Durant les vingt dernières années, Ugo Rondinone a mis en scène la figure de l’artiste contemporain et questionné sa relation au monde. (site Mirabaud)
La pensée de Samuel Beckett imprègne l’œuvre de Rondinone, qui refuse d’offrir un projet de vie et propose plutôt des moments d’existence mélancoliques. (Madame Figaro)
Ugo Rondidone (né en 1964) est une star mondiale de l’art contemporain. Il est très bien coté, comme en témoigne cette vente chez Christie’s, le 12 novembre 2021 :
Rapprochons-nous :
On pourrait croire à un personnage animé, comme Beavis ou Butthead, n’est-ce pas ? Les chaussures jaunes, le corps vert, et la tête rose avec cette incroyable coiffure post-Elvis. Mais le titre nous dit “Montagne Jaune Verte Rose”. Nous voilà perplexes. Existe-t-il une telle montagne ? Ce serait tout de même étrange, sans compter qu’une montagne prend plutôt souvent l’apparence, grosso-modo, d’une pyramide, du genre égyptien, aztèque, ou d’un gros sein…
Souvent, pour aider le spectateur disponible, Rondinone titre sa pièce d’une manière limpide, par exemple :
Un “moine bleu violet”. Une fois lu, cela nous aide à nous orienter, comme une boussole dans la nuit (il faut qu’elle soit rétroéclairée, bien entendu). Sommes-nous plus proches de la ressemblance qu’avec “Montagne Jaune Verte Rose”? Rien n’est moins sûr. En exergue, nous avons relevé que l’artiste « questionne sa relation au monde.» C’est bien cela dont il s’agit. L’artiste Rondidone questionne sa relation au monde, par la médiation de l’art, très coloré et vif. Et dans ce monde, il y a aussi des moines. D’ailleurs, tentons alors de nous approcher du visage de ce moine cirrhotique :
C’est bien plus net et parlant, n’est-il pas ? Certainement qu’ici Rondidone évoque à la fois le vin christique et le problème de l’alcoolisme dans les monastères transalpins. À noter que pour ceux qui préféreraient d’autres tons, le moine est disponible dans ces coloris :
Mais on peut en découvrir encore des orange/jaune, jaune/rouge, etc. Maintenant, il faut bien le reconnaître, l’art de Rondidone peut sembler quelque peu hérmétique. Mais justement, à celles et ceux qui s’inquièteraient de ne pas tout saisir, tout comprendre dans ses œuvres, l’artiste nous dit ceci :
Je dis toujours qu’il n’est pas nécessaire de comprendre une œuvre d’art. Il suffit de la ressentir. Dans mon travail, j’utilise des symboles bruts très simples, auxquels tout le monde peut s’identifier, de l’enfant à la personne âgée, de l’Orient à l’Occident. (Entretien, Gladstone Gallery).
C’est bien plus éclairant quand nous le lisons ! Je suppose que, pour ressentir une sculpture de Rondidone, il faut en être physiquement proche. Mais serait-ce néanmoins possible à travers l’image ? Cela paraît difficile. Heureusement, dans ce court entretien, l’artiste nous dit aussi :
Tous les symboles que j’utilise proviennent du mouvement romantique, de l’arc-en-ciel et du masque à la figure solitaire, en passant par l’arbre, la pluie et la neige. Le mouvement romantique a été le premier à inclure l’irrationalité et les rêves, c’est pourquoi il est important. Mon métier n’est pas d’être logique.
L’arc-en-ciel, interprété par Rondinone, c’est cela :
Bien sûr que cela ne “ressemble” pas à un “vrai” arc-en-ciel, mais c’est fait exprès, c’est, littéralement, une vision d’artiste ! Quant aux masques, de quoi s’agit-il ?
La figure solitaire semble correspondre à cette audacieuse sculpture suspendue :
On noterea le jeu de mots, “humansky” ; non pas l’homme-ski, mais l’ “homme-ciel”, l’homme couleur de ciel (avec nuages) ; l’homme dans le ciel, projection qui n’est pas sans évoquer l’emprise de l’homme sur la nature.
Enfin un arbre, chez Rondinone, est assez proche d’un “vrai”, comme en témoigne celui-ci :
On le voit, la palette de l’artiste est très riche, généreuse, et on ne mentionnera pas les dizaines de cercles chromatiques peints, et dont il a le secret. Alors, en lisant un article de Mme Saad, on se demande d’où vient la mélancolie chez Rondidone :
La pensée de Samuel Beckett imprègne l’œuvre de Rondinone, qui refuse d’offrir un projet de vie et propose plutôt des moments d’existence mélancoliques. (Shirine Saad, Madame Figaro, 29/03/2016)
Et Saad de nous indiquer ces propos de l’artiste :
L’art est l’extension de mon être. Et, bien entendu, la vie est absurde. Elle n’a aucun sens. Comme le dit le titre de l’une de mes expositions (à Shanghai) Breathe, Walk, Die (“respire, marche, meurs”), c’est une répétition éternelle. La frontière entre le sérieux et l’absurde est si fine que l’on peut aisément la traverser. Nous devons inventer nos propres valeurs puisque celles de la société n’ont aucun sens. [On ne saurait que trop recommander de lire l’ensemble des mots rapportés, tant ils mettent en perspective le travail de l’artiste.]
Quelle force intérieure alors l’artiste doit-il trouver pour ne pas sombrer dans la dépression quand on est mû par une telle pensée profonde. On voit par là, s’il en était besoin, quelle résilience cela demande que de créer, malgré tout, des œuvres joyeuses et si colorées, tandis que l’on est, au quotidien, désespéré. Ceci dit, on aura noté que le message rondinonien est double : si la vie est absurde, on peut aussi en plaisanter, et c’est peut-être cela que déclenche la vision de ses œuvres : le rire. Car le rire, n’est-ce pas l’art du clown, si présent chez Rondinone ?
En Une : Ugo Rondinone, Liverpool Mountain [détail], 2018.
Jean Plafonne