J‘ai toujours aimé les avions, j’ai toujours regardé avec étonnement voler un avion, même un Boeing 747, et j’adore prendre l’avion, comme on dit. Mais on ne prend pas un avion, enfin !, la plupart des gens qui disent prendre l’avion se contentent d’y monter à bord. Et c’est déjà très appréciable, et extraordinaire. Le plus long voyage que j’ai effectué pour le moment reste celui de Paris-Hong Kong, 11 heures de vol, dans un Boeing. Bon !, de nuit, franchement, on ne ressent rien. On se croirait dans un véhicule quelconque, sur une route absolument plane. De fait, j’ai toujours été passionné par l’histoire de l’aviation, même si je n’y connais rien, et ne m’y suis jamais vraiment plongé. De la même manière, j’ai toujours été passionné et fasciné par ce qu’on appelle la Conquête Spatiale. Je n’oublierai jamais la magnifique Navette Challenger revenir sur Terre, comme un avion. Et je n’oublierai non plus jamais l’explosion de la même navette peu après le décollage, en 1986, ni l’épouvantable désintégration en 2003 du même modèle à son entrée dans l’atmosphère, à plus de 26 000 km/h, et tout cela à cause d’un morceau de mousse isolante pas plus grand qu’une feuille A4, qui, détaché au moment du décollage, aura rebondi sur une partie du bouclier thermique, justement destiné à s’enflammer à l’entrée dans l’atmosphère, mais en protégeant le reste de la Navette…
Il y a quelques années, j’ai visité l’aéroport de Saint-Denis de l’Hôtel. À l’endroit où certains se livraient à l’aéromodélisme, se trouvait une rangée de préfabriqués. L’un était ouvert, et quelle ne fut pas ma stupéfaction d’y voir deux hommes chacun en train de fabriquer leur propre avion ! J’ai parlé avec eux, et ils faisaient tout à la main, moteur et assemblage en bois ! L’un avait été en quelque sorte chassé de son garage par sa propre femme, qui n’en pouvait plus, et l’autre le construisait pour son fils. J’étais absolument fasciné et émerveillé. Ces deux hommes replongeait quasiment dans l’histoire de l’aviation : du bois, et un moteur. Certes, il y eut d’abord les planeurs, et c’est parce que les planeurs furent à même de bien voler (700 vols pour les Frères Wright) qu’on eut l’idée d’y adjoindre un moteur, ainsi que le firent les frères Wright, et comme on peut le voir ci-dessous en 1902 en vol plané, et, en 1903, motorisé :
J’aime beaucoup cette photo. Elle est extraordinaire. Elle est d’une rare pureté. Au premier regard, pourtant long, répété, et fasciné, je n’ai pas remarqué qu’un des frères Wright est couché sur la structure ! 17 décembre 1903. 1903 ! Une éternité, des années-lumière. Plus personne n’existe de cette époque. Il reste les mots, et les images. J’aime beaucoup la simplicité extrême de la scène : un petit banc, une grosse cale, du fil de fer, une pelle, deux hommes, et un avion ! Ce 17 décembre 1903, entre 10h30 et 12H, les frères réussiront quatre vols, dont le premier dure 12 secondes sur 37 mètres ! En sus des frères Wright, se trouvent cinq personnes de l’endroit où l’on se trouve ici : Kitty Hawk, du coup le nom éponyme de l’aéronef, qui pèse à vide 274 kg (en pleine charge 338kg maximum), et atteint la vitesse de 43 km/h ! Cette photographie sublime d’un événement sublime a été prise par John T. Daniels, de la station de sauvetage de Kill Devil Hill ! Moi, je vous le dis sans ambages, je trouve la photographie de cet événement : métaphysique. Au sens littéral et plus encore. Mais je réalise que l’avion est en train de voler ! Il vient de quitter la rampe que l’on voit à gauche, car, vous l’aurez noté, cet avion n’a pas de roue, mais est monté sur des rails ; il glisse. La perspective très plate m’avait fait croire que l’avion était posé. Mais non ! Il vole ! Et Wilbur s’assure, à mon avis, qu’il part bien à l’horizontale ; et je pense qu’il se prépare même à courir si survient du tangage. Et maintenant que je le réalise, oui, on voit bien que les hélices de 2,60 m de diamètre sont en train de tourner, entraînées par deux chaînes, de chaque côté. Je ne sais pas si on peut réaliser ce que c’est que de voler ainsi, couché sur quelque chose qui s’appelle un planeur, ou un avion… On peut penser au deltaplane, peut-être, mais quand bien même, c’est décontextualiser la scène. À l’époque où les frères Wright font leurs essais, il n’y a pas quand même pas tellement de monde que cela qui s’intéresse à ce genre de recherches. D’ailleurs, il paraîtrait que la sœur Wright ne fut pas pour rien dans la conquête du vol d’un “plus lourd que l’air”, comme disait Clément Ader. Bien sûr, l’Histoire n’a retenu que les deux frères… Passons, pour le moment, car ce sont bien eux qui volent. La première photo nous montre l’un d’eux sur un planeur. Cela aussi, c’est extraordinaire. Car, à vrai dire, on peut se demander depuis quand l’homme a eu cette idée folle que de vouloir voler ?
