Piero Manzoni, “Socle du Monde”, 1961, fer, 100cm x 100cm x 82cm, Herning Kunstmuseum, Danemark
Est écrit sur la pièce : ‘Socle du monde. Socle magique n°3 de Piero Manzoni. 1961. Hommage à Galileo’.
Comment comprendre cette œuvre de Manzoni ? Que veut dire “Socle du monde” ? Quel rapport avec Galilée ? Avant tout, tentons de nous laisser emporter par la poésie du message.
Je ne dis pas qu’il s’agit d’une œuvre poétique, ce que je réfute pour toute œuvre d’art, car on lit trop souvent que telle ou telle œuvre d’art est “poétique”, ce qui ne veut rien dire, car la poésie appartient (depuis des siècles et des siècles) au domaine de l’écrit (chacun ses prébendes). On utilise donc souvent l’adjectif par manque d’imagination, d’effort, ou par paresse. En revanche, je pense soudainement, et à partir du socle de Manzoni, qu’il est possible qu’une œuvre d’art délivre — à partir d’une dérive imaginale — un message poétique.
Notez bien, et il faut y insister ; le socle manzonien n’est pas une œuvre poétique, car il n’existe pas de sculpture poétique, pas plus qu’il n’existe de peinture poétique, etc. En soi, le “Socle du Monde”, d’un pur point de vue perceptif (avec nécessairement un peu de mentalité dedans), ne signifie pas grand-chose. Sauf que… il s’agit d’une œuvre d’artiste, qui s’inscrit dans un parcours tant esthétique que conceptuel, et sur laquelle en sus on trouve de l’écrit, ce qui aide, ou pas d’ailleurs, le spectateur. Avant cela, on a lu que le Socle est inversé parce qu’il soutient la l’entière planète, ce qui conduit à l’idée que c’est la Terre elle-même qui est une entière œuvre d’art. À partir de là, il faudrait parler de poïétique, “poïen”, ποίησις (poíēsis), c’est le « faire ». « Fait »-on de la poésie ? On écrit de la poésie. Et notez que les plus grands poèmes de l’histoire de l’Humanité, L’Odyssée, Le Kalevala, Le Mahabharata (entre autres) ont d’abord été transmis oralement, et bien plus tard mis par écrit. Mais on n’écrit pas une sculpture, on la fabrique, avec les mains (on écrit, avant le clavier, avec une main. Et d’ailleurs on n’écrit pas sur un clavier ; on tape). Il semble donc judicieux de distinguer entre œuvre poétique (écrit) et œuvre poïétique (faite avec les mains, donnant lieu à une sculpture, une peinture, etc.) Mais il faudra encore distinguer entre “faire poïétique” et “faire artefactuel”, car il n’est pas certain que toute œuvre dimensionnelle soit nécessairement poïétique. Nous y reviendrons.
Voici donc la Terre comme un joyau cosmique posée sur un socle en majesté. C’est tout à fait dérisoire, car “quoi” saurait porter la Terre ? (question purement poétique.) Qu’est-ce qui porte la Terre ? Les forces gravitationnelles. Qu’est-ce qui porte la Terre ? Le Socle de Manzoni. Si l’on inverse la “vue”, on peut tout à fait supposer que ce Socle n’est pas positionné à l’envers, car, finalement, il n’y a ni haut ni bas à ce socle, exactement comment dans l’espace interstellaire. Si bien que si nous ignorons l’indice de l’écrit inversé, on peut tout à fait s’attendre à ce que quelque chose vienne se poser sur alors non pas l’envers que serait la surface mais ce que, en taille de pierre, on appelle un lit d’attente. Maintenant, que va-t-il se “poser” sur ce socle ? Une virtualité. Une attente indéfinie ? On lit que Manzoni a produit le Socle pour que la terre s’y repose. Pour ce faire, il est nécessaire de la sortir de la gravité, et puis de la reposer délicatement sur le socle. Mais est-ce faisable ? Elon Musk y a-t-il pensé ? (en admettant qu’il pense.) Pousser la Terre… Mais ne courrait-elle pas alors le risque de choir ? Et nous serions alors emportés, cul par dessus tête, à l’instar du Socle, qui nous avait prévenus. D’un autre côté, le socle, c’est ce qui reçoit, quelque chose, un objet, un corps, une institution. De ce côté du lit d’attente, il n’y a donc rien. Mais le rien, naturels que nous sommes, nous fait horreur, en général. Il va donc falloir (à défaut de faillir) pallier ce vide. Et c’est donc là que Manzoni convoque une faculté proportionnellement aussi vaste que le périmètre terrestre ; l’imaginaire.
