inclus méréologiquement dans le tardi-hercynien. Retenez-le, je reviendrai pour vous interroger. Quand on lit ces dates fantastiquement anciennes, on se dit que l’espèce humaine est toute jeune, non ? Rappelons que notre plus vieil ancêtre, enfin, le type homo (Sahelanthropus tchadensis) est daté de -7 Ma. On a comme l’impression que ces granites roses seront là encore après nous, non ? Vu la vitesse de nos conneries dévastatrices… Bref. Heureusement que la Phusis est là pour nous rappeler qu’elle est capable de produire de la poïésis comme une grande :

Aurore Bagarry, Four à Boulets, Fréhel, Côtes-d’Armor. Quartzites et phyllades d’Erquy, sédiments d’argile et de sables d’un cône sous-marin métamorphisés en grès puis en quartzite et en schiste

Poésie poésie. Quartzites et phyllades d’Erquy (48° 37′ 57′ nord/ 2° 27′ 47′ ouest) // sables d’un cône sous-marin métamorphisés en grès. Mais qu’est donc un  «cône sous-marin» ? Et qu’est-ce qu’une une phyllade ? Une phyllade, c’est une roche métamorphique épizonale (épizone: Zone superficielle de l’écorce terrestre où se produit un métamorphisme à température modérée dans le faciès des schistes verts) désignant un schiste dur et luisant, d’aspect soyeux, se débitant en tablette grossière dérivant d’une méta-argilite gréseuse. Voilà pour la phyllade. Un cône sous-marin est une accumulation sous-marine de sédiments terrigènes (i.e., qui a été arraché à la terre par l’érosion ou entraîné par un cours d’eau); transportés par des courants de turbidité descendus par des canyons sous-marins, qui se retrouvent sur le glacis continental, mais aussi dans la plaine abyssale. Synonymes : Cône abyssal, éventail sous-marin, et, pro-parte, delta sous-marin. Il y a des mots, vraiment, qui font voyager…

Aurore Bagarry, Plage Bonaparte, Plouha, Côtes-d’Armor. Roches magmatiques d’âge briovérien (protérozoïque terminal, 600 Ma)

Ne dirait-on pas que Nature ↑ se dévoile, dans les craquements, ou bien n’y avait-il plus assez de matière pour prolonger le tapis végétal ? Encore une fois, c’est un patchwork assez incroyable de couleurs, le roux cryptogame jurant terriblement avec le violet, le vert-jaune hurlant au milieu ; et ce bleu gentiane, et ce peu de jaune soufre (à droite)… Incroyable. Ici Phusis a, semble-t-il, balancé sa palette encore au hasard, et, je suppute, a inventé, il y a 600 Millions d’années, le ‘splash painting’.

Aurore Bagarry, Stair Hole, West Lulworth, Dorset. Alternance de niveaux calcaires et marneux de la formation de Purbeck déposés dans des environnements laguno-lacustres au Jurassique terminal (Purbeckien)
 
Ici, tout de même, on dirait qu’elle a raté son coup, ou bien qu’elle a quitté son ouvrage pour s’occuper ailleurs, en urgence. C’est qu’être Gaïa ce n’est pas rien ! Opérer ceci, réparer cela, inventer là, détruire ici, revenir, recommencer, proposer, installer, nettoyer, éroder, faire croître, permettre la vie, l’interdire, la rendre impossible… Pfffiou ! Je vous le dis, être Gaïa, ce n’est pas rien !

« Donc, avant tout, fut Chaos, puis Terre [Gaïa] au large sein, résidence, à jamais inébranlable, de tous les êtres, et Amour le plus beau des dieux immortels, qui alanguit les membres et dompte, dans la poitrine de tous les dieux et de tous les hommes, l’esprit et la prudente volonté.» (Hésiode)

La grande différence (par exemple avec Yahvé, dieu jaloux, sans pitié et colérique), dans la religion mythique primitive grecque, c’est que c’est l’Amour qui est le plus beau des dieux, ce n’est pas Zeus… Bref. Revenons à l’image↑: On voit donc ce fantastique feuilleté de calcaire et de marne (argile + calcaire), qui semble, disons-le, écroulé. Que s’est-il passé pour obtenir ce feuilletage effondré ? On dirait, oui vraiment, un effondrement ; ou bien quelque chose qui a cuit trop vite. Regardez sur le milieu droit, il semble qu’il y ait en fait un effondrement sur le côté droit, mais, à dire vrai, cela n’a-t-il pas commencé en haut à gauche ? Il s’agit, dirait-on, d’un écroulement massif de matière, couche s’écroulant et poussant l’une l’autre, formant un immense panorama en accordéon. Et c’est ainsi que nous conclurons cette Partie 2, sur le dépli, le dépli du chromatisme spectaculaire, du la. spectaculum : vue, aspect ; soit ici, l’art, en photographie, de faire voir et lire, dans le visible.

Léon Mychkine