C’est certainement l’une des photographies les plus célèbres de la fin du XXe siècle. Un homme se tient debout, face à un char, qui s’immobilise.
D’après la Croix Rouge, le nombre de personnes massacrées est d’au moins 2600 personnes. Trente-deux ans plus tard, le pouvoir chinois a réussi une amnésie orwellienne ; nulle trace commémorative sur place, et aucun manuel scolaire ne mentionne ces événement épouvantables, et nulle recherche sur l’Internet depuis la Chine ne fournira la moindre information relative à ces faits dégradants. Ici, la photographie est prise le lendemain du massacre, et cet homme avec son sac plastique s’est immobilisé devant le char, que ce dernier aura tenté de contourner tantôt par la droite ou par la gauche ; mais, à chaque fois, l’homme s’est repositionné juste devant. Et puis, il saute sur le char, s’adressant aux soldats.
Bien entendu, il est rapidement interpellé, et personne n’a jamais su ce qu’il était devenu.
Rappelons que c’est depuis l’année 1986 que les étudiants manifestent régulièrement dans la rue, exigeant plus de démocratie. Durant cette année, le Secrétaire du Parti communiste, Hu Yaobang, soutient les étudiants. Il sera contraint à la démission fin 1986, accusé qu’il fut d’avoir commis « des erreurs dans les questions à propos des principes politiques importants » et de « libéralisme bourgeois » (source ici). Deux ans plus tard, les étudiants n’ont pas oublié Yaobang, qu’ils considèrent comme un héros, et l’annonce de son décès déclenche de nouvelles manifestations. Il faut bien comprendre que les étudiants ne sont pas des révolutionnaires, ils sont pour la plupart communistes, si j’ai bien compris, mais ils veulent plus de démocratie, et ne supportent plus la corruption du régime.
Ainsi, le 21 avril 1989, ils sont 100 000 étudiants à camper Place Tian’Anmen. Le pouvoir exige leur départ. Mais c’est l’inverse qui se produit ; et en mai, certains étudiants commencent une grève de la faim. Le 20 mai, la loi martiale est déclarée, et l’armée se déploie dans Pékin. Le 03 juin, Deng Xiaoping, à l’époque Président de la Commission Militaire Centrale de l’État (en clair, le numéro 1 du régime), ordonne l’évacuation de la Place Tian’Anmen. Les étudiants tentent, à l’aide de barricades, de bloquer l’avancée militaire, qui répond avec ses blindés et ses balles réelles (comme on dit si curieusement).
Du point de vue, disons, esthético-historique, si les mêmes images ont bien été filmées, c’est, si je m’en souviens bien, la photographie de Widener qui est devenue ultra-célèbre. Le paradoxe, c’est qu’elle aura donné, peut-être, “l’image” d’une modération dans la réponse du pouvoir ; car on peut très bien imaginer que ce simple quidam eut pu être écrasé ou abattu immédiatement. Mais il fait jour, et l’hôtel Beijing, où sont logés la plupart des journalistes, n’est qu’à quelques centaines de mètres de la place ; et si Widener s’y trouve de nouveau, tandis qu’il a été blessé à la tête la veille par un jet de pierre, c’est parce que son agence américaine a laissé un message en demandant s’il était possible, sans prendre de risque, d’aller faire une photographie de la Place. Et voici comment, par le hasard des circonstances, d’aucun produit l’une des plus célèbres photographies au monde. Car Widener n’était pas logé dans cet hôtel, et il est revenu sur place à vélo. À ce moment, en effet, il y a beaucoup de journalistes étrangers présents à Pékin, venus couvrir la visite historique d’un leader russe, en l’occurrence Mikhaïl Gorbatchev, à qui on aura soigneusement obvié la vue du moindre manifestant.
Hier, à Hong Kong, maintenant dans le filet de Pékin, on a interdit toute commémoration du massacre de Tian’Anmen, qui avait lieu chaque année dans le parc Victoria, et l’une des cheffes de file du mouvement pro-démocratique, Chow Hang-tun, a été arrêtée à l’aube alors qu’elle comptait bien s’y rendre, plus tard, dans la soirée, comme le veut la coutume, où des milliers de personnes se réunissaient, la nuit venue, munies d’une bougie allumée. Hier, le parc était vide, entouré par l’armée et la police, et les autorités avaient fait passer le message que toute personne vêtue de noir avec une bougie à la main serait immédiatement interpellée et risquait cinq ans d’emprisonnement. (Quand on entend dire que nous, pauvres Français, “vivons en dictature”…).