J’ai très récemment, dans la presse, découvert (comme on dit maintenant), des images tout à fait stupéfiantes issues de la NASA; la plus grandiose et fantastique entreprise de poïésie technologique au monde. Il s’agit, pour la première fois — “première mondiale”, dirait-on pour une création musicale d’une œuvre contemporaine —, de la reddition•, en image, de la pliure du son. Nous sommes habitués depuis longtemps déjà à cette espèce de brume de lavasse qui émerge des avions en vol supersonique, tel qu’ici
Mais les images récentes produites par la NASA n’ont plus rien à voir avec ces effets de réglage qui seraient à la portée de nombreux photographes aériens professionnels. Nous franchissons ici une autre dimension, que j’appellerai la dimension du réel, et non plus une imagerie de la réalité. Sans attendre, en voici l’exemple :
Comme on dit bêtement, quasi, vous, je ne sais pas, mais moi, cette image me démonte. Je la trouve impossible. Incroyable. Intolérable. Aux sens esthétiques. Admirez les plis de l’air définitivement froissés par l’irruption dans son aire d’objets volants, à plus de mille kilomètres/heure. On dira: « oui, et alors? » : chaque objet lancé dans l’air provoque une perturbation, la viscosité dynamique. Sauf que, si je comprends bien, les imageries de viscosité dynamique n’avaient été jusqu’ici faites que d’estimations graphiques et ou le produit de photographies somme toute assez grossières; telles les deux en haut de page. Et puis notez, s’il vous plaît, que ces deux images, emblématiques depuis des décennies quant à la représentation du franchissement du mur du son — sonic boom —, ne parviennent qu’à capter le sonic boom en sa traîne, et non pas en sa pointe, tel que sur les images ultra récentes fournies par la NASA. Ci-dessus, nous voyons, véritablement, l’intimité des pliures de l’air pénétré par les T-38 de l’US Air Force. A-t-on jamais vu pareille fluidité de l’air ? Si cette image était produite par un artiste, ne serions-nous pas projetés dans un état d’extase esthétique ?, comme si un avion volait dans du chocolat fondu ? (par exemple). Si cette image avait été produite par un artiste, nous serions émerveillés. Mais nous sommes très vite au fait qu’il s’agit d’une recherche missionnée par la NASA, afin de permettre des vols supersoniques quasiment inaudibles depuis le sol terrestre. Bon, et alors ? Après tout, ne nous a-t-on pas appris, n’avons-nous pas constaté, depuis le XXe, que l’art pouvait surgir de nulle-part, entendez, de n’importe circonscription humaine ? Si fait. Alors, who can ask for anything more ? (comme chantait Gene Kelly).
Je traduis ci-dessous l’article mis en ligne sur le site de la NASA, le 06 mars 2019. Cela fait donc huit jours que je suis perturbé d’une manière étonnante aux limites de l’étonnement, comme il est dit dans les Mille et Une Nuits.
« Les images ont été prises durant la quatrième phase de vols air-air ‘Background Oriented Schlieren flights’, ou AirBOS1 qui s’est tenu au centre de recherche Armstrong d’Edwards, Californie. Les séries de vols ont vu des tests réussis d’un système d’imagerie modernisée capable de capturer des images haute-qualité d’ondes de choc, de changement rapides de pressions, qui sont produites quand un avion supersonique vole plus vite que la vitesse du son. Les ondes de choc produites par l’avion se rejoignent ensemble, tandis qu’elles traversent l’atmosphère et sont à l’origine du boum sonique que nous entendons au sol [depuis 1938 Charles Trenet a traduit ‘boom’ par « boum », il faut s’en souvenir.]
Le système sera utilisé pour capturer des data cruciales pour confirmer le design de l’agencement du X-59 Quiet SuperSonic Technology X-plane, ou X-59 QueSST, qui volera à vitesse supersonique mais qui produira des ondes de choc de telle sorte que, au lieu du mur du son, un doux grondement puisse être entendu. La capacité de voler à vitesse supersonique sans un mur du son pourrait résulter un jour à la levée des restrictions d’usage sur les vols supersoniques au dessus des terres.
Quand un avion vole plus vite que la vitesse du son, les ondes de choc se déplacent le long du véhicule, et sont entendues en tant que mur du son. Les chercheurs de la NASA utilisent cette imagerie pour étudier ces ondes de choc en partie pour s’efforcer de rendre le mur du son plus silencieux. Le système d’imagerie modernisée dans la série des vols AirBos a permis au supersonique T-38 d’être photographié bien plus près, approximativement à une distance d’à peu près 600 mètres, produisant une image bien plus claire comparé au vols précédents.
