Vanessa Dziuba et Jean-Philippe Bretin au POCTB

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Du 19 janvier au 19 février 2017, Vanessa Dziuba et Jean-Philippe, exposaient au POCTB, à Orléans. Dziuba et Bretin sont des artistes multimédia, dans le sens où ils utilisent différents supports (media). Mais “multimédia” signifie aussi ici communication entre les expressions (et n’est pas anodin le fait que deux dessins de Dziuba sont titrés ”Vases communicants“) : telle miniature reproduite en grand format se retrouve exposée au mur et imprimée dans un livre. Ce genre de processus n’est pas inédit, mais souvent il advient de manière diachronique, et surtout, l’artiste ne gère pas le type d’affiche ni le livre qui accompagne l’exposition, non plus que les déclinaisons qui peuvent s’ensuivre (supports divers, reproductions, etc). Ici, Dziuba et Bretin s’occupent de toutes ces phases. À les écouter, ils entendent niveler la hiérarchie qui semblerait régner dans l’estime que nous portons aux différentes expressions (“l’art contemporain supérieur à la bande dessinée”, par exemple). Un tel programme peut conduire à deux questions. Premièrement, ce programme ne peut être rendu possible que par la capacité, disons le talent, du ou des artistes, à obtenir un phénomène d’inclusion — du non-art dans l’art —, ce qui ne va pas sans une éventuelle résistance du médium initial. Deuxièmement, on peut se demander si, dans la main de l’artiste, tout n’est pas susceptible de devenir de l’art ? Si tel est le cas — que l’on pense aux affiches de Villeglé ou aux images de presse utilisées par Rauschenberg, par exemple — le médium initial se fond dans le nouveau (i.e. , médium), si bien que, finalement, s’opère probablement un phénomène d’absorption d’un médium par un autre. De ce point de vue, la case de Tintin est emblématique (voir illustration 10 ci-dessous). Dziuba et Bretin exposent la photocopie d’une case issue d’un album en noir et blanc des Cigares du Pharaon. Cette case donne à voir Tintin face à un faux palmier. On pourrait dire que Tintin, en ouvrant cette porte dans le faux palmier, entre dans l’abstrait, cela ajouté au fait que ce palmier est lui-même une abstraction au carré (dessin x — multiplié par — l’absurdité d’un faux palmier-puits). Avec ce que représente ce faux palmier, nous obtenons deux pistes dziubano-bretinienne: 1) le faux palmier permet d’accéder à une autre réalité, celle d’un monde souterrain, depuis lequel des forces cachés agissent dans le monde visible, et on pourrait dire que la série des vase communicants (figures 4 et 6), comme le disent les artistes, donnent à voir de loin ce que l’on ne voit pas de près, et 2) Les mondes communiquent (réel/abstraction, physicalité/motif), tel que le motif du palmier se retrouve sur une affiche indiquant de l’art contemporain. 
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Vanessa Dziuba : Vanessa Dziuba, Jean-Philippe Bretin, avec qui on a monté cette expo, qui est à la fois une expo articulée autour de nos deux dernières séries, de dessins, et sur présentation des éditions du collectif Modèle Puissance, dont on fait partie. Donc nous sommes quatre, dans le collectif, et on édite et on expose ensemble, on a chacun une pratique du dessin ; le dessin est l’ossature de notre travail, et on produit des livres, donc ici on peut voir à la fois des édition récentes et plus anciennes qu’on va juxtaposer ou présenter avec ces deux séries, pour Jean-Philippe ou mon travail, de découpage sur planches trouvées ; c’est des planches qu’il a trouvé dans la rue, qui sont des planches qui ont déjà un format, une couleur qui est établie par d’autres gens.
