Petite métaphysique du Western

 “To the memory of Harry Carey, bright Star of the early western sky.” (Décidace du film)

“3 Godfathers” (Le Fils du désert), est un film en Technicolor réalisé par John Ford, le maître du Western, en 1948. Il a été tourné dans le désert de Mojave, la Vallée de la Mort, et à Lone Pine (altitude 1,136 m, Inyo County, Californie).   

J’ai toujours aimé le Western. Métaphysique de la vie, de la mort, de l’aventure, du fonçage dans le nulle, part. Bien sûr, c’est une métaphysique par proxy ; jamais nous ne galoperons dans le désert de Mojave, et jamais nous ne crèverons de soif dans la Death Valley. Mais, grâce à la vertu du cinéma, qu’Aristote ne connut pas, nous pouvons nous identifier, après tout, finalement, si, par ce qu’il appela catharsis. Donc, pardon Aristote !, ça marche même pour le Western ; nous souffrons avec le héros, et même, parfois, pour le hors-la-loi (“outlaw”) ; il arrive que nous souhaitions qu’il s’en sorte, même s’il vient de commettre un forfait notoire. C’est la magie de la catharsis, on peut s’identifier au vilain sans aller en prison. Et là, dans “3 Godfathers”, c’est le cas ; on a envie qu’ils s’en sortent les gars. Ils viennent de faire un hold-up dans une banque, mais ça a mal tourné, et ils n’ont récupéré qu’une misérable bourse… et le jeune malfrat qui les accompagne, “Abilene Kid” (William), a pris une balle dans l’épaule, après qu’on leur ait tiré dessus et bloqué les sorties du bled. Et c’est heureux qu’ils ne fussent pas morts tout trois avec toutes les balles tirées ! Oui, mais sinon, le film s’arrête. Ce serait ballot. 

Cliché, pur, légende. On ne le reconnaît pas ici, mais c’est John Wayne au premier plan. Chevauchée fantastique, dans le désert de Mojave, pour échapper, encore et toujours. Échapper à la mort, à la condamnation, à la bienséance. Wild west. On galope toujours à fond, à brides abattues, au triple-galop. On se demande toujours comment ils font pour s’orienter. On ne les voit jamais consulter une carte, une boussole, rien. Ils ont un compas dans la tête. Ce qu’ils ne savent pas encore, mais nous oui, c’est que la gourde plate accrochée à la selle du second cheval a été perforée d’une balle de Winchester (encore une légende, que je regardais dans le catalogue Manufrance, rêvant d’en avoir une). Ils galopent vers la soif, la mort, la poussière. Avec toujours ces paysage quasi hallucinants, de vastitude, de vide, d’absence. 

Robert Marmaduke Sangster Hightower (John Wayne) vient de se rendre compte, suite à un arrêt, de la gourde vidée… Il la jette de rage dans le vide. Dans le vide, avec en contrebas les striures géologiques, les plissures, les saillies, les gouffres de Death Valley, il jette la gourde inutile. La situation devient très dramatique. Vont-ils survivre ? La survie, c’est la question essentielle du Western, car on n’est jamais à l’abri de se prendre une balle venue d’on ne sait où, mais bien destinée pour nous, comme un cadeau de l’enfer. En anglais étasunien, on dit “bite the bullet”, « mordre la balle », pour signifier une inévitable épreuve, un obstacle à franchir, mandatoire. Bite the bullet, mordre la poussière. Demander à. Prêter à rire. Sans saveur. Sans Iroquois. John Wayne, il a toujours eu la classe. La classe mondiale. Il était beau, déjà, jeune, grand, et bien balancé. Et puis il avait cette posture, cette démarche, toujours légèrement flegmatique, du genre “ouais, on arrive”. Mais fallait pas le chauffer. Et il avait le sens de l’honneur (voir L’Homme Qui Tua Liberty Valance, “The Man Who Shot Liberty Valance”, un chef-d’œuvre — encore un —, de John Ford, 1962). 

Mais je disais que jamais dans les Western les héros ne dessinent des cartes, ou quoi que ce soit du genre, mais justement, dans “3 Godfathers”, Bob Hightower dessine un plan, dans le sable !

Le dessin tente de montrer comment contourner les hommes du Shérif Buck (“Perley”) Sweet, qui siègent près du réservoir d’eau ferroviaire, empêchant Bob et ses compagnons d’infortune d’accéder à la moindre goutte d’eau… Il s’agit donc d’en rejoindre un autre. D’où ce croquis explicatif. Donc les hommes repartent, et c’est de nouveau la tempête de sable.  

C’est une vraie tempête, il n’y a pas de fond vert, et cela a dû être difficile pour l’équipe, les acteurs, et les chevaux. Au bout d’un moment, on arrive dans un champ de cactées, alors, avec son long poignard, Bob fracasse un Echinocactus grusonii, afin d’en retirer la pulpe interne et en presser le jus : 

Ah ça fait du bien ! Allez, encore un peu de marche,

et on arrive enfin en Arizona ! Mais, entre temps, Abilene Kid est mort, et Pedro “Pete” Rocafuerte s’est suicidé ; seul Bob rejoint New Jerusalem, avec le bébé qu’ils avaient accouché dans le chariot abandonné, laissant la femme trop épuisée pour être secourue…

PS. Pour en savoir plus, la fiche Wikipedia est très savante et complète.

 Léon Mychkine

écrivain, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

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