L’internationale abstractionniste (avec Einar IImoni)

L’internationale abstractionniste a commencé avec Joseph W.M. Turner, aux alentours de 1840, avec “Snow Storm – Steam-Boat off a Harbour’s Mouth” (here), probablement. Souvent, comme pour d’autres mouvements pionniers, et quel que soit le domaine, le lancement abstractionniste a été relancé avec effet retard ; puisque, après Turner, il a replongé tel un animal des profondeurs ; jusque 1911, l’annus mirabilis, soit l’“Image avec cercle” (ici), de Vassily Kandinsky, récemment redécouvert par l’historien d’art, Andréi Nakov (ici). Bien sûr qu’entre Turner et Vassily, d’autres signes avant-coureurs avaient bien pris formes, chez Monet, Manet, Vuillard, Seurat, et un certain nombre d’autres. Mais on voit déjà, rien qu’avec Turner, Monet, Kandinsky, que l’on peut parler d’internationale abstractionniste ; indiquée par exemple en 1919 avec une toile du peintre finlandais Einar IImoni :                  

 

Einar IImoni, “Saaristomaisema“ (Paysage de l’île), 1919-21, 30 × 25 cm, huile, huile sur toile collée sur carton, Kansallisgalleria, Finland
 
Il faut dire que j’aime beaucoup la Finlande, j’y suis allé deux fois, que les Finlandais sont charmants, et que j’aime beaucoup leur langue, le finnois, qui est si mélodieux. J’aimerais l’apprendre depuis, mais ce sera “next life” (tout l’indique). Mais rien à voir avec mon choix de l’image. Qu’il soit de Finlande ou de Garabagne m’est égal, excepté, qu’il soit hors-frontière, et, surtout, international abstractionniste. Regardez maintenant ce paysage. Il est franchement magnifique (“upea”). À première vue, peut-être — on l’a vu ! —, on se dirait presque : Oui, et alors ? Mais je vous invite à mieux regarder, à vous approcher. Considérez, je vous prie, la manière dont IImoni dépicte son paysage : c’est à croire que, verticalement, n’était le chromatisme, tout serait de même nature, quasi liquide. Ne voyez-vous pas ?     

Il ne pleut pas, et, pourtant, le ciel est liquide (“nestemäinen”); mais tout autant les sapins ! Je n’ai pas tout vu, mais ça, un ciel peint ainsi à la verticale constante, je ne connaissais pas. C’est comme si, décomposé, il chutait. Au passage, il s’empare de la forme des sapins, les mutifie. Je néologise à l’instant le verbe « mutifier », pensant qu’il existe peut-être, en rapport avec tout ce qui est d’ordre de la mutation génétique. Mais, après vérification,  je “découvre” que le verbe existe, et voici ce qu’il signifie : « Transformer une variable libre en variable muette, en la liant à certaines propriétés.» Alors, par extension poétique, disons que le sapin est mutifié, rendu muet dans sa nature de sapin, mutagéné par la matière liquide du ciel (certes, la couleur reste inchangée, mais cela ne change rien au processus). Et pourquoi pas ? La pluie est un élément visqueux (comme tout liquide), dès lors, pourquoi, dans le monde fictif-réel de l’art, ne serait-elle pas capable de rendre idoine à elle-même toute matière ? C‘est ce qu’il fallait démontrer. Bien, et à part ça ? On pourrait dire que IImoni ne s’est pas cassé la tête : tout ce qui est vertical : en lignes verticales ; ce qui est horizontal, à l’horizontal. Mais est-ce si simple ? Restons encore un peu à notre début d’approche. Regardons ; car toute touche peut être une aventure, comme ici :

C’est comme s’il y avait une légère confusion. Voyez cette partie de ciel liquide qui semble, à cet endroit, regimber contre l’association ; semblant vouloir repartir en arrière. Et encore ici, que signifie cette éclaboussure de blanc ?

On trouvera peut-être quelque peu précieux ces focus, mais pardon !, j’y vois là les aventures de la peinture ; plutôt, de la touche, et, spécialement, de ce que l’on peut appeler tant le contour que le “remplissage” (horror vacui), et s’il est bien une chose difficile pour le peintre, c’est bien cela ; la délicate équilibration des contours et de la fin des figures. Et le contour, n’allez pas croire que cela ne concernerait que les bordures, bien entendu ; mais vous le saviez déjà. Passons au sol

à l’inexorable

l’inexorable

gravité

 


Eu égard à la dramaturgie verticale (ciel liquide sapin idem) le sol, il faut bien le dire, est un peu décevant, disons : il est moins audacieux. Mais on peut cependant dire qu’IImoni dépeint une cartographie assez irréaliste, entendez ; quelques coups de pinceau ici et là pour donner l’illusion du sable, de l’herbe, de la terre, mais c’est le minimum, rien à dire, sauf que, tout de même, cet étonnement :

On peut se demander de quoi il s’agit. « De quoi s’agit-il ?» IImoni n’est pas un peintre médiocre, alors, que s’est-il passé ici ? Disparition des pigments ? M’est avis que ça m’a tout l’air volontaire. Je ne crois pas à un déficit pigmentaire ; plutôt, et peut-être, à quelque chose comme de la pluie ; oui, de la pluie blanche. Quant à cette bande blanche… permettez : « Joker !» . Et puis, si nous recadrons un peu plus haut, que remarquons-nous ? Le peintre décide de transformer le ciel, enfin à ce niveau, l’air, dans une teinte plus terrienne, voyez ?  

 (Reportez-vous à l’image entière si vous ne saisissez point). Et là, à vrai dire, on ne comprend plus rien. Pourquoi le ciel devient-il beige ? Mais, à dire vrai, il l’était déjà dès le début, si j’ose dire, tout en haut, mélangé au bleu. Encore un mystère…

 

Léon Mychkine

écrivain, critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant

 

 


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