Jean-Philippe Bretin : Jean-Philippe Bretin, je suis graphiste, et là en fait ma question c’est “comment je peux, dans cet espace là qui est plutôt dédié à l’art contemporain — intervenir ?”. Et j’ai voulu travailler un peu avec ma façon de travailler habituelle de graphiste, c’est-à-dire de piocher des images, de les sélectionner, de les adapter à un format, et donc la série que je propose, c’est des formats sur bois, plutôt dans des formats qui appartiennent au domaine de la peinture, et qui jouent plutôt sur le tracé, des choses très gestuelles, mais en fait qui sont simplement des scans, ou des extraits de dessins que j’ai pu réaliser précédemment
Léon Mychkine : On peut se rapprocher peut-être
 
1. “Dessin rose et gris”, avec normographe
JPB : Oui, en fait tous les formats qui sont présents là, à chaque fois les dessins qui sont représentés dessus c’est des extraits de choses que j’ai fait précédemment, qui n’avaient pas cette destination d’être adaptés à ce format là, mais qui étaient plutôt soit des esquisse soit des projets, des croquis réalisés pendant des visites d’exposition, ce genre de chose, et duquel je viens piocher des extraits, qui ensuite redeviennent quasiment abstraits en fait, ça c’est par exemple celui qui est vert, c’est un dessin d’une céramique, que j’ai vu au Musée de la Céramique, à Sèvres. Il y a un Christ de Masaccio, qui joue sur la perspective, ces deux images là sont extraites d’une bande dessinée 
2. “Dessin vert”
 
que j’ai faite.
LM : Lequel ?
JPB : Celui-là, le rose et gris et celui qui est sur les quatre panneaux colorés.
3. “Quatre panneaux colorés”
LM : D’accord.
JPB : Donc en fait c’est vraiment… reprendre des dessins qui ont beaucoup cette question du geste, d’une sensibilité dans le tracé, et de sélectionner des zones particulières, les remettre en scène, enfin en page, et ensuite c’est le découpage qui est fait par une fraiseuse numérique. C’est elle qui va, au contraire, dessiner dans le format, ça c’est important pour moi, la question de la reproduction par un robot, presque, et ensuite après mon geste il est plutôt presque un geste de scuplteur, c’est-à-dire de venir, ou en tout cas de modeler une matière dans ce bois, qui a des qualités déjà de texture, de brillance, ensuite d’aller trouver la bonne matière que je viens ajouter dedans et qui est donc ici une espèce de pâte rose, là un genre de cire verte
LM : Donc là, en fait, au départ c’est un dessin,
JPB : Ouais.
LM : Et après tu le reproduis, mais en fait tu le creuses… quoi
JPB : Il est gravé par une machine, moi je donne un fichier, la machine fait le fichier, donc c’est en gros la machine qui vient faire le geste un peu, qui pourrait être le geste d’un peintre, d’un graveur, et après moi mon travail il est plutôt d’intervenir en remplissant des zones et de choisir une couleur
LM : C’est rempli de quoi ?
JPB : Là c’est une cire qui est teinté avec pigment, en fait, tout simplement rose.
LM : D’accord
JPB : Là-bas c’est un pigment vert
LM : Donc là le procédé c’est pareil, tu creuses ?
JPB : Ça a été creusé par la machine, et donc on peut voir l’épaisseur du trou, qui est de cinq-six millimètres, et donc je remplis avec cette matière, et c’est aussi là pour moi ce qui m’intéresse1 c’est la confrontation entre ce support qui est très lisse, ce tracé, qu’était pour moi juste dessin d’un croquis que j’ai fait comme ça de quelque chose que j’ai vu de manière très brève, et qui n’avait pas du tout destination à devenir un format comme ça, et réinterprété par une machine, et ensuite que je viens réemplir.
LM : Quand tu dis que c’est la machine qui interprète, cette machine tu la guides.
JPB : Ben en fait, en gros, j’ai scanné le dessin, et le dessin, quasiment tel quel est renvoyé à la machine, donc la machine va reproduire
LM : Tu veux dire que
JPB : on peut dire que c’est de la reproduction en fait. Après il n’y a plus du tout la notion d’oeuvre, ce n’est pas une reproduction d’oeuvre, parce que là on ne ne voit que quelques traits, c’est un détail d’une matière qui était une céramique ; je ne suis pas dans la réappropriation de l’oeuvre de quelqu’un d’autre.
LM : D’accord
JPB : Parce que je passe d’une matière à un trait
LM : On passe à quoi là maitenant ?
