Quelques gouaches de Fabienne Gaston-Dreyfus. Bataille et ludisme.

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    « Les relations signifiantes du “langage artistique” sont à découvrir à l’intérieur d’une composition donnée […] » (Hubert Damisch, “Huit thèses pour (ou contre ?) une sémiologie de la peinture”, 1974)

 

Il y a une grande variété de peintresses et de peintres. Il y a ceux qui soignent le trait au plus sublime de l’oubli même de son existence (l’École ingresque), et ceux qui n’hésitent pas à le montrer (École delacruzienne). En dépit ou sans, d’ailleurs, et quelles qu’aient été les périodes successives, contraires, fidèles, antinomiques, etc., on n’en n’est pas sorti. Cela ne veut pas dire que nous en sommes encore là, mais que le Trait pictural fait toujours parler (de lui). bien sûr, les passage à la Modernité et au Contemporain ont fait échapper le Trait des formes conventionnelles. Je dis bien conventionnelles, trait et formes n’ont pas disparu. j’utiliserai le terme “pattern” (on va voir pourquoi) au lieu de « forme ». Turner le premier à échappé aux conventions, à un point tel qu’il ne reste souvent que le “pattern”. Ceux qui ont perduré dans cette voie ont continué la naissance de l’art dit abstrait, et ceux qui ont conservé trait et “pattern” ont tenu à garder une certaine forme de vocabulaire (même chez Pollock période “dripping” il y a les deux).         

Chez Gaston-Dreyfus, on suppose un ‘pattern’. À force de l’écrire, on se demande si le mot ‘pattern’ ne serait pas d’origine française. Si, il provient du mot « patron », qui, on le sait, est polysémique ; pouvant signifier tout autant « contour, plan, modèle, original proposé à l’imitation, partie montrant la figure ou la qualité de l’ensemble. » Gaston-Dreyfus ne sait jamais où elle va quand elle commence à peindre, mais le résultat est conditionné par son vocabulaire, vocabulaire assez libre pour ne pas imposer ses conditions grammaticales, soit l’ordre préétabli, inné, de la structure ; cependant qu’il y aura bien, in fine, structure, ce qu’elle appelle une « construction ». D’où le résultat, tout de même pour l’artiste au premier chef, toujours inattendu. Et autant pour nous (comment pourrions-nous être moins surpris qu’elle-même ?)         

 

Fabienne Gaston-Dreyfus, Gouache sur papier, 2022, 80/60cm

Durant l’entretien, Gaston-Dreyfus était d’accord avec moi pour dire que cette gouache (ci-dessus) était assez ludique. On pourrait presque ici trouver du figuratif dévié (tête à gros nez, jupe à franges.… je plaisante). La première chose que l’on remarque, c’est l’intensité des couleurs ; ça pète. L’effet éclatant est renforcé par le non-souci total d’une quelconque harmonie, de recherches de couleurs complémentaires, bla bla bla…, Gaston-Dreyfus n’est plus à l’École depuis longtemps. Et l’effet intuitif, spontané, de son usage de l’apposition des couleurs, presque anarchique, évidemment, renforce grandement l’éclat chromatique. Et la qualité de la gouache Lascaux est si vive qu’elle semblerait presque fluorescente par endroits. On connaît d’autres artistes qui ne se soucient guère davantage de l’harmonie chromatique, et, chez certains et certaines, ça “hurle”, c’est tout à fait repoussant. Mais pas chez Gaston-Dreyfus. Il doit bien y avoir ici quelque chose de mystérieusement sympathique à l’œuvre… 

En terme de vocabulaire, on note des encerclements, et, selon sa propre terminologie, « des touches, des frottements, des sortes d’aplats, des quadrillages.»

frottement (encerclé)

touche

 aplats

Quadrillage

Fabienne Gaston-Dreyfus, Acrylique sur toile, 2022, 210/150cm [Détail]

En comptant les encerclements, ça fait cinq signes visuels. Nous cherchons à identifier un répertoire morphologique, que produit et reproduit inlassablement Gaston-Dreyfus depuis des années, dans des (re)configurations diverses et variées ; ce qui ne veut pas dire que l’artiste “fait” toujours la même chose, bien entendu, tout cela évolue, et toute évolution conduit à des changements, par nature, comme nous allons le voir maintenant.

Fabienne Gaston-Dreyfus, gouache sur papier, 2022, 80/60cm

Avec cette gouache , nous dit l’artiste, il y a eu beaucoup de bagarre. Et cela se voit. On a l’impression qu’elle a mis tantôt des dispositifs qui, finalement, déséquilibraient telle autre partie, et qu’il a fallu compenser, par des masses, des touches, des oppositions. Cependant que les deux grands encerclements assument toujours le territoire. Mais, finalement, dans quelle mesure ? Quelle est la valeur du blanc à l“’intérieur” (des encerclements) et de celui à l’“extérieur” ? Est-ce la même ? Dit autrement : Le blanc a-t-il le même rôle “dedans” et “dehors” ? Et puis, on remarque de nouveaux “signes” qui apparaissent, comme ici :

Contradiction du vocabulaire en acte (?), c’est-à-dire encerclements concentriques superposés par des triangulaires ; inattendus. On pourrait aussi s’interroger sur une même sorte inattendue de superposition, comme ici :

Sur les quadrillages (voir plus haut Détail), il n’y a généralement pas d’intervention exogène, mais c’est le cas ici, avec ces faux sphériques turquoise. On sent là une hétérogénéité du vocabulaire qui n’hésite plus à s’associer, voire, à se contredire, mais pour dire autre chose, en suspens ; un morphème n’annule pas l’autre. À une certaine époque de sa peinture, les morphèmes chez Gaston-Dreyfus étaient soigneusement délimités, compartimentés, donc sémantiquement indépendants ; et puis, peu à peu, et c’est assez récent me semble-t-il, ils se sont mis à se rapprocher, à se toucher et à passer l’un par dessus l’autre sans pour autant, et encore une fois, s’annuler. Certains morphèmes s’associent ; d’indépendants, ils deviennent interdépendants, du moins dans les détails identifiés comme tels. Cela nous réserve certainement d’autres aventures.

On pourrait peut-être se demander pourquoi on a recourt à des termes issus de la linguistique. La réponse est assez simple : En art contemporain, nous manquons de vocabulaire pour décrire ce que nous voyons et ressentons, d’où, souvent, un recours à un lexique assez convenu, banal, repositionnable, pour quoi que ce soit (post-it words) ; mais cela n’est pas suffisant, ni convaincant. Faut de mieux, en attendant, il n’est pas interdit d’emprunter depuis d’autres champs, là où se trouve une richesse descriptive tout à fait extraordinaire et qui ne connaît pas d’équivalent dans le domaine plastique ; et par exemple la linguistique. Il ne s’agit pas d’annihiler le pictural dans la linguistique, mais de tenter d’enrichir les recours descriptifs. Autrement dit, quand on dit que telle ou tel artiste produit des sèmes, des morphèmes, par exemple, il ne s’agit pas de dire que nous avons affaire à un langage composé de mots et que l’artiste “fait” des phrases ; cela n’a évidemment rien à voir. Il s’agit ici de transposition interdisciplinaire : penser avec mais pour penser autre chose.

 

Léon Mychkine
critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant
 
 
 
https://art-icle.fr/un-entretien-avec-la-peintresse-fabienne-gaston-dreyfus-sur-ces-travaux-recents/
 
 

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