Levi Van Veluw (#1)

Levi Van Veluw, ou les Memorabilia de mondes possibles

Ici, le visiteur se déplace directement dans mon imaginaire. LVW

Levi Van Veluw  (né en 1985, à Hoevalaken, Pays-Bas) expose en ce moment, au Domaine de Kerguéhennec une multi-installation titrée “La relativité de la matière” (jusqu’au 04/11/18). En visitant ces installations, et le temps passant, je me suis demandé d’où “venaient” ces œuvres. Il y a des artistes qui, pendant plusieurs années, répètent les mêmes travaux, parfois à quelques variations près; parfois sans. Il m’a semblé, en m’imprégnant de celles-ci, qu’il y avait là quelque chose qui participait d’une évolution : l’exposition ‘The Relativity of Matter’ venait d’œuvres antérieures, qui avaient, en quelque sorte, préparées cette dernière. D’ailleurs, dans le dépliant, nous lisons que « l’artiste se nourrit de questionnements personnels dans son œuvre. Il se réfère souvent à son enfance ».

Sur le site Internet de Van Veluw, on trouve une chronologie significative de son parcours. Si l’on s’en tient aux installations, car Van Veluw est aussi un remarquable dessinateur, par exemple, on constate qu’il a d’abord investi son visage, ce qu’il a appelé des “portraits”. C’est sur son visage qu’il intervient, en tant que zone de modification, d’exposition. Cette série de portraits est rangée dans la rubrique ‘older works’ sur son site. Au dessus de cette rubrique, se trouve le lien d’‘Origin of the Beginning’. Nous lisons sur le site un entretien avec l’artiste où nous apprenons que, quatre ans après avoir été diplômé de l’école ArtEZ, d’Arnhem (Pays-Bas), il a commencé à reproduire des modèles (d’abord trois) grandeur nature de sa chambre d’enfant. Plus tard, il en construisit un quatrième, et invita sa famille à participer : « La pièce était sombre et claustrophique, et personne ne parlait. C’était une représentation visuelle de tensions et d’émotions sous-jacentes ».

Ci-dessous, quatre reproductions de l’installation-performance Origin of the Beginning’. “Installation”, car ce sont des constructions à l’échelle d’une “chambre d’enfant”; et “performance”, parce que c’est le corps de Van Veluw que nous voyons à l’intérieur de cet espace construit, ainsi que les quatre autres de sa famille dans la quatrième photo ci-dessous. Rien de virtuel ici, tout a été découpé, collé, assemblé, taillé (pour les costumes), et dans une conférence (ici) Van Veluw précise qu’il est important que ses installations soient « réelles, parce que l’image est surréelle telle quelle [il parle de la troisième installation ci-dessous], donc vous avez vraiment besoin de quelque chose pour préserver un équilibre. Parce que si vous faites cela sur un ordinateur, alors ce sera juste une image, esthétique, et ce n’est pas ce que je veux. L’esthétique doit être à l’intérieur du concept. Si vous résolvez cela, alors ce sera bon. C’est mon idée pour créer des choses ».

Nous avons ici une indication, sur laquelle nous reviendrons plus loin, à savoir que Van Veluw est très attaché à la matérialité de ses œuvres, et ce semble un point très important ? Pourquoi ? Parce que cela contribue à la vie de ces dernières. À écouter et lire (plus bas) la manière dont Van Veluw considère le matériau principal — le bois —, de la plupart de ses installations, qui sont aussi, de fait, des sculptures, on doit comprendre que ce matériau pourtant dévitalisé reste, pour lui, vivant. Et c’est bien pour cela qu’il mentionne la différence entre l’image virtuelle de l’ordinateur avec la concrétude de la sculpture. Cela implique donc aussi que les reproductions de ses installations, films, photographies, ne sauront se substituer également à l’actualité des performances. Et ajoutons que l’installation à Kerguéhennec est aussi produite pour nous rendre acteurs-actants; nous sommes supposés pénétrer l’imaginaire de Van Veluw, ce qui, réversiblement, revient à dire que Van Veluw se projette dans le corps du visiteur.

Levi Van Veluw, ‘Origin of the Beginning’, 2006-2013 (photo courtesy de l’artiste)

 Levi Van Veluw, ‘Origin of the Beginning’, 2006-2013 (photo courtesy de l’artiste)

Levi Van Veluw, ‘Origin of the Beginning’, 2006-2013 (photo courtesy de l’artiste)

Levi Van Veluw, ‘Origin of the Beginning’, 2006-2013 (photo courtesy de l’artiste)

Note : Ces quatre photos ci-dessus sont des reproductions d’installations produites par Van Veluw, qui, en tant que telles ne contenaient pas de personnages; il faut donc distinguer entre installation, performance, et photographie, d’un même “concept”, comme il le dirait.

