P.2. Visite commentée de quelques oeuvres

 
Notes sur le son. Le bruit de fond que l’on entend au début est celui du ventilateur. Ensuite, nous entendons la musique composée spécialement pour l’oeuvre de Duy Anh Nhan Duc, à 06:15 mns. La dernière oeuvre, de Stéphane Guiran, fait aussi entendre une musique spécialement composée.
 [Nous nous dirigeons vers l’ancienne étable]
CD: Donc tous ces espaces, ce sont des espaces que nous avons gagné. Parce que, quand je suis arrivée, c’étaient des espaces fermés, des espaces de rangement. On les a transformés, la Région a entrepris des travaux de confortement, et ici dans l’ancienne étable, où il y avait les vaches et les veaux, qu’on a gardée, évidemment, puisque c’est une architecture du début du XIXe, j’invite les artistes à intervenir, comme celui-ci, qui est El Anatasui, qui est un artiste ghanéen qui vit au Nigéria, qui a eu le Lion d’Or de la Biennale de Venise, il y a trois ans, pour l’intégralité de son œuvre, concomitamment au moment où il intervenait à Chaumont, et qui vient de recevoir le Praemium Imperiale, qui est l’équivalent du Nobel, dans le domaine des Arts Plastiques. Il l’a reçu au Japon. C’est un artiste qui travaille avec ce que les hommes jettent et cette tenture, absolument extraordinaire, est faite avec des étiquettes de bouteilles de gin, qui sont accrochées, les unes avec les autres, avec de très délicats fils de cuivre. Il a évidemment beaucoup d’assistants, au Nigéria — il est universitaire —, et il y a beaucoup d’étudiants qui travaillent avec lui. Enfin, il était universitaire, puisqu’il a 72 ans… Cette œuvre lui permet d’évoquer des paysages. Donc ici [côté gauche], on a comme un paysage maritime, et puis après cette grande frontière de couleur dorée et rouge, on a un paysage plus terrestre. Là-bas [au fond du bâtiment] on a le vent. Vous entendez ce murmure des étiquettes, qui sont agitées par un mouvement permanent. Et ici [mur droit] on a le désert. Une espèce de cotte de maille.
M : Extraordinaire !
El Anatsui, “XiX”, [vue d’ensemble] étiquettes de Gin, bois, ventilateur, 2018, Chaumont-sur-Loire (photo Mychkine)
 
 
El Anatsui, “XiX”, (détail mur gauche) (photo Mychkine)
El Anatsui, “XiX”, (détail mur gauche) (photo Mychkine)
El Anatsui, “XiX”, (mur droit détail) (photo Mychkine)
El Anatsui, “XiX”, (mur du fond, détail. Le mouvement des étiquettes est causé par un ventilateur) (photo Mychkine)
 
El Anatsui, “XiX”, détail (photo Mychkine)
 
El Anatsui, “XiX”, (mur du fond détail, avec cette curieuse matière réfléchissante produisant une anamorphose) (photo Mychkine).
 
CD: C’est une œuvre extraordinaire, c’est vraiment un artiste qui est désormais mondialement reconnu, et nous sommes très heureux qu’il ait accepté de présenter son travail à Chaumont.
M : Eh oui !
CD: Donc ça vous donne une idée du type d’œuvre que l’on peut ici présenter. C’est un paysage, donc le rapport à la nature est dans ce paysage, et aussi, dans la récupération ; et je trouve que toute cette thématique du recyclage est tout à fait fondamentale. […]
Anne et Patrick Poirier ont toujours travaillé autour de la nature et autour du végétal. Il y a des œuvres qui datent des années 90, et d’autres qui sont récentes. Et là on voit ces pétales transparents, sur lesquels ils écrivent. Soit ce sont des scarifications, soit c’est de l’encre, qui se répand comme du sang, dans une peau, et on voit ces pétales accumulés. Ici ils sont rouges, ou pourpres, ou roses, et on a une autre salle, de l’autre côté de la cour des jardiniers, où les œuvres sont violettes, mauves. Et, voyez, ce sont de nouveaux espaces que nous avons gagné, et qui nous permettent vraiment d’avoir une programmation exigeante. Nous avons de vrais espaces pour l’art.
 