VD : On peut parler de cette dernière série, qui s’appelle « vases communicants ». C’est une série d’aquarelles et de gouaches. Je réalise plusieurs motifs de manière simultanée, et après je découpe à l’intérieur de ce motif. Donc j’essaie d’être au plus proche, dans ma gestuelle, pour arriver à reproduire, pas fidèlement mais le plus proche possible, pour que chaque feuille soit… pour que le motif soit situé au même endroit. Au moment où je vais peindre ces motifs là, que le trait soit situé au plus près au même endroit, sur chaque panneau, et ensuite je découpe cette forme plus architecturale et je permute les éléments,  pour produire ce léger décalage qui existe 
 
4. Vases communicants
5. Détail “vases communicants”
 
dans le motif, et créer cette forme fantôme. Donc c’est des formes qui sont issues de sortes de vases, mais qui jouent avec l’échelle des objets, donc c’est à la fois des formes architecturales, qui pourraient être très très grandes, et en même temps des formes qui pourraient être issues du design
LM : Au départ ce sont des vases ?
VD : Ce sont des vases, mais qu’on pourrait déplacer
LM : Et… il est où le vase, c’est les taches bleues, c’est quoi ?
VD : Non, c’est cette forme qui est découpée.
LM : Ah pardon ! d’accord…
VD : Vous la voyez ?
LM : Oui.
VD : Ça joue aussi sur la proximité du dessin, si on est plus loin ou plus près. Si on est loin, la dominance du motif est plus forte et on ne voit plus la forme au-delà du motif, de la figure on va dire ; et si on s’approche du format on voit ces formes découpées, beaucoup plus nettes, dans un élément assez fluide, un motif liquide.
LM : Donc le but c’est d’interposer le
VD : c’est de décaler les éléments ; les éléments sont positionnés aux mêmes endroits, et sont “switchés”, enfin ils sont renversés
LM : interposés
VD : En fait souvent, dans mon travail, je travaille avec des formes qui sont issues de ce qui m’entoure, mais qui ne sont pas figuratives pour autant. Ce sont des formes qui sont le plus synthétique possible, pour produire une forme qui pourrait être abstraite mais qui au fond ne l’est pas tout à fait ; qui se situerait un peu entre les deux. Je travaille aussi beaucoup sur le paysage.
LM : Donc là on a le même principe
6. “Vases communicants”
 
VD : Sur ceux-là oui c’est exactement les mêmes principes, à une autre échelle et un autre format, de renversement et de basculement d’une forme à l’intérieur d’un motif liquide.
LM : On peut aller au sous-sol peut-être ? [Au sous-sol] Donc là, on change totalement de vocabulaire par rapport à ce qu’on a vu
VD : C’est ça
JPB : C’était aussi un peu l’idée
VD : On avait envie
JPB : On avait envie que quand on arrive ici, dans cette salle qui est complètement différente, il y ait
VD : Qu’on soit un peu surpris
JPB : Oui, de surprise, de travaux qui sont visuellement peut-être un peu plus, presque agressifs. Cette série je considère qu’elle est assez… enfin qu’elle joue beaucoup sur le côté noir/blanc, sur
VD : la répétition des images
7. Série “salles vides”
 
JPB : la répétition bien sûr, d’une scène quasiment vide, où il ne se passe rien, une vue d’expo vide, et en même temps, quand même, ça crée quelque chose par cette question du motif, de la répétition, de la série. En fait c’est une série d’affiches, qui sont imprimés d’une part d’une manière très industrielle en offset, et après sur lesquelles par dessus, il y a une intervention qui est en sérigraphie, qui est argentée, argentée bleu, et ce saumon et kaki, et puis aussi le dégradé. Donc comment, à partir d’un matériel plutôt industriel, on vient pour réintervenir et transformer l’image par quelque chose de beaucoup plus manuel, et ensuite qui sont repositionnées pour recréer une nouvelle image, voire même une narration, puisque le fait de rajouter des successions de vignettes comme ça, c’est quelque chose qui peut se rapprocher presque de la bande dessinée ou en tout cas de la succession des images
LM : qui bégaierait hein !
JPB : Ah ben ouais complètement ! Qu’est-ce que c’est de répéter toujours la même chose ? Et puis c’est aussi ce que fait la… ça fait partie de ce que fait la communication, la publicité, de remettre tout le temps la même image, qu’on imprime
LM : D’où cette violence de la répétition, aussi, c’est ça ?
