ART-ICLE.FR, the website of Léon Mychkine (Doppelgänger), writer, Doctor of Philosophy, independent researcher, art critic and theorist, member of the International Association of Art Critics (AICA-France).

Pourquoi Thomas Ruff n’est pas un si grand photographe ? (+ guest)

Le site en ligne “fineartmultiple™” vend de l’art sur l’Internet. « Nous donnons accès à la richesse [“wealth”] de l’art contemporain fournissant un marché en ligne à nul autre pareil. Vous pouvez naviguer, acheter, et vendre toute œuvre d’art d’artistes contemporains célèbres et vous sentir en sécurité en sachant que l’œuvre est 100 % authentique et juste à un clic d’être envoyée directement à votre porte.» En cherchant des images de Thomas Ruff, j’“atterris” sur une page dudit, titrée : “9/11 — Le jour où Thomas Ruff a Réinventé la Photographie”. On notera la modestie du propos. De quoi s’agit-il ? Le onze septembre 2001, Ruff est à New York, et, par un hasard démoniaque, assiste au double attentat du World Trade Center. Il photographie avec son appareil argentique, mais, une fois rentré en Allemagne, le film est noir. Rien. Il se dit que, probablement, durant le scan à l’aéroport, les rayons ont tout bousillé. De dépit, Ruff cherche sur la Toile des images des attentats. Bien sûr qu’il en trouve, en veux-tu en voilà ! Mais, dès qu’il agrandit les captures, ça pixellise. Au lieu de s’en formaliser, Ruff décide d’utiliser cette aberration, et voici donc la première photo, au monde, à avoir réinventé la photographie :

Thomas Ruff, jpeg ny01, 2004, C-print, 256 x 188 cm

Quand on fait du business, il ne faut jamais lésiner sur le slogan. Nous sommes servis ! Mais bon !, une fois dit, qu’a-t-elle donc de “réinventive” cette photographie ? Rien. Au point même que cela ne ressemble plus à une photo, mais à un tableau. Et alors, est-ce pour cette raison qu’il faut faire tout un foin de cette photo, parce qu’elle ressemble à un tableau ? You must be joking! À-propos de “Série JPgs”, et en parcourant la littérature, on tombe sur ce genre de poncifs : « Thomas Ruff ébranle ainsi la certitude et l’authenticité que nous associons à la photographie, parce qu’elle est encore souvent pour nous synonyme d’impression lumineuse portée par des clichés argentiques. En suspendant également la netteté qui nous permet en général d’authentifier le sujet et de singulariser le médium photographique parmi les pratiques productrices d’images, les JPegs remettent en question la fonction d’indice et de trace du réel dont la photographie a toujours semblé solidaire. » Ça fait un bout de temps que la photographie n’est plus associée à l’argentique, mais bon, admettons…Quant à l’authenticité de l’image photographique, il y a belle lurette qu’elle est questionnable, et ce, quasiment depuis sa naissance, et je rappelle, encore une fois, que la première photographie au monde, celle de Niépce, ne reflète pas le réel authentique, puisqu’elle a pris six heures pour être réalisée. Ensuite, en quoi l’augmentation des pixels contribuerait-elle à disqualifier le réel ? N’importe quelle photographie augmentée fera apparaître soit du grain, soi du pixel. Et alors ? En quoi, tout à coup, le réel deviendrait-il suspect, défiabilisé ? Thomas Ruff s’est fait connaître à la fin des années 1980 avec des portraits insipides, tel :

Thomas Ruff, “Porträt (T. Bernstein)”, 1988, C-print, 210 x 165 cm

 

À l’époque, Ruff prend en photo ses amis étudiants, et il aura dit au sujet de cette série que « la vérité interne d’une personne ne peut jamais être représentée dans une image.» Qu’est-ce qu’une telle phrase peut bien vouloir dire ? C’est du charabia pseudo-philosophique. Il a juste inventé le giga-Photomaton®…

Thomas Ruff, “ Portrait 1989 (I. Graw)”, 1989 , C-print, 30 x 22 cm. Prix : 2 500 EUR

 

On préférera encore des portraits de Valérie Belin, qui sont plus parlants, tant du point de vue technique que depuis la questionnante beauté…

 

Valérie Belin, “Untitled”, 2006

 

PS. J’aurai fait grâce, au lecteur, des images porno-chic-floues, des pseudo-abstraites, et des affligeants et désolants portraits de Mao Ze Toung, de M. Ruff.

 

Léon Mychkine