Les images présentent une paire de T-38 de l’US. Air Force Test Pilot School, à la Base d’Edwards, volant en formation à vitesse supersonique. Les T-38 volent approximativement à une distance de 9 mètres l’un de l’autre, l’avion avec sa traîne volant à environ 3 mètres au dessous du T-38 en tête. Avec une exceptionnelle clarté, le flux des ondes de choc depuis les deux avions est vu, et pour la première fois, l’interaction des chocs peut être vue en vol. « Nous voyons un flux supersonique, et c’est pourquoi nous avons ces ondes de choc », dit Neal Smith, ingénieur de recherche à l’AerospaceComputing Inc., à la NASA Ames fluid mechanics laboratory. « Ce qui est intéressant, si vous regardez à l’arrière du T-38, vous voyez que ces chocs interagissent dans une courbe », dit-il, « c’est parce que la traînée du T-38 vole dans le sillage de l’avion de tête, ainsi les ondes vont se former différemment. Ce data [le rédacteur devrait écrire « datum », un datum, des data] va vraiment nous aider à améliorer notre compréhension de comment ces chocs interagissent ». L’étude de comment les ondes de choc interagissent l’une l’autre, aussi bien que la colonne de fumée d’un avion, a été un sujet d’intérêt parmi les chercheurs. Auparavant, la recherche schlieren à échelle inférieure dans la soufflerie d’Ames avait révélé des distorsions des chocs, conduisant à d’autres tentatives pour développer cette recherche à l’échelle réelle d’un vol test.
Pendant que l’acquisition de ces images pour la recherche a marqué l’un des buts de l’AirBos, l’un des objectifs premiers a été faire un vol test doté d’un équipement avancé capable d’une haute qualité d’imagerie schlieren air-air, d’être prêts pour les X-59 en vol de démonstration Low-Boom [mur du son bas], une mission qui utilisera le X-59 pour fournir des régulateurs avec des data statistiquement valides requis pour des changements de régulation potentielle afin de permettre des vols supersoniques silencieux au dessus des terres. Pendant que la NASA a précédemment utilisé la technique de la photographie schlieren pour étudier les ondes de choc, les vols d’AirBOS4 ont offert une version améliorée des systèmes schlieren en vol, permettant aux chercheurs de capturer trois fois la quantité de data durant la même durée. « Nous voyons ici un niveau de détail physique que personne, je pense, n’a jamais vu avant », déclare Dan Banks, un senior ingénieur chercheur à l’Armstrong NASA.
Les images ont été prise depuis un King Air NASA 2000, utilisant un système d’appareil photographique afin d’augmenter la qualité de l’image. Le système modernisé incluait l’addition d’un appareil photographique capable des data depuis un champ de vision plus large. Cette sensibilisation [awareness] améliorée a permis un positionnement plus précis de l’avion. Le système incluait aussi une mémoire modernisée pour les appareils photographiques, permettant aux chercheurs d’augmenter la prise de vue à 1400 images/seconde, rendant plus aisé la capture d’un plus grand nombre d’échantillons. Finalement, le système a bénéficié d’une connection modernisée à un stockage de ‘data computers’, qui ont permis une plus grande échelle de data téléchargées. »
1. « L’imagerie Schlieren est basée sur la déflexion des rayons lumineux traversant des gradients de l’indice de réfraction dans un milieu transparent. Ces gradients d’indice de réfraction peuvent être introduits par des variations de densité dans un fluide ou dans des procédés de mélange de différents matériaux optiques. […] La version numérique de la Schlieren est appelée ‘Background Oriented Schlieren’ (BOS) ou Schlieren synthétique et repose sur la Corrélation Numérique d’Image (DIC). En pratique, seul un mouchetis à l’arrière-plan de l’écoulement est imagé avec une caméra haute résolution avant et pendant le test. En comparant les deux images (ou plus précisément, en corrélant les deux motifs de manière similaire à la corrélation d’image en PIV), le déplacement local du mouchetis peut être utilisé pour fournir des informations sur les variations de l’indice de réfraction intégrées le long du trajet des rayons lumineux. Par rapport à la méthode classique de Schlieren, la BOS permet de visualiser des phénomènes d’écoulement à grande échelle et de mesurer la distorsion optique de l’écoulement sous la forme d’une carte vectorielle numérique. Pour les écoulements bidimensionnels ou axisymétriques, la BOS permet de mesurer des champs absolus tridimensionnels de densité et de température. » (Source: https://www.lavision.de/fr/techniques/schlieren-bos/)
• Note : La “reddition”, tout à coup, m’apparaît comme un concept tout à fait approprié pour faire apparaître ce qui, normalement, n’est pas visible. En ce sens, la reddition est une pratique conceptuelle, technique et pratique à l’art et à la science.
Léon Mychkine