Sur quelques dessins d’Élise Beaucousin

Je cherche de l’art, sur l’Internet. Je furète dans mes marque-pages, et vais jeter un œil à quelques sites, dont celui d’Artforum. Auparavant, dans mes marque-pages, j’aurai considéré de nouveau certains et certaines artistes, notamment Beaucousin. Je ne trouve rien de bien consistant à me mettre dans l’œil (sans me faire mal), mais du banal, du prétentieux, du déjà-vu, et je repère quand même Louise Fishman. Et puis je reviens à Beaucousin. C’est parti !

 

 

Élise Beaucousin, “Série aile 3”, 2019, mine de plomb sur papier, 75 x 54 cm, Courtesy de l’artiste

 

Il est bien dommage que l’expression “art modeste” existe déjà (Di Rosa), car je l’emploierais bien pour certains artistes, et notamment pour les travaux de Patricia Stheeman (article à venir), Élise Beaucousin, Christophe Lalanne, et Régis Delacotte, entre autres. À défaut (ce n’en est un), j’utiliserai l’expression d’Art Modéré, que je restreins (c’est logique) au noir et blanc. L’art modéré, noir et blanc, est donc cet art qui ne se veut pas explosif, pas tonitruant, pas séducteur forcément, mais qui, par là-même, insiste. Il est . Il n’a rien à voir avec l’Art pauvre, ou l’Art minimal, ou autre chose ; il n’a à voir qu’avec lui-même, si ma proposition de taxon est bonne. Et puis, finalement il est peut-être heureux que l’appellation “art modeste” soit déjà prise, car modeste évoque aussi ce qui est peu ambitieux, et il est contradictoire que quelque art que ce soit soit dénué d’ambition : vouloir devenir artiste, c’est une ambition très spécifique, et espérer montrer son œuvre contient aussi bien entendu sa part d’ambition.

Regardez ce dessin à la mine de plomb. C’est modéré, modeste, mais c’est quand même du travail, et ça dit. Qu’est-ce que cela dit ?, nous allons tenter de nous en approcher ; et, avant même, je serais tenter d’aborder cette question par la voie négative : Qu’est-ce que cela ne dit pas ? 1) “Ça” ne dit pas ce que c’est. Il est impossible d’avoir une idée claire de ce que nous voyons ici. Aparté : Doit-on toujours prendre tant de précautions pour si peu ? se demande le quidam… Réponse : Le “si peu” n’est pas une question de remplissage ou de codage/recodage, mais de pertinence, c’est-à-dire de présence. Question : Pourquoi cela est pertinent ? Parce que “ça parle”, à moi et à d’autres. 2) Avec peu de moyens, néanmoins, on ne sait pas s’il y a ici des volumes, des arrêtes, ou du vide, ou le tout ensemble. Voyez ? paradoxalement, avec ces deux points développés, nous avons déjà beaucoup. C’est cela aussi, l’effet de l’art modéré : dire un certain nombre de choses, même de non-choses, avec peu. Mais ce “peu” n’est peut-être qu’une vue de l’esprit, car il est possible que Beaucousin mette beaucoup ici.

Voie positive. J’aime, dans le dessin, les jeux entre le blanc le rempli. Dans le cas ci-avant, les deux créent de l’espace ; la pièce semble vraiment suspendue dans le blanc, il y a un effet de volume. Ce que j’aime bien, aussi, dans le dessin, et particulièrement chez Beaucousin, c’est l’effet de bougé dans l’axe ; le dessin n’est pas frontal, il semble partir en perspective vers la droite ; et j’aime bien cet effet, là où, beaucoup de peintres, trop imprégnés de Manet, se seront convertis, quoiqu’en disent leurs surfaces superposées, à l’aplat. Autre chose : on ne sait pas si les limites blanches sont des frontières ou des plis, ni ce que signifient les nuances de gris. Bilan : Il y a autant d’on ne sait que d’on suppose que, ce qui nous fait un équilibre intéressant, et, disons-le, audacieux.