Je suppute qu’en matière d’art contemporain, le “Socle du Monde” est l’une des plus belles et puissantes œuvres qui soient. Comparez, par exemple, avec “Untitled 1994”, de Richard Artschwager :
Cette œuvre d’un artiste reconnu, se veut sûrement, parmi d’autres produites par icelui, un clin d’œil légataire du “ready-made”, entreprise conceptuelle et polymorphe (il n’y pas que l’urinoir — dont l’authenticité fait toujours débat — la roue de bicyclette ou le porte-bouteilles…). Cette boîte, donc, est certainement un (faux) ready-made. Rappel : Marcel Duchamp a inventé le processus du “ready-made”, mais il n’a jamais dit que le moindre ready-made était une œuvre d’art, comme il l’explicitait clairement, en 1967, à Pierre Cabanne :
PC: Comment en êtes-vous venus à choisir un objet série, un ready-made, pour en faire une œuvre ?
MC: Je ne voulais pas en faire une œuvre, remarquez. Le mot de “ready-made” n’est apparu qu’en 1915 quand je suis allé aux États-Unis. Il m’a intéressé comme mot, mais quand j’ai mis une roue de bicyclette sur un tabouret, la fourche en bas, il n’y avait aucune idée de ready-made ni même de quelque chose d’autre, c’était simplement une distraction. je n’avais pas de raison déterminée pour faire-cela, ni d’intention d’exposition, de description. Non, rien de tout cela… (Marcel Duchamp. Entretiens avec Pierre Cabanne, [Belfond, 1967], Éditions Allia, 2014.)
Pour le dire bluntly, un ready-made, ce n’est pas une œuvre d’art ; dixit Duchamp (dD). Or, c’est un fait avéré, on ne compte plus ceux qui se sont engouffrés dans la fiction que le ready-made Était une (nouvelle forme d’) œuvre d’art ; fiction qui a servi, bien évidemment, les intérêt des suiveurs, tout autant que leur paresse intellectuelle, le tout consistant en un expédient ultra-simple pour “faire de l’art”. Artschwager fait partie, assurément, de ces petits malins. Sauf qu’alors, pour produire un ready-made opérationnel, il eut fallu produire un argument (il y en a plusieurs, c’est la nature, constamment passée sous les radars des vendeurs de tapis, polymorphe, du ready-made duchampien.) En sus, si le ready-made ontologique n’est pas une œuvre d’art, c’est tout de même un protocole ; ce que l’on ne trouve pas non plus chez les marchands de tapis, les Lavier, Mercier, i tutti quanti. Et quand bien même on en “trouverait”, la fallacie béerait dans sa patente vacuité. Autrement dit, la “caisse” d’Artschwager ne signifie rien, c’est un objet inane. Maintenant, à ceux qui penseraient que le “Socle du Monde” de Manzoni relèverait de la catégorie du ready-made, voici un extrait issu du site The art story :
Le Socle du Monde est l’aboutissement d’un processus d’un an utilisant des socles pour jouer avec la notion d’autorité de l’artiste. Alors que Manzoni avait précédemment demandé au public de se tenir debout sur des socles pour devenir des sculptures vivantes, ou de signer des parties de leur corps pour les déclarer œuvres d’art, cette sculpture pousse le concept de propriété artistique par le biais de la revendication à sa conclusion logique. Comme dernière œuvre de la série, Manzoni a réalisé le grand socle que l’on voit sur cette image, sur lequel est imprimée la légende Socle du Monde, et l’a tourné à l’envers. Cette opération avait pour but de symboliser le socle comme supportant le poids du monde, suggérant que la terre elle-même était une œuvre d’art revendiquée par Manzoni. Le socle a été installé à Herning en 1961, lorsque Manzoni a été invité par le fabricant danois Aage Damgaard à créer une œuvre au cours d’une résidence dans la ville et à contribuer à sa collection publique d’objets d’art d’artistes contemporains importants. Certains critiques pensent que l’inspiration de Manzoni est venue du fait qu’il était possible de voir la courbure de la terre à l’horizon des basses terres du Nord, près de Herning.