De la première à la dernière installation on constate une homogénéisation, au sens biologique, ou moléculaire et croissante de la constitution des objets (vivants et inertes) : Ainsi, la quatrième chambre semble n’être faite que d’une seule et même matière. Mais justement, quelle est cette matière ? Est-ce la matière — au sens classique du terme — qui a pris le dessus sur le vivant (vivant qui ne peut pas être décrit que comme matière) ? Est-ce un envahissement de l’inerte sur le vivant, car, à voir la vidéo, les personnages bougent fort peu, et sont bien davantage immobiles ? Dans le lien indiqué plus haut, Van Veluw dit que « les blocs de bois, c’est un matériel organique, et je pense qu’il est intéressant de les façonner d’une manière symétrique, car alors il va s’organiser de lui-même, parce que c’est un carré. Et, en les mettant un par un sur le mur, et sans utiliser aucun outil pour les organiser, c’est une sorte de lutte, pour moi, de tout organiser autour de moi ». Et voici l’indication d’après laquelle la matière inerte reste vivante pour Van Veluw, car elle s’auto-organise à partir de sa nouvelle disposition. C’est ici encore un indice, déjà familier parce que rencontré chez d’autres artistes, que ce qui peut sembler à beaucoup comme “mort” et dépourvu d’énergie peut encore vivre, mais différemment de ce que le commun — les non artistes, par exemple —, entend par « vie ».

Finalement, la dénomination “chambre d’enfants” laisserait certainement beaucoup à interroger. Une telle interrogation s’orienterait probablement du côté d’une forme d’exploration de la psyché de Van Veluw, car le moins que l’on puisse dire, est que l’univers qu’elles dépeignent est passablement traumatique et obsessionnel. Mais nous ne saurions en dire plus, car il faut savoir reconnaître les limites du territoire.

Tandis que la première installation (‘Origin) est mimétique (décor et entités biologiques sont de plus en plus semblables morphologiquement au point de quasiment fusionner), la deuxième, ‘The Collapse of Cohesion’, instaure une déstabilisation généralisée, mais suspendue, les étagères sont figés dans leur chute, les sphères suspendues dans le temps. Le chaos est revenu, et, fait notable, le corps humain n’apparaît plus. Il semble que Van Veluw se soit — enfin ? —, libéré de l’humain, ou plutôt de l’être humain familial et aliéné (?). Mais cela ne veut pas dire que les nouveaux environnements soient pour autant apaisés…

Levi Van Veluw, “The Collapse of Cohesion’, 2014,  cadres (photo courtesy de l’artiste)

Levi Van Veluw, “The Collapse of Cohesion’, 2014, grille, boîtes en bois sur cadres en acier (photo courtesy de l’artiste)

 

Dans l’exposition “La relativité de la matière” (montrée pour la première fois en France), semblent se télescoper deux mondes produisant un univers rétrofuturiste, en quelque sorte (Van Veluw est passionné par le futur et les romans SF des années 50-60). Nous cheminons dans des monde parallèles, des univers non familiers à l’être humain actuel; et en même temps se dégage l’impression d’un avenir déjà ancien; quelque chose comme les reliques d’un ancien monde futurible. On s’attend presque à voir de la poussière sur certaines pièces, et peut-être même en a-t-on vu. L’œuvre est très conséquente, elle s’étend sur 350m2, et Van Veluw dit y avoir travaillé pendant un an.

Il semble me souvenir qu’il y avait six pièces à Kerguéhennec, soit le second lieu dans lequel Van Veluw déployait cet espace tout-inclusif, le premier ayant été la Marres House for Contemporary Culture (Maastricht). Van Veluw, dans l’entretien cité, dit espérer que les visiteurs vont réussir à entrer dans son univers. Mais il n’a pas le choix : il ne peut qu’entrer dans l’univers de Van Veluw. Nous sommes, d’emblée, à l’intérieur d’un espace architectural clos, plus ou moins sombre selon les pièces; donc, de ce point de vue, le souhait de Van Veluw est atteint, on ne peut pas ne pas pénétrer dans son univers. Nous y sommes, de facto, immergés, et, ensuite, plus ou moins happés. À cet égard la pièce ci-dessous est certainement la plus réussie du point de vue de l’immersion.