Il faut savoir qu’il existe une controverse s’agissant des pionniers américains de l’aviation. On prête ainsi, et aussi, à Gustav Albin Weisskopf, né en Allemagne et immigré aux États-Unis en changeant son nom en Gustave Albin Whitehead (!) le premier vol aérien, en 1901. Mais il n’existe aucune photographie de ce fait, en revanche des témoignages ont été recueillis attestant de la véracité des vols, en 1901 et 1902. Mais comme, encore une fois, il n’y a aucune preuve visuelle telle que seule une photographie aurait pu le montrer, et l’Histoire officielle a tranché et estimé que les Frères Wright sont bien les pionniers américains de l’aviation. Rappelons qu’il existe aussi des doutes sur le “premier vol” de l’Histoire, qui aurait été effectué par Clément Ader : « La première tentative aux commandes de l’Éole a lieu le 9 octobre 1890 dans le parc du château de Gretz-Armainvilliers, au sud-est de Paris. Les marques laissées par les roues dans le sol meuble auraient présenté un endroit où elles étaient moins marquées et auraient totalement disparu sur une vingtaine ou une cinquantaine de mètres. Son engin aurait ainsi quitté le sol ; Ader aurait donc peut-être effectué ce jour-là le premier décollage motorisé d’un engin plus lourd que l’air. Il n’y avait pas de témoins autres que des employés d’Ader. » (Wikipédia, Entrée “Clément Ader”). Rappelons aussi qu’il y a des doute sur le vol de 1897. Enfin, s’agissant des modèles d’Ader, le gros problème et qu’ils étaient incontrôlables…
On peut se demander depuis quand l’homme a eu cette idée folle que de vouloir voler ? Bien sûr, on se rappelle du mythe d’Icare, mais avant… Les taureaux ailés à tête d’homme de Khorsabad (visibles au Louvre). Nous connaissons le dessin de la vis aérienne de Léonard, cependant qu’il était impossible qu’elle volât, en raison de sa très grande dimension (dix mètres de toile…) avec un seul pilote à bord. Dans son livre, Navigation Aérienne, Guillaume Joseph Gabriel de La Landelle nous apprend qu’au « XIe siècle, Olivier de Malmesbury, savant bénédictin anglais , imagina des ailes articulées avec lesquelles il s’élança du haut d’une tour ; elles ne le portèrent que peu d’instants, mais il parcourut environ cent-vingt pas, et son expérience, quoique déplorable, prouva qu’il n’est point impossible à l’homme de se soutenir en l’air par un procédé mécanique.» En 1772, nous dit plus loin l’auteur, « l’abhé Desforges, chanoine d’Étampes, fit fabriquer une voiture destinée à voler. C’était une sorte de gondole, longue de sept pieds, large de trois pieds six pouces pourvue d’ailes à charnières, fort grandes, pesant, y compris le conducteur, 213 livres [un peu plus de 96 kg]. M. Desforges déploya et fit mouvoir ses ailes avec une grande vitesse, mais, d’après un témoin de l’expérience, plus il les agitait, plus sa machine semblait presser la terre et vouloir s’identifier avec elle ».
Il y a deux ans, j’ai eu l’occasion d’un baptême en planeur. Dans cet aéroclub, le planeur est tiré par un câble de 300 mètres qui est relié à un moteur de camion, relié à une cabine de tracteur dans laquelle est installé celui qui va actionner la tension du câble. Tout à coup, il se tend, et le planeur part à toute vitesse, et, en quelques secondes à peine (5 ou 6, à mon avis), on décolle à la verticale ! Dans ce planeur biplace, j’étais devant, j’ai donc eu tout dans les yeux, dès le début. Un planeur, c’est très étroit, et entre la carlingue et le monde extérieur, il n’y a pas une grande épaisseur de matière. Il y a même une petite fenêtre coulissante dans la verrière ! J’ai aussi eu la chance de pouvoir piloter quelques secondes, et constater à quel point le maniement du manche et des palonniers (là où sont posés les pieds et qui permettent d’orienter à gauche ou à droite) est très sensible. J’ai aussi pu constater le calme qui règne en vol, et le tout, le fait d’avoir son corps en altitude, d’être à bord d’une entité volante, le silence, et la vue sur les Pyrénées, ce tout a produit en moi une expérience globale absolument extraordinaire, et, au moment d’atterrir, je n’avais qu’une envie, décoller de nouveau ! Ainsi, en repensant à cet événement, j’ai eu l’idée que le vol pur existe encore, et qu’il n’est possible qu’en planeur. J’aurai appris, en discutant avec les pilotes, qu’il est tout à fait possible de voler sur des centaines de kilomètres, et qu’il y a même des compétitions, par exemple Romorantin/Le Mont-Saint-Michel. Cependant, un pilote sait que l’autonomie moyenne est de plusieurs heures (en moyenne 2 heures, m’a-t-on dit), et c’est pourquoi, au cours de son vol, il repère les endroits susceptibles d’atterrir en urgence — souvent des champs —, au cas où viendraient à manquer des courants ascensionnels. Dans ce cas-là, il faut être près à se vâcher, comme on dit dans le jargon. Ainsi donc, ce qui relie les frères Wright au planeur d’aujourd’hui, c’est ce sentiment d’être accueilli dans un milieu qui n’est pas du tout fait pour nous, mais qui nous soutient, et, partant, nous fait vivre une expérience toujours inédite. Cette expérience est métaphysique, dans les deux sens du terme, littéral et philosophique : au-dessus de la physique (le corps humain ne peut pas voler par soi-même). Quand à la philosophie du vol, je soupçonne quelle existe, mais je n’ai pas assez pratiqué pour pouvoir la développer.
Léon Mychkine
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