JPB : Oui ben là, autant, par exemple, dans ce que fait Vanessa, qui est de mettre plusieurs fois la même image, on est plutôt dans quelque chose d’un peu “perte des repères”, là c’est plus un peu d’avoir une espèce d’agressivité aussi, visuelle, alors que le motif qui est représenté, c’est une salle d’exposition vide, dans laquelle, peut-être, au bout d’un moment, il peut y avoir la question de “qu’est-ce qui se passe ?”, “qu’est-ce qu’il y a à regarder ?”, parce qu’il y a trois images et qu’il y a une succession. Enfin voilà, c’est plutôt sur ça, c’est la recherche de quelque chose d’un peu
LM : on veut sauter un peu au regard
JPB : Ouais voilà, ça veut sauter aux yeux sauf qu’après à l’intérieur c’est quelque chose de vide.
VD : Il se passe rien
JPB : c’est des pièces vides donc…
LM : Mais un vide qui est un peu inquiétant
JPB : Ben oui, j’espère, c’est un peu l’idée.
LM : Donc ça, c’est quoi ? C’est une sérigraphie ?
VD : C’est de l’offset, alimenté par de la sérigraphie, qui n’est pas toujours la même. Donc ça rend des images différentes à partir d’une image identique. Et en même temps il y a toujours cette idée là, par rapport au collectif, d’épuiser certaines images, ou d’utiliser des images et de les réutiliser plus tard dans d’autres pièces, et de voir comment elles sont, comment elles deviendraient si on les utilisait, avec un autre système d’impression, ou une autre échelle, de l’imprimer dans un livre, avec la proximité d’autres images. Ça fait partie de ce rebondissement des images qui existent, comme dans, par exemple le tissu qui est derrière nous
LM : Excuse-moi : On a on a vu donc des dessins en haut, on a vu des peintures, c’est ça ? Tu dirais que c’est des peintures ?
VD : Non. Moi je les considère comme des dessins. Je suis vraiment issue du dessin. Malgré la couleur et la fluidité, ça reste ce travail là.
LM : Donc, on aime bien parfois catégoriser de manière simple les choses. Donc là on a des dessins, mais là on à quoi ? 
VD : De l’édition.
LM : De l’édition au sens technique du terme, technologique
VD : Du multiple
JPB : De l’édition au sens de… “choisir un objet qu’on va décider de reproduire”
LM : d’accord.
JPB : Multiple presque, si on veut oui. Mais en tout cas à partir de ce qui pourrait au final être unique, on a décidé de le reproduire, et pour moi, d’en avoir une seule ça m’intéresserait pas. C’est au contraire de pouvoir jouer sur la reproduction.
LM : il y a un truc qui me questionne, c’est votre parti-pris d’accrochage, qui est très… on va dire rudimentaire, si vous me passez l’expression.
VD : Hmm, bureautique.
LM : C’est un parti-pris, vos dessins c’est comme ça, un genre de punaise, là aussi.
JPB : Ouais c’est la désacralisation du truc
LM : Ça veut signifier quoi ? Le statut éphémère de l’accrochage ? La nature de l’objet ?
VD : Pas tant que ça, c’est plutôt que, il y a aussi dans ce qu’on aime par rapport à l’édition et la pratique du dessin c’est quelque chose qui se rapporte à un matériau assez pauvre, qui demande peu d’argent, pour moi j’aurais pas envie de basculer vers de la peinture, d’avoir des châssis, d’avoir quelque chose de plus onéreux… mais il y a ce rapport à la fois financier et la la fois la pauvreté des objets
JPB : la modestie
VD : la modestie des objets. À leur rapport et à leur statut en dehors de ça… dire que c’est pas issu que de l’art contemporain, d’utiliser ce genre de matériaux. Et de l’impression et des éditions. Et que là-dedans je crois qu’on aime bien aussi mélanger, c’est pour ça que je parlais des images qui sont issues à la fois d’un endroit et d’un autre, du design et de l’architecture, ou de l’édition, de la bande dessinée, ou des choses auxquelles on fait référence, qui sont des références à la fois de l’art contemporain, et de l’art appliqué, à quelque chose qui se mélangerait là-dedans et qui serait pas noble en soi, mais qu’on a envie de montrer, d’utiliser
JPB : Dans l’accrochage il y a ça aussi, il y a par exemple, au dessus on a un multiple de Vanessa qu’est un normographe, qui est posé sur une de mes plaques de bois, qui redevient un peu une espèce de plaque, enfin simplement presque une étagère. Finalement le truc qu’est à l’accrochage presque le plus noble c’est une reproduction d’un extrait de Tintin, qui est lui mis sous verre, avec un passe-partout, c’est la seule image qu’on n’a pas faite. C’est une image qui est un peu décisive pour nous.