Ces indications sont fort intéressantes. Au départ, l’idée, c’est la sculpture vivante, soit un socle sur lequel prend place un modèle, enfin, n’importe qui souhaitant, pour un moment, le devenir :
Fondazione Piero Manzoni : Le 13 janvier 1961, il [Manzoni] organise avec Maccentelli une nouvelle action, les Opere vive ou Sculture viventi, dans laquelle il signe le socle et le corps de modèles en chair et en os qui se font passer pour des sculptures. Homogène à cette idée est celle de Base magica, un socle sur lequel n’importe qui peut être considéré comme une sculpture de Manzoni. En corollaire, l’artiste délivre des certificats d’authenticité, véritables carnets de réception dans lesquels l’auteur certifie que le récepteur « a été signé de ma main et est donc considéré, à partir de la date ci-dessous, comme une œuvre d’art authentique et véridique ». Un système de timbres adhésifs, découpés à l’emporte-pièce pour être appliqués sur les certificats, de différentes couleurs et portant l’inscription continue “Piero Manzoni”, permet à l’artiste d’administrer une échelle de différents degrés d’authenticité.
Dans un geste mental et performatif, nous serons passés de la “Basa magica, scultura vivente”, au “Socle du Monde”, socle inversé sur lequel se tient donc la Terre, planète majeure mimétique et non-mimétique.
Sans mythe, il n’y a pas d’art.
L’œuvre d’art tire son occasion d’une impulsion inconsciente, de l’origine et de la mort d’un substrat collectif, mais le fait artistique réside dans la prise de conscience du geste, prise de conscience intuitive, puisque la technique propre à l’activité artistique est l’éclaircissement intuitif (inventio).
Ayant consommé le geste, l’œuvre devient donc le document de l’apparition d’un fait artistique. La découverte s’accompagne d’une conscience claire du développement historique de l’œuvre d’art. Nous comprenons donc l’art comme une découverte (inventio) dans le développement historique continu de zones authentiques et vierges. Notre chemin est un alphabet d’images premières. L’image est notre espace de liberté ; c’est dans cet espace que nous allons à la découverte, à l’invention d’images ; des images vierges qui ne se justifient que par elles-mêmes, dont la validité n’est déterminée que par la quantité de JOIE DE VIVRE qu’elles contiennent. Camillo Corvi-Mora, Piero Manzoni, Ettore Sordini, Giuseppe Zecca, Milano, 9 dicembre 1956
LM
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Vivre de ses écrits ? / To live from writing?
L’écriture est un art. Chacun peut en convenir. Pourtant, un écrivain ne dit jamais qu’il est un “artiste”, et jamais on ne dit qu’un écrivain est un artiste. Néanmoins, l’écrivain comme l’artiste partagent un point commun, un idéal : vivre de ses productions. Des artistes se sont étonnés que je ne “gagne pas ma vie” avec mes écrits. Je rappelle que je ne suis ni salarié, ni rentier. Je ne me plains pas, je précise ma situation. Je ne suis pas une victime, je n’en veux pas à la société, ni à personne. Maintenant, j’ai essayé, de temps en temps, plutôt rarement que souvent, de faire acheter un article. Ça n’a jamais fonctionné. Même à 0,50 €. Je me suis dit que je pourrais procéder par abonnement, comme le font tous les journaux et magazines. Mais depuis la mise en ligne du premier article sur Article, le 03 juillet 2016, nous en sommes aujourd’hui à 718 articles en ligne ; et afin de proposer une “formule” abonnement , il faudrait que je refonde tout le site. C’est un travail énorme, que je n’ai pas du tout la force de faire, ni les moyens de le faire faire. Alors, je me dis, ce jour, plein d’optimisme candide (à mon âge, c’est touchant) : « Tiens ! je vais proposer au lecteur de me financer, à hauteur d’1 Euro par mois…». Cela peut paraître bien dérisoire, mais, sur ces derniers vingt-huit jours, Article a reçu
lecteurs. C’est (vraiment) beaucoup. Et je ne suis pas certain, en toute franchise, que beaucoup de sites Internet dédiés à l’art contemporain et moderne, et alimenté par un seul auteur, puissent produire autant de lecteurs par mois, et dans le monde entier. Alors, réfléchissez, et demandez-vous si cela “vaut” 1 Euro par mois ? Bien sûr que cela “vaut” plus. Mais imaginez que vous soyez quelques centaines à verser cette somme dérisoire sur le compte Paypal ou via votre carte bancaire à Léon Mychkine (alias de Fabrice Bothereau, ancien poète, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant), ou même, soyons-fous, quelques milliers de lecteurs. J’obtiendrais une vie plus digne, et serais à même de voyager Vraiment plus souvent afin d’alimenter bien plus de visu l’art dont je traite et pour lequel je donne mon temps, et ce pourquoi je vis. Alors, lecteur, ce n’est pas compliqué pour m’aider, il faut juste cliquer
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En vous remerciant, bien cordialement,
Léon Mychkine
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Leon Myshkin