Anne et Patrick Poirier, “SIMULACRUM”, 20092010, tirage cibachrome sur dibond, 160 x 124 cm.
Collection Maison Européenne de la photographie, Paris (photo Mychkine).
 
Anne et Patrick Poirier, “Hommage à Blaschka. Iris violet”, tirage cibachrome sur dibond, 150 x 120 cm. Collection des artistes (photo Mychkine)
 
M : Oui, qu’est-ce qu’il y avait dans le temps ici ?
CD: Quand je suis arrivée, c’était un endroit où on rangeait des matériaux pour le jardin. Et avant, je pense que c’était un bâtiment de la ferme, la « ferme idéale », qui avait été construite par le Prince et la Princesse de Broglie.
[Nous sommes dans l’autre salle dédiée aux œuvres du couple Poirier]
CD: Au départ j’avais imaginé les présenter dans une seule salle, et puis, l’abondance des œuvres, et cette force chromatique du violet et du mauve m’a poussée à les présenter séparément.
M : Oui ça respire mieux peut-être du coup.
CD: Oui. Et puis le choc rouge/mauve, était peut-être inadapté.
M : C’est impressionnant.
CD: C’est très beau. C’est l’éloge de la fragilité
M : On se demande comment ils font ça, toujours, chez les artistes : Comment font-ils des choses comme ça ?
(photo © Éric Sander)
CD: Ils sont très observateurs des merveilles de la nature, ils ont énormément de formes d’interventions : des installations, des sculptures monumentales, ils font des maquettes géantes, des maquettes de villes extraordinaires  et ça c’est un aspect de leur travail que l’on connaît moins, mais que je trouve extrêmement intéressant, et que je trouve tout à fait justifié et intéressant dans un Centre d’Art et de Nature. Nous avons également une sculpture, qui est une colonne, à l’intérieur de la cour, qui est assez représentative de toutes les œuvres qu’ils ont réalisées. […]
 
Anne et Patrick Poirier, “Colonne Tronquée”, 1988, fonte d’aluminium peinte, 210 x 100 x 100 cm. Collection des artistes, courtesy Galerie Mitterand, Paris (photo Mychkine)

Et ici vous avez notre Kracjberg, dont j’ai souhaité qu’il soit présent, pour honorer la mémoire de cet homme qui a consacré sa vie à la défense de la forêt amazonienne. 

 
Frans Kracjberg, “La Révolte III”, exposition hommage à Franz Krajcberg à Chaumont-sur-Loire(photo © Éric Sander)
Frans Kracjberg, “La Révolte III” (détail) (photo Mychkine)
M : oui, d’accord.
CD: Ce sont des bois brûlés. Il fait partie des artistes liés à l’écologie, et des artistes pionniers dans ce domaine. […] Nous allons aller voir de l’autre côté, si vous le voulez bien. L’Asinerie, c’est en face, et c’était l’endroit qui abritait les ânes. Donc l’œuvre qui est ici présentée, est une œuvre qui bouleverse les gens. […] Ces pissenlits sont fragiles, et il se reflètent là dans le miroir, c’est comme un étang, un étang où vous allez pêcher des rêves de pissenlits. Et donc il a joué avec le lustre à pampilles, en rajoutant des aigrettes, qui sont sous ces petites lampes. Ils ont accroché cela avec des pinces très délicates, pour qu’il y ait ce jeu entre les lumières et les aigrettes. On est dans la grâce, la poésie, la délicatesse ; la célébration d’une beauté, comment dire ? Que l’on peut voir tous les jours mais qu’on ne regarde pas. Il y a également une bande-son, qui a été faite par un grand compositeur coréen. 
 
