Addendum au Journal #10 : “Géologie de l’Humanité”, Paul Creutzen

« Paul Creutzen, “Geology of mankind”, Nature, 03 janvier 2002  

Au cours des trois derniers siècles, les effets de l’homme sur l’environnement mondial se sont intensifiés. En raison de ces émissions anthropogéniques de dioxyde de carbone, le climat mondial pourrait s’écarter sensiblement du comportement naturel pendant de nombreux millénaires. Il semble approprié d’attribuer le terme “Anthropocène” à l’époque géologique actuelle, dominée à bien des égards par l’homme, qui vient s’ajouter à l’Holocène — la période chaude des 10 à 12 derniers millénaires. On peut dire que l’Anthropocène a commencé à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les analyses de l’air piégé dans les glaces polaires ont révélé le début de l’augmentation des concentrations mondiales de dioxyde de carbone et de méthane. Cette date coïncide également avec avec la conception de la machine à vapeur par James Watt en 1784.
L’influence croissante de l’homme sur l’environnement a été reconnue dès 1873 [!], lorsque le géologue italien Antonio Stoppani a parlé d’une “nouvelle force tellurique qui, par sa puissance et son universalité, peut être comparée aux plus grandes forces de la terre”, se référant à l’“ère anthropozoïque”. En 1926, V. I. Vernadsky a reconnu l’impact croissant de l’humanité : “La direction dans laquelle les processus d’évolution doivent aller, c’est-à-dire vers une conscience et une pensée croissantes, et des formes ayant une influence de plus en plus grande sur leur environnement”. Teilhard de Chardin et Vernadsky ont utilisé le terme de “noösphère” — le ”monde de la pensée” —, pour souligner le rôle croissant de la puissance cérébrale humaine dans l’élaboration de son propre avenir et de son environnement.   

L’expansion rapide de l’humanité en termes de nombre et d’exploitation par habitant des ressources de la Terre s’est poursuivie à un rythme soutenu. Au cours des trois derniers siècles, la population humaine a décuplé pour atteindre plus de 6 milliards d’individus et devrait atteindre 10 milliards au cours de ce siècle. La population bovine productrice de méthane est passée à 1,4 milliard. Environ 30 à 50 % de la surface terrestre de la planète est exploitée par l’homme. Les forêts tropicales disparaissent rapidement, libérant du dioxyde de carbone et augmentant fortement l’extinction des espèces. La construction de barrages et le détournement des cours d’eau sont devenus monnaie courante. Plus de la moitié de l’eau douce accessible est utilisée par l’homme. La pêche absorbe plus de 25 % de la production primaire dans les régions océaniques à forte remontée d’eau et 35 % sur le plateau continental tempéré. La consommation d’énergie a été multipliée par 16 au cours du vingtième siècle, provoquant 160 millions de tonnes d’émissions atmosphériques de dioxyde de soufre par an, soit plus de deux fois la somme de ses émissions naturelles. L’agriculture applique plus d’engrais azotés que n’en fixent naturellement tous les écosystèmes terrestres ; la production d’oxyde nitrique par la combustion de combustibles fossiles et de biomasse dépasse également les émissions naturelles. La combustion de combustibles fossiles et l’agriculture ont entraîné des augmentations substantielles des concentrations de gaz à effet de serre — le dioxyde de carbone de 30 % et le méthane de plus de 100 % —, atteignant leurs niveaux les plus élevés au cours des 400 derniers millénaires, et d’autres sont encore à venir.  

Jusqu’à présent, ces effets ont été largement causés par seulement 25 % de la population mondiale. Les conséquences sont, entre autres, les précipitations acides, le ‘smog’ photochimique et le réchauffement climatique. Ainsi, selon les dernières estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la Terre se réchauffera de 1,4 à 5,8 °C au cours de ce siècle.

De nombreuses substances toxiques sont rejetées dans l’environnement, même certaines qui ne sont pas toxiques du tout mais qui ont néanmoins des effets gravement dommageables, comme les chlorofluorocarbones qui ont causé le “trou d’ozone” de l’Antarctique (et qui sont maintenant réglementés). La situation aurait pu être bien pire : Les propriétés des halogènes qui détruisent l’ozone sont étudiées depuis le milieu des années 1970. S’il s’était avéré que le chlore se comportait chimiquement comme le brome, le trou dans la couche d’ozone aurait alors été un phénomène mondial, s’étendant sur toute l’année, et pas seulement un événement du printemps antarctique. Plus par chance que par sagesse, cette situation catastrophique ne s’est pas produite. À moins d’une catastrophe mondiale — un impact de météorite, une guerre mondiale ou une panique —, l’humanité restera une force environnementale majeure pendant de nombreux millénaires. Une tâche colossale attend les scientifiques et les ingénieurs pour guider la société vers une gestion durable de l’environnement à l’ère de l’Anthropocène. Cela nécessitera un comportement humain approprié à toutes les échelles et pourrait bien impliquer des projets de géo-ingénierie à grande échelle acceptés au niveau international, par exemple pour “optimiser” le climat. Toutefois, à ce stade, nous sommes encore largement en terra incognita.

Paul J. Crutzen, Max Planck Institute for Chemistry, PO Box 3060, D-55020 Mainz, Germany, and the Scripps Institution of Oceanography, University of California, San Diego, 9500 Gillman Drive, La Jolla, California 92093-7452, USA.

FURTHER READING

Marsh, G. P. Man and Nature (1864). (Reprinted as The Earth as Modified by Human Action (Belknap Press, Cambridge, Massachusetts, 1965)).
Crutzen, P. J. & Stoermer, E. F. IGBP Newsletter 41 (Royal Swedish Academy of Sciences, Stockholm, 2000).
Clark, W. C. & Munn, R. E. (eds) Sustainable Development of the Biosphere, Ch. 1 (Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1986).
Vernadski, V. I. The Biosphere (translated and annotated version from the original of 1926) (Springer, New York, 1998).
Turner, B. L. et al. The Earth as Transformed by Human Action (Cambridge Univ. Press, Cambridge, 1990). McNeill, J. R. Something New Under the Sun: An Environmental History of the Twentieth-Century World (W. W. Norton, New York, 2000).
Houghton, J. T. et al. (eds) Climate Change 2001: The Scientific Basis (Cambridge Univ. Press, Cambridge, 2001).
Berger, A. & Loutre, M.-F. C. R. Acad. Sci. Paris 323 (IIA), 1–16 (1996).
Schellnhuber, H. J. Nature 402, C19–C23 (1999). »

En Une : Le lac canadien choisi par l’“Anthropocene Working Group”, basé à Leicester, GB, afin d’illustrer les effets et témoins de l’humanité Industrielle, car on trouve dans ses sédiments les échantillons typiques de cette dernière, que l’on trouverait par ailleurs à près n’importe où. Des milliers d’autres exemples de biotopes pouvaient candidater, et l’histoire ne dit pas vraiment pourquoi c’est ce lac qui a été élu… Certainement une opération de communication scientifique, destinée à sensibiliser la population, qui continue de rouler à tombeau ouvert vers le néant.

Traduit par l’IA et Léon Mychkine, avec ajouts de caractères gras et point d’exclamation, et insert de l’illustration d’origine. 

 

Journal #10. L’écologie ? C’est trop tard (Partie 1)

Léon Mychkine

écrivain, Docteur en philosophie, chercheur indépendant, critique d’art, membre de l’AICA-France