Rubrique « Travail en cours »: Christophe Lalanne

NB. Les artistes œuvrent, nous a rappelé Hannah Arendt. Mais, pour qu’il y ait « œuvre », il faut « œuvrer », comme elle l’écrit aussi, mais, aussi, tout simplement, travailler. On sait bien qu’Arendt distingue catégoriquement entre travail et œuvre, et que les artistes ne sont pas des travailleurs. Cependant, j’y insiste, ce n’est pas parce que l’artiste fabrique, à l’atelier, qu’il est, à tout coup, en train de produire une œuvre. Pourquoi ne pas dire, alors, qu’il œuvre ? Parce que, si on écrit : à l’atelier l’artiste œuvre, on ne peut que conclure qu’il est en train de créer une œuvre, ce qui n’est pas toujours vrai, car le temps artistique est aussi fait d’essais, d’hypothèses, de tentatives, et, aussi, de destruction. Ainsi, dire qu’à l’atelier (quel que soit l’endroit) l’artiste travaille avant de faire œuvre fera sens pour les artistes eux-mêmes, supposé-je, mais aussi pour quiconque a compris l’écart subtil entre le temps de création et le moment où l’artiste juge, ou “sait” qu’il ou elle a achevé une œuvre. Alors, oui, « œuvrer », cela demande beaucoup de « travail ». C’est bien pour cela que les artistes, si on lisse le vocabulaire, “travaillent” beaucoup plus que n’importe quel “travailleur” salarié. Et, ce qui est pis, c’est que, pendant ce temps d’é-labor-ation, l’artiste n’est pas payé. Et là, on se dit : Qui accepterait de travailler gratuitement sans en retirer quelque pécule ? Personne. Personne… à part un artiste. Ceci dit, bien souvent, ce “travail”, on ne le voit pas, et, remarquons-le, nous n’avons parfois des “documents de travail”, des “études”, qu’après le trépas de l’artiste. N’est-il pas intéressant de montrer une partie de ce travail de son vivant ? Claro que si.

Ainsi, cette nouvelle rubrique a pour but de montrer le travail, l’œuvre en train de se faire, à partir de photographies prises à tel et tel moment, par l’artiste. Cela s’inscrit comme un “flash” ; un instant donné dans le travail de l’artiste. Bien entendu, puisque c’est un “flash”, les travaux montrés ici peuvent encore évoluer ; voire, disparaître. Quelques mots personnels de l’artiste permettent de se faire une idée sur comment le travail, les hypothèses se mettent en place, le tout en rapport avec le “métier” et le processus purement créatif, qui, à lui seul, prend du temps, voire beaucoup. Et c’est donc Christophe Lalanne qui inaugure cette nouvelle rubrique, avec des travaux récents — pas plus tard qu’hier —, et je le remercie de sa confiance :

 

 
 
Lalanne dixit : Les empreintes étaient généralement d’une prise que je retouchais ou pas. Maintenant je ne retouche plus — sauf de temps en temps, un coup de gomme pour enlever un élément trop fort. Mais ce n’est pas systématique.
J’aime bien avoir un élément qui dénote parfois, et la couleur est de plus en plus importante, avec les papiers carbone, qui se résument au bleu outremer, jaune, rouge, gris, blanc, et noir. Certains vieux papiers bleus ont viré au vert émeraude ; et la plupart du temps
je superpose les empreintes notamment avec les papiers carbone.
J’ai récupéré des vieilles feuilles de papier carbone qui date des années 70, beaucoup plus solide, son ancrage est un peu gras,
ce qui permet de ne pas le fixer. J’aime récupérer, avec toujours cette envie de faire avec du bon marché.
 
Je travaille aussi les superpositions avec les papiers japonais et les calques que je place sur une fenêtre, que je photographie
à différentes heures de la journée ; et ça change les couleurs, et là c’est un travail qui devient plus photographique.
 
J’utilise un rouleau normalement encreur pour la gravure, qui remplace ma main quand je travaille sur du papier épais, cela donne une sorte de presse que je manie et qui permet aussi de retrouver un geste visible puisque je laisse volontairement les coups de rouleaux,  ce qui évite aussi les trous quand les sols ont trop de “grains” ou des petits cailloux. Parfois, je ne tiens plus ma feuille, ce qui donne aussi des signes ; des gribouillis, une sorte d’écriture infantile :
 
 
 
Je travaille de plus en plus avec la pluie, le vent ; je laisse mon empreinte sous la pluie surtout avec les fusains ; ce qui donne des effets étranges, proche du minéral (pierre mur), ou de l’aérien (nuages), et lorsque la feuille s’envole, quand il y a un coup de vent,
ça griffe le papier, ce qui donne des traits qui rompent avec la texture habituelle.
Je ne travaille en intérieur que pour maroufler les papiers sur des toile quand j’estime que c’est terminé.
 
 

Léon Mychkine