LM : Ah oui on va y aller. Avant on va parler de ça ?
VD : Là par exemple, c’est vraiment, quand on parle d’art appliqué, de choses issues d’autres choses que de l’art contemporain, c’est une laize entière d’un rouleau de tissu qui a servi pour faire une collection de vêtements, qui est posée sur une barre de rideau, et qui montre un motif qui est une exposition de dessins qui sont transformés en sculpture. Et donc on retrouve un peu les histoires qu’on retrouve en haut, et ici, d’un élément qui n’est pas tout à fait ce qu’on pense être ; qui est une histoire d’échelle, une histoire de savoir si on regarde du dessin ou autre chose ; et là il y a l’imbrication à la fois de quelque chose… d’un multiple, ou d’une édition, fait à plusieurs exemplaires, qui se retrouve là-dedans, qui est une exposition dans un tissu.
JPB : Là il y a vraiment les quatre membres du collectif dans le dessin, et autant là-haut les peintures de Vanessa traitent du motif, avec le côté textile, alors que là justement on est dans un motif textile mais lui traite de l’exposition. On essaie toujours d’être dans ces rapports là, détourner un petit peu l’endroit où on ne veut pas être, et…
LM : Quand tu dis “il traite de l’exposition”, il traite de cette exposition ?
JPB : non, du tout,
LM : du thème de l’exposition ?
JPB : du thème de l’exposition.
LM : d’accord
JPB : après, ce qui est marrant, c’est que c’est une commande, on nous a dit “voilà”, la directrice de création Andrea Crews nous a dit “j’aimerais vous demander de faire une exposition sur tissus, qu’après moi je vais découper pour faire des vêtements.” Et donc il y avait cette demande initiale qui était qu’on crée une exposition sous forme de multiples. Et donc avec la question du motif qui doit se répéter
LM : Donc si je comprends bien, c’est des salles d’expos, avec dedans des objets d’art.
8. La laize 
JPB : Voilà
VD : C’est ça
LM : exposés
JPB : Ouais, exposés.
LM : qui sont assez étranges.
VD : qui sont des dessins qui jouent avec des sculptures.
JPB : Ça c’est un travail de Vanessa qui est une image dont on voit le recto et le verso en même temps.
9. La table “recto-verso”
VD : l’idée ce serait pouvoir prendre une image, et diviser sa matière en deux, la couper en deux, en tirant dessus pour pouvoir étaler son recto et son verso sur une seule surface. Et qu’on pourrait aller à la fois voir sa face et son dos, et révéler aussi sa construction, physique, qui est constituée de morceaux, d’éléments, peints et reconstitués, et avec des petits bouts de scotch qui permettraient de faire cette forme. Et il y a vraiment cette idée d’ouvrir un espace qui n’existe pas, de diviser une matière et de la fendre de toute sa longueur pour changer sa surface, enfin pas changer sa surface mais changer sa physicalité, quelque chose comme ça.
