Albert Renger-Patzsch au Centre Pompidou. (Dans la série “L’homme et l’œuvre”)

Il n’y a apparemment plus de publicités sur le site pendant 30 jours, Google ayant constaté, par on sait quel tour de passe-passe, que je cliquais sur mes annonces, afin d’augmenter les revenus, ce qui est absolument faux. Je ne sais pas pourquoi ils portent une telle accusation, mais bon, je ne suis pas de taille face à l’Empire libertarien/orwellien de Google.


L’exposition “Allemagne / Années 1920 / Nouvelle Objectivité / August Sander” n’est pas consacrée qu’à August Sander, mais pour les aficionados (amateure), la dose est massive, comme le sont tous les documents, y compris filmés, qui nous rappellent par l’imagination comment l’Allemagne était si travailleuse, insouciante et joyeuse avant la Catastrophe produite par qui l’on sait. L’exposition est généreuse comme 100 Forêts Noires ; on en prend plein les papilles mentales. Je ne sais pourquoi, mais les tableaux m’ont laissé froid ; il me semble qu’il y avait moyen d’en trouver de plus dérangeants, notamment d’Otto Dix, relatifs à la Première Guerre Mondiale ; ceux d’icelui accrochés font, je ne sais comment dire, scolaires, et, pour tout dire, cliché. Bref.

Otto Dix, “Un cadavre dans les barbelés (Flandres)”

 

Otto Dix, “Danse des morts, année 17 (Le Mort Homme)”

La seule bulle d’oxygène que j’ai rencontrée, qui m’a mis en joie, sont les photographies d’Albert Renger-Patzsch, beaucoup moins connu aujourd’hui que le couple Bernd/Hilla Becher, bien qu’il ait bénéficié d’une Rétrospective dès 1927, ait joui d’un succès populaire en 1928 avec son livre Die Welt ist schön (Le monde est beau) ; mais enfin, 1927, à qui cela parle-t-il, en nos temps consuméristes culturels dans lesquels une nouvelle création chasse l’autre, mois après mois, quand ce n’est pas semaine après semaine, voire, jour après jour ?             

Albert Renger-Patzsch, “Verrerie d’Iéna (béchers)”, 1934 

C’est tout simple. On regarde ces béchers de diverses tailles, et, pendant un moment très court, on ne sait plus ce qui est devant ou derrière, dessus ou dessous. À la fin, ne reste que le silence, comme chez ces fers à repasser :

Albert Renger-Patzsch, “Fers à repasser pour la fabrication des chaussures, usines Fagus, Alfeld”, 1928

Bien que les images ci-dessus relevaient souvent du genre publicitaire, on peut y voir autre chose. Le silence. Le silence des objets. Avant qu’il devienne éventuellement bruyant, résonnant, etc., un objet est silencieux. Inorganique monde amuï ; jusqu’aux bruits industriels, mais gelés dans le silence photographique.

Albert Renger-Patzsch 

 

Albert Renger-Patzsch, “Photographie objective, rail de roulement d’un téléphérique”, 1928, Museum für Gestaltung Zürich / ZHdK 2

De Renger-Patzsch, nous avons généralement cette idée d’une sorte de photographe pseudo-conceptuel avant l’heure, pionnier de la Nouvelle Objectivité. Mais il ne s’agit là que d’une partie de l’image. Renger-Patzsch s’est risqué (le mot est approprié) dans bien d’autres domaines. Brisons-là tout de suite en rappelant que le photographe n’a pas quitté l’Allemagne nazie, et qu’il a même mis à profit sa technique auprès de l’Organisation Todt (source passionnante : ici), notamment chargée par le régime nazi de construire le Mur de l’Atlantique, entre autres réalisations pharaoniques. Pour des raisons qui m’échappent, il est difficile, voire impossible, de trouver des photographies de Renger-Patzsch en rapport direct avec l’Organisation Todt… On peut se demander pourquoi. Même le “Dossier Documentaire” de 52 pages issu du Musée du Jeu de Paume lors de la rétrospective de Renger-Patzsch 2017-2018, ne mentionne qu’une seule fois l’Organisation, tout en bas, dans la Biographie, sous cette forme :« 1941-1943. Travaille pour l’organisation Todt. À la demande de cette troupe paramilitaire de construction, Renger-Patzsch photographie le mur de l’Atlantique en Normandie et en Bretagne.» Rappelons que l’Organisation Todt n’était pas une “troupe paramilitaire”, expression qui pourrait laisser à penser qu’il s’agissait là d’une petite structure satellite à l’organigramme nazi. Bien au contraire, c’est Adolf Hitler lui-même qui l’a créée, en 1933, et elle ne prenait ses ordres que depuis la Chancellerie et n’avait de compte à rendre, de fait, qu’à cette instance suprême ; ayant toute latitude pour réquisitionner le personnel dont elle avait besoin, qu’il se fut agi de soldats de la Wehrmacht, de travailleurs réguliers, de prisonniers STO, ou, bien entendu, de déportés… De quoi s’agit-il ? Dès sa naissance, l’Organisation Todt est dirigée par l’un des plus anciens fidèles du NSDAP, l’un des premiers compagnons de Hitler ; Fritz Todt, ingénieur des Ponts et Chaussées :

« À la tête de cette organisation était placée une direction générale baptisée OT-Zentrale (OT-Z, Berlin) confiée, de 1938 à 1945, à l’ingénieur Xaver Dorsch. Comme Todt, Dorsch, l’un des plus anciens membres du NSDAP, faisait partie du cercle des familiers de Hitler. Après que Todt eut été nommé, en février 1940, “Reichsminister fur Bewaffnung und Munition” [Ministre du Reich pour l’Armememnt et les Munitions], l’Organisation Todt, tout en conservant d’importants pouvoirs et une relative liberté, devenait un département de ce ministère. Il en sera de même, à partir de février 1942, sous [Albert] Speer. […] 

Au total, bien que présente sur tous les théâtres d’opérations, c’est sur le front Ouest, que l’Organisation Todt a mené son programme de travaux le plus considérable avec l’édification du Mur de l’Atlantique et réalisé ses performances les plus extraordinaires avec la construction des abris pour sous-marins et des bases de lancement de fusées. Monstrueuse machine à produire du béton, à fabriquer des blockhaus à la chaîne et à édifier des ouvrages qui figurent parmi les plus importants jamais construits par les hommes, l’Organisation Todt demeure, dans l’histoire, un exemple unique.» (Source Rémy Desquesnes, référence en bas d’article) 

Sur le site artsy.net, on trouve un “groupe de treize photographies industrielles”, mais, curieusement, non datées ni légendées.

Sur le même site, on trouve pourtant bien d’autres photographies datées, comme celle-ci :

Albert Renger-Patzsch, “Bridge over the Möhne Reservoir, Germany”, 1946-1947, gelatin silver print, 16.5 × 22.5 cm

Missionné par l’Organisation Todt, il était impossible à Albert Renger-Patzsch d’ignorer pour qui il travaillait.

Le général Eduard Dietl (à gauche) et Albert Speer, aéroport de Rovaniemi, Finlande, février 1944

 

Ref. Desquesnes Rémy. “L’Organisation Todt en France (1940-1944)”, In Histoire, économie et société, 1992, 11 année, n°3. Stratégies industrielles sous l’occupation

 

 

Léon Mychkine

critique d’art, membre de l’AICA, Docteur en Philosophie, chercheur indépendant

 

 


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