Simon Hantaï, “Meun”, 1967

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Simon Hantaï, “Meun”, 1967, huile sur toile 219 x 181 cm, Archive Simon Hantaï, Adagp, Paris

Faire respirer la matière. Hantaï. Hantaï. La manière et les effets. Ici, saisissant, un extraordinaire effet de matière (edM). Cet extraordinaire effet crée quelque chose de sur-signifiant, sur le déjà signifié. Je ne voudrais pas ici reprendre une dialectique 70’s dont on aura usé et abusé, mais, face à cette image, c’est ce qui me vient. Le signifié, ici, c’est la peinture, installée. Le sur-signifiant, c’est l’effet produit par le traitement que lui fait subir Hantaï. Je viens peut-être de soulever une banalité, mais tout autant une évidence : peindre, cela ne consiste jamais qu’à apposer de la peinture sur une surface, il en faut plus. Cet “en plus” n’est jamais prédéterminé à l’avance, il accompagne le “faire”, le “faisant”. C’est là que le peintre distingue, et se distingue, par rapport à tout autre. Ici, pour ma part, je dirais que le bas de la toile est davantage sur-signifiant que le haut, ce qui a certainement à voir avec les modes opératoires de pliage, de nouages, etc., propres à Hantaï. Ainsi : « La série dite les Meuns est née d’une autre série datant de 1964-65 que Hantaï a appelée d’abord Saucisses, puis Panses (et dont certaines toiles finiront par être renommées Pré-Meuns). Avec les Meuns, il ne froisse plus la toile comme auparavant, mais la noue aux quatre coins et par endroits autour d’une zone circulaire, changement qui donne de gros “sacs” ou “poches” aux surfaces irrégulières. Ce geste crée des zones convexes importantes et, par conséquent, des réserves concaves profondes. Pendant le dépliage, la surface peinte s’éclate donc dans des régions de couleur rompues par des zones blanches.» (Molly Warnock). Il y une espèce d’expression négative/positive ici, n’est-ce pas ? Comme si le bas était la racine du haut, son reflet, en plus vivace ; le tout relié par ces sortes de cordons organiques bleus.

Mais ces cordons sont-ils si organiques ? Quand on se rapproche, tout s’affole ; ce que l’on croyait repéré, répertorié, ne l’est plus ; on a envie de se taire, disons, ou alors, de procéder autrement ; par la bande, façon contrebande (on n’est pas invité, peut-être, par les autorités, mais on y va quand même).

À quel point Hantaï mesurait-il les effets du peint, du dépôt, de l’empreint ? À quel point laissait-il volontairement, ou non, les zones de blanc ? Voyez ? À quel point ne mesurait-il que peu ? Dans son texte, Warnock mentionne très probablement l’illustration ci-dessus : « Un Pré-Meun exemplaire de 1967 (219 x 181 cm, coll. part.) témoigne de la difficulté qu’a éprouvée le peintre à accueillir les blancs. L’œuvre est le résultat de deux pliages successifs, dont le premier a produit une forme peinte ovoïdale, aux lobes irréguliers : on dirait un gros cerveau sur la surface de la toile (où la peinture se pense). Hantaï se souvient avoir été troublé devant cette forme de couleur marron “trouée” par du non- peint : “ça ne correspondait à rien”. Au début, continue-t-il, ces zones vierges lui semblaient absurdes : “ils étaient les trous, mais pas vraiment les trous actifs”. Le peintre ayant renoncé à la composition, le seul moyen restant pour corriger la forme était d’y superposer un second pliage, en changeant l’emplacement des nœuds : en sont résultées les guirlandes bleues qui lui apparaissaient “remplir les trous”.» C’est très intéressant. Hantaï a d’abord produit les formes marrons, et puis, restait “tout” ce blanc, qu’il ne pouvait supporter (natura abhorret vacuum ? ← Aristote latinisé → Rabelais → horror vacui). Warnock écrit que ces formes marrons font penser à un cerveau. Possible. Mais faut-il l’écrire (contrebande de la pensée non empreintée ? Je fais mon Didi…) ? Très étonnante je trouve la réaction d’Hantaï. Toujours est-il qu’il y a deux étapes chromatiques dans cette toile ; d’abord les marrons, et ensuite les bleus, en réaction à l’horreur non pas du vide, mais du blanc.

 

Léon Mychkine


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