Un dessin de Jonathan Delafield Cook

Le dessin, c’est la respiration. Et le silence. Beaucoup de dessins sont bruyants. Un bon dessin est silencieux. Pourquoi ? Parce qu’il se déploie. Et c’est dans le déploiement que rien ne se dit. Beaucoup de dessins donnent du bruit. Aussi, le spectateur n’a pas le temps d’instaurer quelque silence que ce soit. Jonathan Delafield Cook est un maître dessinateur. Et pas “seulement” ou “simplement”, parce qu’il offrirait des portraits mimétiques de fleurs ou d’animaux (il faut aller regarder ces extraordinaires portraits d’ovins et bovins). C’est un maître, car il réussit à installer un rapport assez bouleversant entre mimesis et décalage : on pense à un coquelicot, et ce n’est pas un coquelicot. On évoquera le Magritte de “Ceci n’est pas une pipe”. Mais cela n’a rien à voir (c’est le cas de le dire) : la pipe peinte par Magritte ne ressemble pas à une pipe. Rien que le foyer de la pipe magrittienne ne ressemble pas à celle, réelle, en racine de bruyère (même en bois ça ne marcherait pas). Le coquelicot dessiné par Delafield Cook ressemble à un coquelicot, il est vivant. Vivant comme peut l’être une excellente mimesis. C’est d’un raffinement époustouflant. Regardez ces volutes végétales dans la feuille en parement, les dégradés blanc-gris, le noir pistil, presque caché dévoilé. C’est admirable. Et le tout dans une douceur. Car c’est aussi l’un des traits caractéristiques chez Delafield Cook, son inscription de la douceur (visible autant chez ses animaux). Et l’on pourrait encore chercher les mots, mais, à un moment, vient en tête cette phrase qui surgit quand nous sommes face à du grand art : Comment fait-il cela ? On se pose cette question quand on ne sait pas comment c’est fait. Non pas qu’il s’agirait de pouvoir faire pareil (nous en serions bien incapables), ni qu’il s’agirait “seulement” d’une affaire de technique ; c’est autre chose. Il faut y insister : Ce n’est pas parce que Delafield Cook imite à la presque perfection un coquelicot que c’est du grand art. Il s’agit d’une “presque perfection” car on voit bien que c’est un dessin, justement, et il y a donc un décalage entre ce que l’on voit et ce que l’on pense, le tout réalisant ce que le philosophe Richard Wollheim appelle la doubleté (“twofoldness”), c’est-à-dire l’association dyadique (indissociablement duale) entre  “seeing-as”, et “seeing-in”, soit « vu-comme » et « vu-en [tant que tel] ». Ici, dans ce dessin de Delafield Cook, nous avons cet équilibre à la fois fragile et patent, du vu-comme (dessin) et voir-en tant que fleur. Et les oiseaux de Zeuxis ne sont pas loin.  

Jonathan Delafield Cook, “Poppy III”, 2021, charcoal on linen, 80 x 112 cm, Purdy Hicks Gallery

 

Ref. Richard Wollheim, Art and its Objects, 2nd Ed., 1980, Cambridge, UK

Léon Mychkine

 

 


Soutenez Art-icle en faisant un don via PayPal 


 

Newsletter