LM : Hmm hmm d’accord! Donc vous êtes proche de tout un univers… art contemporain mais aussi vous disiez BD, tout un univers… 
JPB : Nous on est pour abolir ces frontières en fait, enfin abolir ces frontières non mais c’est que, moi j’ai l’impression… par exemple on fait cette revue qui s’appelle Collection, qui est une revue d’entretiens, et avec des gens justement qui viennent de l’art contemporain, mais en même temps du graphisme, de la bande dessinée, et chaque domaine un peu se toise l’un l’autre. Enfin, je sais que dans l’art contemporain c’est un peu un gros mot de dire “bande dessinée”, tout de suite « oh là là ! ça craint, c’est horrible! », et inversement dans la bande dessinée c’est « oh là là, c’est hyper snob! ». Nous on a une espèce de regard qui va un peu vers… 
VD : ben par le biais de l’édition aussi qui change un peu les choses
JPB : dans les deux. Et on peut voir le bon et le mauvais dans les deux domaines. Mais… on n’est pas plus malin que les autres. On s’intéresse à ces deux choses qui sont parfois antagonistes.
VD : pas que « deux choses ». C’est plusieurs choses.
JPB : Non non, mais entre autres.
VD : Et dans la revue on aime bien aussi aller chercher des gens qui vont, dans leur travail ne pas parler d’une seule voie, mais justement, à l’intérieur de leur travail il y aussi ce mélange où on sait pas trop où on est, de gens qui sont à la fois, qui peuvent faire du dessin design très appliqué mais qui vont réaliser des dessins qui pourraient être des expos d’art contemporain. Et questionner ces statuts là et savoir comment le travail se construit au delà de savoir ce qui…
JPB : sa finalité ou…
VD : oui. Et pareil en bande dessinée, il y a des gens en bande dessinée qui vont créer une narration, qui vont utiliser des codes de l’art contemporain, où tout ça va se mélanger en fait ce qui nous intéresse c’est vraiment un moment
JPB : les gens qui essaient de croiser en fait les domaines, et pas de rester dans un genre particulier
LM : Après c’est pas forcément les mêmes enjeux non plus enfin…
JPB : Non, pas du tout. Mais moi je trouve intéressant de faire de la bande dessinée en ayant connaissance de ce qui se fait dans l’art contemporain. Et inversement dans l’art contemporain, qui regarde vers des formes narratives ou qui se consacrent uniquement à des créations uniquement visuelles ou formelles, ou sur des codes d’écriture 
[Retour au RdC]
LM : Alors on va parler de ça. Alors on est devant une photocopie, sûrement
VD : C’est une reproduction d’une case de Tintin, qui est dans un livre qui est la première édition des Cigares du Pharaon. Donc une version en noir et blanc. Et c’est le moment où Tintin voit le fakir qui empoisonne le maharaja, qui vient de sortir du palais et qui va s’échapper. Il le suit, et c’est le moment où il perd l’homme, et sait pas du tout où il est, il pense qu’il est monté en haut d’un palmier, et en réalité il se rend compte que le palmier est une supercherie, il peut appuyer sur un bouton pour ouvrir la surface du tronc, et qu’à l’intérieur il y a un puits.
10. Tintin ouvrant le faux palmier
JPB : Et donc après il y a toute la confrérie. […] Et pour nous ça synthétisait beaucoup de questions qu’on avait dans l’exposition, qui est… on pense que les choses se passent là-haut mais en fait quand on regarde la surface elles se passent en bas. Et il y a beaucoup de choses dans l’expo qui sont sur cette question là. Dans nos deux séries. Quand on voit de loin les séries de Vanessa on pense que c’est simplement un motif qui est représenté et quand on s’y approche on voit qu’il y a finalement une forme qui se dégage, il y a cette forme très dessinée qui se dégage, et qui crée un relief alors qu’on est dans quelque chose de très plat. Et chez moi c’est aussi ça, c’est
VD : creuser à l’intérieur des plaques
JPB : Voilà
VD : pour produire un dessin
JPB : on voit, qui a l’air très plat de loin et en fait creusé,
11. Le “creusé” du dessin   
VD : et le trait est en fait un trou, qui rempli devient de nouveau une surface.
JPB : C’était une métaphore finalement plutôt de quelque chose de… formellement comment sont construites mes images.2
VD : Il y avait ça, il y avait l’histoire aussi du motif quadrillé, qui était assez important, dans les dessins en tout cas que moi je développais dans ma dernière série, qui était assez dominante, et qui parlait aussi de la trame, pour Jean-Philippe, qui est plus issu du design graphique, et même dans l’imprimé.