 

 

Élise Beaucousin, “La forêt”, 2016, mine de plomb sur papier, 75 x 56 cm, Courtesy de l’artiste

 

J’aime beaucoup les taxonomies artistiques. “Forêt”, ainsi. Ah ? Mais où est la forêt ici ? Supposera-t-on qu’elle se situe dans l’arc blanc ? Et puis même, faut-il s’en soucier ? Ce qui m’étonne, ici, ce sont ces traits dans la matière, ces lignes verticales, qui semblent tant de la lumière que des griffes. Et on reconnaît ici tout le jeu contemporain, initié peut-être déjà par Paul Klee, entre dénomination, et vision. Qu’est-ce à dire ? Beaucousin titre “La forêt”. Soit. Mais où est-elle, cette forêt ? On s’en fiche. En revanche, ce qui scotche (je parle moderne),  c’est le grain de ce dessin ; on se demande comment Beaucousin fait pour produire un tel grain de peau, pour ainsi dire, sur son dessin ? Réponse brève : du temps. Elle y passe beaucoup de temps ; un temps tout à fait considérable. Rendez-vous compte : au départ, la feuille, nous sommes d’accord, est blanche ; mais Beaucousin se met à tapisser, enfin, à recouvrir la surface de points noirs, plus ou moins appuyés. D’où cet effet d’épiderme. On pourrait presque se dire qu’il y a des dessins en négatifs (fond gris foncé) et positifs (fond gris clair), chez notre artiste.

 

 

Élise Beaucousin, “Série aile 1”,  2018, mine de plomb sur papier, 75 x 54 cm, Courtesy de l’artiste

 

Je vais écrire dans le silicium un mot que j’écris rarement : mystère. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a souvent quelque chose d’auratique dans le bon dessin, davantage que dans la peinture, en comparaison. Ce dessin, ci-dessus, on pourrait dire, n’est qu’un dessin de plus. Oui. Et alors ? Justement, « et alors » ? Mais, puisqu’il est unique, ce n’est pas un dessin de plus. En sus, c’est un dessin qui m’interroge (comme le reste). J’aime bien sa disposition dans l’espace, qui dit déjà, dit quelque chose, même si ce quelque chose reste inaudible (je n’entends pas le signe de cette présence, mais je la vois). Il est des artistes qui ramènent au réel, à la réalité (deux notions différentes), et d’autres qui induisent quelque autre chose ; fragment de monde, d’autre réalité, aperçue dans les interstices. Beaucousin est plutôt, pensé-je, dans cette catégorie. On a envie, ci-dessus, de ramener au réel, mais l’anatomie nous retient.

 

 

Élise Beaucousin, “élément de Cartographie”, mine de plomb sur papier, 30 x 42 cm, collection du Centre Pompidou

 

Comment c’est fait ? Je parlais du temps, et, oui, Beaucousin passe beaucoup, beaucoup de temps sur un dessin. Un détail :

 

 

Travail d’artiste. Élise doit se reculer et se rapprocher sans cesse, afin de modérer et moduler ses effets d’ombres et d’éclairage, je suppose. Considérez combien de sortes de variations nous avons ici, et quelle atmosphère cela produit. Avec ce quatrième dessin, je suis toujours dans l’indécision, ça dit et ça ne dit pas ; et cela me va très bien (j’aime le non-explicite). À écouter l’artiste dans telle ou telle vidéo, et là lire telle ou telle chose, on comprend qu’elle opère des chevauchements entre différents aspects du monde réel et de la réalité  — végétation, anatomie, musique, etc. —, comme si tout cela se traduisait directement dans son œuvre, mais on voit bien que son interprétation produit un écart, et c’est cet écart qui permet justement l’indécision, et ce qui en fait l’intérêt, et le suspens. J’hésite à ajouter une reproduction… J’ai envie d’arrêter là. Stop. (En attendant l’entretien…).

 

Léon Mychkine


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