Le tourbillon ; les cercles ; la lumière ; autant de thèmes antiques, qui inondent la peinture, les arts, etc. Nous pourrions être non surpris par le sujet. Et pourtant, c’est toujours sans compter sur l’initiative des artistes :
Adam Fuss, Untitled, 2015, unique Cibachrome photogram, 176,21 x 130,8 cm, Frænkel Gallery, San Francisco
Fuss, je le dis tout net, est un magicien. Alors bien sûr, le terme est galvaudé. Tentons de lui redonner quelque lustre. Le magicien, c’est celui qui fait apparaître ce qui n’était pas là. Mais en quoi une image qui existait avant que je ne la “découvrisse” peut être apparentée à quelque chose de magique ? L’image ci-dessus est un photogramme. Rappelons que le photogramme, c’est l’image d’un objet placé sur une surface photosensible que l’on expose à la lumière. Maintenant, quel objet a bien pu placer Fuss pour obtenir un tel résultat ? C’est là que la magie a opéré, voyez ? On peut même se demander s’il s’agit d’un objet, ou, plutôt, d’un “effet d’objet” ? Je n’en sais rien, je pose la question. Peut-être est-ce le photogramme d’une peinture ? Mais comment peindre cela sans devenir fou ? Sinon, connaissez-vous un objet qui produirait un tel effet ? Bien sûr, on ne peut pas connaître tous les objets, encore moins toutes les parties d’objets. Mais je vois là même un second effet magique, à savoir celui qui opère quand on commence de vouloir suivre les bords d’un des cercles, ou ellipses (nous avons les deux, au fur et à mesure que l’on se rapproche du centre ou que l’on s’en éloigne). Donc, quand on tente de suivre le bord d’un cercle, par exemple, l’œil, littéralement, ripe (enfin, le regard ripe) ; l’œil ne parvient pas à suivre, et c’est déjà quelque chose, qui confère à ce que j’appellerais l’insaisissable. Et c’est déjà quelque chose ; produire de l’insaisissable, quand les images le sont tellement, saisissables, tant il faut tellement que tout soit lisible, lisse, bien propret, etc. Notez, au passage, que le cadre est resserré sur l’objet (ou effet de) ; comme s’il s’agissait d’un ensemble bien plus grand (un endroit du cosmos…). Et rappelons que les dimensions sont déjà assez grandes (176 x 130 cm). Ce doit être, dans le monde réel, assez impressionnant. C’est, pour tout dire, une œuvre mystérieuse — on ne sait pas comment c’est fait. Et le mystère ajoute à la fascination. Il faut y insister : on ne sait pas forcément, par exemple, comment un artiste peint son tableau (je ne sais plus quel peintre me confiait avoir compris comment tous les bons peintres français peignaient ,excepté Julien des Monstiers…). Et l’on ne sais pas non plus comment cet autre artiste dessine d’une manière aussi incroyable (Johnathan Delafield Cook, p.ex.). Ici, chez Fuss, on ne sait pas de quoi il s’agit ; on n’en a aucune idée. On pourrait trouver le motif un peu trivial, avec cette sorte de soleil au milieu, mais avouez que c’est extrêmement lumineux, alors qu’il ne s’agit que de blanc ? Le soleil est-il blanc ? Parfois, quand le ciel est “voilé”. En tout cas, c’est beau.
(Je vais revenir sur la notion de “beau” dans deux prochains articles. À suivre donc).
Léon Mychkine