Le sexe et le rock’n’ roll sont liés sémantiquement, car une des étymologies du mot a jadis signifié « baiser » (ainsi que le dit la légende (fausse)). Avant de le citer explicitement, le sexe dans le rock’n’ roll passait dans l’attitude, et c’est par exemple Elvis, qui, avec ses mouvements de hanches très suggestifs, avait contraint la très pudique télévision américaine à ne le filmer justement qu’au dessus de la ceinture, pour ne pas réveiller les démons chez les jeunes femmes… qui, dans la fosse, elles, avaient droit au spectacle entier, et devenaient hystériques (selon l’usage). En 1963, les Beatles chantent encore tout gaiement ‘I want to hold your hand’, « je veux tenir ta main ». C’est très gentil, tout mignon. En 1972, on change les rapports, on accélère fulguramment. David Bowie, entre UK et USA, enregistre l’album Aladin Sane (jeu de mot sur Aladin et sur “A lad’, « un mec, fou », ‘insane’), dont l’un des morceau est titré ‘Cracked actor’ :
The best of the last, the cleanest star they ever had
The films that I made
Forget that I’m fifty
‘Cause you just got paid
Show me you’re real
Smack, baby, smack, is that all that you feel
Suck, baby, suck,
Give me your head
Before you start professing
That you’re knocking me dead
You’ve made a bad connection ’cause I just want your sex
Show me you’re real…
[…]
Uh, stay for a day, oh yeah
Don’t you dare
Oh, yeah, yeah, yeah, yeah
Oh, yeah
La chanson raconte l’histoire d’un acteur sur le déclin, en train de recevoir chez lui une prostituée (je passe l’intro) :
Oublie que j’ai cinquante ans//parce que tu viens d’être payée//craque bébé craque//montre-moi que tu es vraie//bouffe bébé bouffe, c’est tout ce que tu peux ressentir//suce bébé suce//donne-moi ta tête [suce moi]//avant que tu commences à professer//tu me frappes mort// […] t’as fait une mauvaise connexion parce que je veux juste ton sexe…
L’expression ‘to give head’ signifie littéralement « donner la tête », et, plus indirectement pour les initiés, une fellation ; et puisque c’est une forme d’argot, c’est grâce à ce cryptage sémantique que la chanson de Lou Reed, ‘Walk on the wild side’, parlait-chantait, à la radio notamment
In the back room she was everybody’s darling
But she never lost her head
Even when she was giving head
Candy est venue sur l’île//dans l’arrière-salle elle était la chérie de tout le monde//mais elle n’a jamais perdu la tête//même quand elle donnait la tête
La chanson est passée tellement crème qu’elle sera hissée, en 1972, au top 20 des charts américains et anglais !
Mais la chanson de Bowie ne passe pas sur les ondes, c’est quand même beaucoup plus explicite (à tout le moins). Comment est-on passé de je veux tenir ta main à suce moi, en 9 ans ? Ce doit être, comme on dit, les mœurs, mais je crois aussi que c’est “à cause” de la drogue. Quand Bowie est en tournée aux États-Unis, pour The Diamond Dog’s Tour, il est bien défoncé, il consomme de la cocaïne comme d’autres boivent de l’eau. Et la chanson ‘Cracked actor’ contient aussi, dès le titre, une évocation de la cocaïne (le crack), évocation que l’on retrouve encore dans le texte, avec le terme ‘smack’ (autre mot d’argot pour la cocaïne). Voilà exactement de quoi à l’air Bowie durant cette tournée USA, en 1974
Bowie n’est pas connu pour avoir été un jour “enveloppé”, mais il n’a jamais été aussi maigre, et pour cause, on sait que la cocaïne coupe non seulement l’appétit, mais empêche surtout le corps de conserver les graisses. Effet radical, bonjour les zombis ! (Mais, au fait, pourquoi ne prescrit-on pas de la cocaïne pour maigrir, franchement ?) Dans un documentaire (que je ne retrouve pas pour le moment), Bowie confie avoir pris durant cette époque tellement de cocaïne que c’est un miracle qu’il ne soit pas mort d’une OD… Bowie n’est pas mort, mais il est complètement défoncé. C’est ça, aussi, le rock’n’ roll. Ainsi, comme on sait, l’alcool mais aussi bien sûr la drogue contribue à dynamiter les conventions, les usages, et les paroles… Et par exemple, il est notoire que l’album’ Rubber Soul’ des Beatles (1965), a été réalisé “grâce” aussi à l’usage de stupéfiants (LSD, marijuana, notamment), et il est vrai que cet album détonne par rapport aux précédents, et qu’on y trouve des allusions à la came, et très certainement par exemple dans la chanson ‘Girl’, où le bruit d’air entendu juste après le refrain ressemble beaucoup à celui produit par l’aspiration dans un pétard. Bien sûr, dès les années 60, on entend, dans telle ou telle chanson,‘I want you’, « je te veux », et ce vouloir vise bien le corps, et le désir sexuel ; mais ça reste assez vague, parce que ça veut dire aussi « je te veux pour femme », par exemple, et ça passe. Mais, à ma connaissance, et avant Bowie 72, personne n’avait encore chanté si explicitement le sexe.
Du coup, en 1977, le groupe The Stranglers, dans leur deuxième album, ‘No more Heroes’, enfoncent encore plus le clou (si j’ose dire…). Les Stranglers aiment les filles, et dans leur premier album, ils chantent en chœur qu’ils aiment regarder les pêches sur la plage (‘peach on the beaches’), entendez… les « chattes sur la plage »… C’est rock’n roll, ça ne se mouche pas dans de la soie. Voici les paroles de ‘Bring the nubiles’, parue dans le deuxième album des Stranglers, ‘No More Heroes Anymore’. Il faut écouter le morceau pour bien entendre la voix de Cornwell, qui, quand il chante, à souvent l’air vénère, comme s’il allait en même temps vous en coller une :
And be your superman
I’ll show you things you’ve never had
And hold your little hand
There’s plenty to explore
I’ve got to lick your little puss
Bring On The Nubiles
Lemme Lick Your Lucky Smiles
And when the fever reaches you
I’m high beneath my zip
Bring On The Nubiles
I go crazy for ya
Crazy For Ya
Je veux t’aimer comme ton papa
Et être ton superman
Je te montrerai des choses que tu n’as jamais eues
Et je tiendrai ta petite main
Amenez les nubiles
J’embrasse tes zones érogènes
Il y a beaucoup à explorer,
Je dois lécher ta petite chatte
Et te clouer au sol
Amenez les nubiles
Je deviens fou pour toi
Laisse moi’t’baiser [‘Lemme Lemme Fuck Ya Fuck Ya’]
Laisse moi lécher tes sourires joyeux
Amenez les nubiles
Juste amener les !
Il y a beaucoup de jeux que nous pouvons jouer
Je suis ‘high’ en dessous mon zip
Amenez les nubiles
Je deviens fou pour toi
Du coup, et dans un autre registre, mais soi-disant le plus sulfureux, subversif, bla-bla, quand, en 2010 (‘Jour de paye’), Booba chante-parle
Si ça fait mal, que tu cries, que tu jouis, c’est que j’suis dans ta chatte
On se marre…
Léon Mychkine
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