Quelques photogravures de David Lynch. Série « Imaginaire en failles »

David Lynch, “Distorted Nude”, photogravure #2, 2021, 47 × 44.5 cm, Edition of 30

Rappelons, pour ceux qui ne savent pas (moi le premier), en quoi consiste la photogravure, avec une définition standard : La photogravure est initialement le nom donné au procédé photographique qui permettait d’obtenir des planches gravées utilisables pour l’impression typographique, dits clichés, soit au trait (sans nuances ni demi-teintes), soit en demi-teintes par tramage, ou similigravure. La photogravure a défini par la suite l’ensemble des techniques permettant la réalisation des éléments nécessaires à l’obtention de la “forme imprimante” destinée aux différents procédés d’impression comme la typogravure, l’héliogravure, et l’offset.            

J’ai inséré l’image dans son état final d’exposition, mais je crois qu’il est utile de donner un plan rapproché :

Question bateau : “Voir”, est-ce “comprendre” ? Voire même, “entendre” ? En un sens, comme dirait tout quidam, Lynch est certainement le seul et unique représentant de ce que l’on pourrait qualifier d’un surréalisme ajouté d’une bonne dose de psychisme dilué dans les eaux du Sixième lac de l’enfer, celui ajouté par Freud, et qui nous a fait comprendre à quel point la vie humaine était infernale, sublime, et pathétique. Personne ne connaît le même parcours, mais tout le monde y a droit. Et même le milliardaire qui peut s’acheter tout ce qu’il veut, et déjà bien âgé, quand il regarde la caricature que devient son visage — il a beau surveiller au gramme près son alimentation et user de crèmes épidermiques —, il sait qu’il rentre dans le pathétique, l’avant-coureur figureur de la mort, la disparition, qui ne se fera pas prier pour l’accueillir dans le mausolée qu’il aura choisi et où ces milliards ne lui serviront plus de rien. En ce sens, on l’a compris, une bonne partie des photos de Lynch sont des Vanités. Remarquez, des vanités qui se débattent bien contre le courant qui les entraînent comme (in)justement sur un fleuve anti-héraclitéen, i.e : C’est toujours le même fleuve, agissant comme un tapis roulant qui ne cesse d’aller de l’avant et de l’arrière, annulant ainsi toute sensation et effectuation de déplacement. Maintenant, bien qu’il s’agisse ici d’un montage, ce diable de Lynch ayant le sens de la mise en scène (c’est le moins que l’on puisse dire), nous allons forcément nous poser des questions, dont j’annule immédiatement la déclinaison en supputant la chose suivante : Lynch décrit ses rêves et cauchemars.

Note. Cauquemares (1375) et incubes. Au XVIe, « sorcières » est synonyme de « cochemares ». Le préfixe vient de l’ancien français chauchier : fouler, presser, du lat.  calcare (v. côcher) et la forme picarde correspondante cauquier. Le suffixe est emprunté au moyen néerlandais mare :« fantôme qui provoque le cauchemar », Verdam, auquel correspondent l’ags. mare « spectre » [angl. nightmare], l’a. h. all., m. h. all. mar [n. h. all. Mahr.] Source CNRTL.

David Lynch, “Distorted Nude Photogravure #1”, 2021, photogravure, 47 × 44.5 cm, Edition of 30

Lynch donc photographie et transforme (« distord », dit-il), mute son sujet, afin de le rendre à la fois reconnaissable et différent, pour finalement installer comme une galerie authentique de portraits, une galerie de “freaks”. 

Comme avant, prenons du non-recul :

Trouver la juste touche, le motif, bien entendu (qui ne vient pas tout seul), c’est une paire de manche, à balai, de back channel. Maintenant, cher lecteur, je sais bien, j’en ai conscience, que les photographies de David Lynch semblent des images d’Épinal comparées à celle de Joel-Peter Witkin. Certes. Cependant, il y a quelque chose qui me gêne chez Witkin, et je crois enfin pouvoir l’indiquer. 1) Witkin est exubérant, c’est souvent un mélange d’holocauste (au sens biblique), de macabre médiéval, de médecine légale, et de tératologie, entre autres. Or le surplus est l’ennemi du pertinent, et donc, même si, bien entendu, et dans ce registre, Witkin aurait l’ascendant sur Lynch, car, disons-le, Lynch n’est pas vraiment un photographe ; en revanche, c’est un génie de la photographie, au sens cinématographique — rappelons qu’au cinéma, un Directeur de la photographie, c’est celui qui cadre, au niveau chromatique et géométrique, chaque scène, et, de ce point de vue, Lynch, et c’est indéniable, est un maître, et il en remontrerait à Witkin (la balle au centre). Et c’est peut-être parce que Witkin n’est pas un directeur de plateau, un metteur en scène, un directeur de photographie, un réalisateur, qu’il a souvent tendance à en rajouter dans une seule image, tandis que Lynch a pour lui la temporalité du film cinématographique ; d’où ses photographies, qui sont donc des portraits, tandis que celles de Witkin sont des tableaux.

David Lynch, “Distorted Nude”, photogravure #4, 2021, 47 × 44.5 cm, Edition of 30

De longtemps nous avions perdu de ce côté de l’Occident nos coutumes nos bacchanales nos sabbats… Le merveilleux et la magie ont été chassés par la rationalité forcenée des Descartes, Mersenne, et bien d’autres. Il fallait bien qu’un jour merveilleux et magie revinssent par la fenêtre — celle, oui, de Léon Battista Alberti ; avec quelques ajustements et licences contemporaines. Et c’est bien tout ce qui nous reste, en sus de la littérature (contes, romans, poèmes, etc.). Mais cet imaginaire redélivré, nous le savons irrémédiablement perdu de ce côté-ci de la réalité, qui est devenue tellement triviale, consumériste, motorisée à en crever, qu’il faudrait parler d’Imaginaire en failles ; des failles d’imaginaire, encore accessibles pour ceux qui regardent et écoutent, quant au reste, ma foi, n’insistons pas, car la cause est désespérante, et désespérée.   

 

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France

 

 

 


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