JPB : C’est quelque chose qui me fait complétement phantasmer, un gris comme ça avec toutes les erreurs qu’il y a. Là, là, toute cette trame là, c’est celle qu’on retrouve après dans ce qu’on a vu en bas dans mes affiches, moi j’ai une espèce de fétichisme de ce que c’est que, d’un gris, d’une trame avec des petits points et des déformations et tout ça, donc ça fait écho à beaucoup de choses qui sont ici.
VD : Il y a ça, le fait que ça réfère aussi au livre, et qui est quand même ce qui nous préoccupe, au-delà du dessin, c’est l’édition et le multiple et la manière dont on peut montrer des dessins autrement que par le biais de l’original, et qui parle aussi de la bande dessinée, qui est un autre domaine qui nous intéresse aussi, dans les croisements de ce dont on parlait, des domaines plus
JPB : extérieurs
VD : non, mais des choses qui sont accessibles, plus facilement accessibles aux personnes que l’art contemporain, ou d’autres choses
JPB : Et puis aussi la chose très directe du dessin, finalement, qui est le premier art qu’on pratique quand on est enfant, enfin voilà.
VD : Et de ça d’ailleurs est issue l’affiche, de l’exposition, qui est cette référence aux croisillons, qui est un dessin qui a été réalisé en très petit, et très rapidement sur une surface de 5 x 5 cm, qu’on a reproduit sur un dos d’affiche bleue qu’est l’affiche publicitaire classique
JPB : sur les standard Decaux quoi en fait
VD : L’affiche qu’on voit à l’extérieur quand on rentre dans l’exposition, cette affiche bleue, avec le quadrillage vraiment du palmier, qui reprend cette idée du palmier, et qui est une affiche qu’on produit en plusieurs exemplaires mais qui en réalité est faite à la main, qu’est un agrandissement d’un tout petit dessin, qui est issu lui-même du livre. Enfin c’est des imbrications toujours de choses. Et après on peut aller même au-delà…  
 
NOTES-NOTES
1. Bretin trouve une planche dans la rue, et y reproduit un dessin à la graveuse numérique. Il ne change pas la nature de la planche, il la prend telle quelle. Ensuite, il reproduit en grand format un dessin miniature. Mais cette reproduction n’est pas servile, cela devient une sculpture, puisque Bretin utilise une fraiseuse qui va creuser dans la planche. Ensuite il va remplir ces sillons de pâte. Cette opération de reproduction, en plus grand format ; ce creusement du dessin, et ce remplissage, constituent trois opérations qui intéressent Bretin. On comprend très bien comment ces processus peuvent intéresser Bretin, comment, à partir de l’arbitraire d’une planche perdue dans la rue, un artiste peut la récupérer, et lui redonner une existence à partir de la reproduction d’un dessin en creux. Ces trois processus — reproduction, creusement, remplissage — constituent l’importance du résultat. Cependant, le regardeur ne saisit pas l’ensemble de ces processus, il n’en voit que le résultat. Peut-être qu’un cartel pourrait faire comprendre au regardeur cette importance, et qu’alors il pourrait saisir le “tableau” comme un processus temporel, et non pas comme une instance immédiate.
2. La métaphore: Creuser. Non pas pour signifier autre chose, mais pour faire apparaître autre chose, comme le trou dans le palmier, le trou dans la plaque, le trou dans les vases communicants  (comblé par une autre partie). Il n’est pas certain que “métaphore » soit le bon terme, à moins que l’on se souvienne que metaphorein signifie «transport ». De ce moment, alors, le signifiant, au loin, est différent du signifié, comme on disait jadis dans les milieux intellectuels… Et, même, si on ajoute une pointe derridienne, on dira que le signifiant est différant du signifié ; ce qui veut dire que, dans la plupart des objets que nous proposent Dziuba et Bretin, nous avons affaire à des processus temporels ; des transports temporels ont eu lieu, qui impliquent de la matière et des formes ; et ces transports sont sensibles. 
SubNote: Le signifiant est l’image acoustique, d’après Saussure (comment on prononce un mot, par exemple). Mais puisque Saussure emprunte au langage iconique, rien ne nous interdit de décrire l’image au loin comme signifiant iconique.
… … … … … … … … 
LÉON MYCHKINE

 

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