Nous voilà entrant à petit pas dans un espace très très sombre, on ne voit rien devant nous, ni sur le côté gauche, mais, sur le côté droit — pour ce qui en est de la scénographie au Domaine —, nous distinguons peu à peu cette structure allongée, d’emblée très étrange. Passage vers quelque chose ? Vortex fossile ? C’est une pièce magnifique et impressionnante, très simple dans sa composition, mais forte dans sa structure : elle aspire vers une certaine forme d’infini — il y a plusieurs manières d’envisager l’infini, n’est-ce pas ? « Filoteo : Ou qu’est-ce qui s’oppose à ce que l’infini impliqué […] ne soit pas expliqué dans son propre simulacre infini et sans terme, éminemment capable de contenir des mondes innombrables, plutôt qu’en des limites si étroites ?» (Giordano Bruno, L’univers, l’Infini, et les Mondes)

Levi Van Veluw, “The Relativity of Matter”, [#1] 2018, 700 x 400 x 500 cm,  Domaine de Kerguéhennec (photo courtesy de l’artiste)

Levi Van Veluw, “The Relativity of Matter”, [#1.1] 2018, Domaine de Kerguéhennec (photo courtesy de l’artiste)

Il faut bien voir que cette structure est très imposante, on a l’impression de se trouver face à la sortie d’un booster (couché) de fusée spatiale. Cela n’y ressemble peut-être pas du tout, mais nous vient cette relation.

Nous faisons demi-tour, et continuons dans un couloir beaucoup moins obscur, nous passons du noir au gris.

Levi Van Veluw, “La Relativité de la Matière’, 2014, Domaine de Kerguéhennec, 1800 x 180 x 300 cm (photo courtesy de l’artiste)

 

Une bibliothèque-univers de polyèdres ! La peur du chaos qui hantait le jeune Van Veluw semble trouver ici sa rédemption. En marchant le long des étagères, on a envie que ça ne s’arrête pas. Aussi, en avançant au milieu des entités silencieuses, j’ai pensé à “la bibliothèque de Babel”, de Jorge Luis Borges : « L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque), se compose d’un nombre indéfini, et peut-être infini, de galeries hexagonales, avec au centre de vastes puits d’aération bordés par des balustrades très basses. De chacun de de ces hexagones on aperçoit les étages inférieurs et supérieurs, interminablement. La distribution des galerie est invariable… » On se dit que ce couloir de Van Veluw est un échantillon d’une partie plus grande et infinie.

Remarque : Les éléments utilisés par Van Veluw sont très simples, du bois, de l’aggloméré. Et c’est assez paradoxal qu’avec des matériaux aussi pauvres nous obtenions des impressions futuribles. C’est même remarquable, me semble-t-il. Pourquoi ? Peut-être parce que, classiquement, on s’attend à rencontrer des matériaux usinés, technologiques, des espaces virtuels. Or ici, tout est fait main. C’est cela, le paradoxe. Et cela renforce ce côté futuro-uchronique, déjà passé…, dont nous serions, d’un futur encore plus antérieur, les visiteurs.

 

Je ne vais pas décrire toutes les installations, et me contenterai peut-être d’en apprécier une ou deux autres. De toutes façons,  il est très difficile d’avoir une idée de celles-ci à partir de photographies, et c’est justement le caractère immersif et sombre des installations qui ajoute à cette difficulté. Sur le site de Van Veluw on peut en avoir une idée plus précise ici et . La nouvelle précitée de Borges est incluse dans le recueil de nouvelles Fictions. Nous y sommes…

Levi van Veluw,  La  Relativité de la Matière, 2018, Domaine de Kerguéhennec,
400cm x 500cm x 265cm, (photo courtesy de l’artiste)

On a concassé les polyèdres. Mais il est peu plausible qu’on les ait détruits aussi dans les étagères. Alors, que s’est-il passé ? Ils se sont eux-mêmes désagrégés, puisque programmés pour se détruire en cas d’intrusion. Pourquoi ? Parce qu’on ne voulait pas qu’on les lise. En effet, si les polyèdres constituent une bibliothèque, c’est qu’ils recèlent des données, qu’ils sont donc interprétables, comme toute forme symbolique.

Ci-dessous, dans une pièce, nous voyons, enfoncés dans le sol, une chaise et un bureau à la surface duquel sont visibles des bris que l’on peut supposer être de polyèdres. On peut supposer que ce bureau étant isolé, il servait davantage à l’étude, au répertoire. Ainsi, peut-être que quelqu’un s’est assis là est a fragmenté davantage les polyèdres, comme pour en percer les secrets (?).  Mais, au moment où son concassage était achevé, voilà que bureau et chaise commencèrent de s’enfoncer dans le sol, inexplicablement, mais certainement. Et c’est alors que l’intrus prit la fuite.

 

Levi van Veluw,  La  Relativité de la Matière, 2018, Domaine de Kerguéhennec (photo courtesy de l’artiste)



PS: S’il  est “allé” voir les vidéos, le lecteur se sera rendu compte que Van Veluw parle en Anglais. Si vous n’êtes pas anglophone, je me propose de vous adresser une traduction, en contrepartie d’un don modeste sur ce site participatif: https://fr.tipeee.com/art-icle-fr. En vous remerciant. LM



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Un article de Léon Mychkine sur la multi-installation de Levi Van Veluw au Domaine de Kerguéhennec

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