Duy Anh Nhan Duc, “Champ Céleste ”, Installation végétale, Pissenlits, aigrettes de pissenlits, cristal, laiton, miroir, bois, 3170 x 4280 mm, 2018 (Photo Mychkine)
 
M : Mais qu’a-t-il voulu reproduire ici ? Qu’est-ce que ce grand miroir pour lui ? C’est de l’eau ?
CD: Il a surtout voulu que l’on vive deux fois. Pour lui c’est un étang, dans lequel vous allez pêcher vos rêves de fleurs blanches.
M : C’est extraordinaire qu’il ait réussi à les maintenir dans cet état.
CD: Oui. En fait il faut cueillir les pissenlits à un moment précis. Si vous observez bien le pissenlit, il y a un moment où vous pouvez le cueillir sans que les pétales ne s’envolent. Je vais vous emmener voir également le travail de cet artiste japonais dont nous avons parlé. Alors vous avez cette œuvre, qui s’appelle “connexion”, de Tanabe Chikuunsai IV, dont vous voyez qu’elle est tissée de bambous tigrés.
 
Tanabe Chikuunsai IV, “Connexion”, “La Source”, 2018, Chaumont-sur-Loire (photo Mychkine). (Pour d’autres photos, voir Partie 1)
 
Cela été un travail de longue haleine. La structure est totalement auto-portante, c’est-à-dire qu’il n’y a rien à l’intérieur qui fixe les choses, cette structure est assez fascinante, parce que ces deux ou trois courbes qui s’enlacent, donnent l’impression de supporter le plafond, mais tout cela est organisé dans une très grande rigueur, avec beaucoup de poésie, et il a construit cette œuvre avec quatre disciples, des femmes, parce que c’est une tradition qui se transmet de génération en génération. Il a pensé pouvoir échapper à la tradition. Il s’est d’abord éloigné de sa famille, mais il a utilisé une technique traditionnelle, pour créer des œuvres d’art.
M : D’accord. C’est impressionnant aussi.
CD: Oui, c’est une très belle œuvre. […]
Nous allons vers les écuries, et vous apercevez cette boule d’or, étonnante, dont je vous ai parlée, de Klaus Pinter, qui est un grand artiste autrichien, qui a cette relation très obsessionnelle avec les sphères… Elle est intéressante, parce qu’elle est transparente, et vous avez ces feuilles, qu’il a dessinées, qui jouent avec la lumière.
 
 
Klaus Pinter, “En plein midi”, installation, 2018 (photo © Éric Sander)
 
CD: Ici nous avons une œuvre de Mathieu Lehanneur. C’est un très grand designer. C’est une œuvre de marbre qui s’appelle “Petite Loire”, elle est en écho à notre Loire. C’est sa première expérience de marbre liquide.
 
Mathieu Lehanneur,Petite Loire”, marbre vert, 2018, Chaumont-sur-Loire (Photo mychkine)
Mathieu Lehanneur,Petite Loire”, (détail) (Photo mychkine)
 
CDLà il y une œuvre qui est absolument extraordinaire, de Stéphane Guiran, qui joue avec l’architecture et la beauté de ce manège, avec ces cinq mille fleurs de quartz. C’est une œuvre très forte, et très émouvante.
M: Fabuleux
CD: Ce sont des fleurs de quartz, « cueillies » au Maroc, dans l’Atlas.
 
Stéphane Guiran, “Le nid des murmures”, 5000 fleurs de quartz, 2018, Chaumont-sur-Loire (photo Mychkine) 
Stéphane Guiran, “Le nid des murmures” (détail) (photo Mychkine)   
Stéphane Guiran, “Le nid des murmures” (détail) (photo Mychkine)   
 
PS: Je remercie madame Colleu-Dumond pour le temps accordé, et pour toutes ses informations précieuses.
La suite, Partie 3, bientôt…
 

 

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