Piratage chez Danh Vo, une œuvre à vau-l’eau ? Ou le christianisme à la découpe

Le motif de cet article, au départ, c’est le petit gag produit par un ami qui est intervenu en scred sur une “œuvre” de Vo. Et puis, en faisant des recherches sur ledit, ce qui au début devait être quelque chose d’assez drôle, d’assez espiègle, au cours de mon enquête, est devenu moins loufoque, voire l’opposite. Mais commençons par le pince-sans-rire, avant que cela ne se gâte.

Acte I. Au cours de l’inventaire d’une “œuvre” de Danh Vo, titrée “Log dog”, notre ami-agent fut employé à la tâche, au combien précise et délicate, de compter les nombreuses branchettes composant “Log dog”. Je cite notre agent : 

« Évidemment vu le prix de l’œuvre, il y a tout un protocole à respecter (tout est répertorié avec des petits numéros, photographié, manipulé avec des gants etc). Rien que pour déballer la pièce et la mettre en place ça a pris au moins trois jours. Il y avait même des petits sachets contenants des petites branches et des bouts d’écorce. Ça m’a donné envie d’intervenir par une action tout à fait insignifiante mais révélatrice finalement. Donc je suis allé dans le jardin [de X] et j’y ai pris une petite branche dont j’avais pris soin d’ôter l’écorce pour mettre le bois à nu, puis je l’ai ensuite déposée dans l’œuvre de Vo. À la fin de l’expo tout à été remballé selon le même protocole. Comme je l’avais pressenti ils (les conservateurs de Pinault) n’ont rien vu et mon petit bout de bois a été mis en sachet et est parti avec la pièce de Vo ».

Tout de suite, et sans plus attendre, une image :

Photo d’inventaire fournie par notre agent

On reconnaît aisément la brindille surajoutée ; c’est la plus claire. Et, comme on le voit bien, la brindille a été  validée dans l’inventaire, puisqu’ensachée. L’histoire ne dit pas si, revenue dans le giron de la Collection Pinault (ce cher homme !), quelqu’un s’est rendu compte de l’étonnante clarté de la brindille. Car notez bien que notre agent a écorcé l’objet, tandis que, sinon, rien ne dérogerait à la magnifique harmonie des couleurs, dont Vo a le secret (on dirait du Dagen). Mais bien sûr que cela s’inscrit dans le prolongement de l’acte subversif (dont se remettra l’œuvre, tant elle est puissante, n’en doutons pas). Notre agent, généreux qu’il est, nous a gratifié d’une autre image, saisissante, nous donnant à voir d’autres artefacts voïens :

Même en vrac, quelle puissance se dégage de ces branches ! Mais il faut voir l’œuvre en son ensemble pour constater sa toute pertinence :

Comme l’écrit un critique :« des troncs d’arbre, des branches, strient le sol, on les dirait apportés et déposés par des eaux courantes, des eaux peut-être qui ont porté le boat people ; ne nous arrêtons pas au titre, Log Dog, la pièce date elle aussi de 2013. Des fragments de sculptures anciennes se sont mêlés aux morceaux de bois mort, çà et là, une main sort d’un tronc, des jambes se dressent, on devine des fragments sculptés du Christ, au point que l’installation entière d’un coup prend corps, prend vie, sur des contrastes où le profane et le sacré n’en constituent pas le moindre.»

Si on parle ici de “bot-people” c’est parce que Danh Vo est un enfant exilé du Vietnam, parti très tôt, à l’âge de quatre ans, de son pays. Ceci dit, on ne voit pas très bien le rapport avec du bois mort. Est-ce une métonymie visuelle de la dérive ? On part sur un bateau sans savoir du tout où l’on abordera ? Curieusement, par un effet uchronique, on trouve dans ce tas des éléments iconographiques issus de la culture occidentale, comme des fragments de statuaire religieuse, par exemple :

On peut lire ailleurs ceci : «L’utilisation par Danh Vō de l’imagerie religieuse dans Log Dog provient d’un intérêt qu’il cultive depuis longtemps. Dans tous les endroits qu’il visite, il s’intéresse particulièrement aux églises chrétiennes et recherche des icônes religieuses anciennes. Lorsqu’il était enfant, son père est devenu un fervent chrétien emmenant régulièrement toute la famille à l’Église, et a ainsi éveillé l’intérêt de Danh Vō pour cette iconographie étrangère.»  L’uchronie vient donc du fait que, dans les bois flottants qui accompagnent la dérive des boat-people, par anticipation, précursion, depuis celui qui connaît déjà l’histoire, se trace le sillage d’un destin occidental déjà parsemé d’indices… C’est très subtil.

Acte II.

Cette sculpture saccagée par Vo est spirituellement nommée “You’re gonna die up there/Keep away! The sow is mine/Fuck me,,” soit «Tu vas mourir là-haut/Garde-toi à l’écart ! La truie est à moi/Baise moi », une citation tirée du film “L’exorciste”, qui a apparemment beaucoup marqué Monsieur Vo, car on retrouve une autre citation dans une autre “œuvre”. Le site pinaultcollection.com apporte à notre connaissance ces éléments indispensables :« Danh Vo a pour coutume, dans certains aspects de sa pratique artistique, d’acquérir des sculptures religieuses sur lesquelles il intervient. Ici, il en retire les bras, la tête, et la croix qui supporte le Christ. Ainsi, comme dans We the people (detail) (ici), également conservée au sein de la Collection Pinault, l’artiste ne nous offre qu’un fragment d’objet, suggérant les effets de la colonisation et les changements culturels qu’elle a impliqués.»

Acquérir de la statuaire religieuse chrétienne et la saccager, cela doit beaucoup plaire aux “décoloniaux”, aux “racisés-ants”; bref, à toute cette tribu qui passe son temps à vomir l’Occident et son héritage culturel. On a toujours envie de leur dire que la planète est bien plus vaste que l’Occident, et qu’ils pourraient bien aller vivre ailleurs, ils s’en porteraient probablement mieux. Mais le Ressentiment à la vie dure, ressentiment qui inonde la plupart des esprit décoloniaux qui, pour la plupart, n’ont jamais connu la moindre colonie de leur vivant. Que le lecteur ne s’y trompe pas ; je n’ai rien contre la critique de l’Occident et de sa religion fondamentale en particulier, et je n’ai pas attendu Monsieur Vo pour lire Nietzsche et le Marquis de Sade qui, en matière de dynamitage du Christianisme, ont rejoint des hauteurs littéraires et philosophiques bien plus hautes et élevées que celles produite par ce jeune artiste bankable et provocateur (quel frisson chez le bourgeois !). Cependant, même Nietzsche aura écrit que « le christianisme a rendu l’homme intéressant », mais, pour comprendre cela, faut-il encore le lire…

De fait, il me choque qu’un artiste coupe à la scie des œuvres religieuses, et tout cela pour dire quoi ? Pour inventer quelle nouvelle forme d’art, de sculpture, d’installation ? Je laisse juge le lecteur. Ce qui est sûr, c’est que la vision du patrimoine religieux volontairement mutilé, quelle que soit son origine ethnique ou civilisationnelle (des Bouddhas de Bâmiyân explosés par ces fascistes de Talibans aux œuvres d’art de la cité assyrienne de Nimroud démolies par ces psychopathes de Daech) est un signe de barbarie.

 

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA France

 

 

 


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