Le film Where the Sidewalk Ends (scénario Ben Hecht, à partir du roman Night Cry, 1948, de William L. Stuart) est sorti en 1950. Son titre est mystérieux, mais on finit par le comprendre dans le déroulé, à savoir que le détective Mark Dixon bascule dans un vide qu’il essaie de colmater par une fiction de son jus via laquelle il entend masquer sa propre responsabilité. C’est un très bon film, joué et filmé au cordeau, mais ce qui m’a le plus impressionné consiste en deux éléments : le cadrage et la photographie.
Je vous l’ai dit, ce noir et blanc est d’une sombreté, et d’une beauté… On remarque, dans ce cadrage, et il y en aura d’autres, une inscription très urbaine, très noire (Film noir), avec une insistance sur l’architecture et notamment ici en fond le Manhattan Bridge.
Le détective Mark Dixon (Dana Andrews) vient de charger le corps de Ken Paine (Craig Stevens) dans sa voiture. Le métro aérien vient de stopper, et Dixon lève la tête comme s’il avait peur d’être repéré. Mais quand bien même, il a déposé le corps dans le coffre avant même que ne surgisse le métro. C’est qu’il se sent déjà coupable. Ce n’est pas un sociopathe. Luminaires, point lumineux sur la voiture, éclairage du wagon ; et toujours beaucoup de noir.
Vue urbaine depuis le bureau de police, buildings, Empire State Building. Quelques lumières, beaucoup de noir, c’est le côté sombre — Dixon a tué un innocent et personne ne le sait (encore).
Côté face, lumière, Dixon est un policier comme un autre (mais on sait qu’il a été rappelé à l’ordre pour brutalité policière et qu’au moindre prochain faux pas il sera rétrogradé).
La grille sur la fenêtre, annonciatrice de la prison qui attend Dixon, quand tout sera connu.
Morgan Taylor (Gene Tierney), tombée amoureuse de Dixon, qui ne sait pas encore que c’est lui a tué son ex-mari, Ken Paine. Un coup de poing qui l’a fait chuter et heurter violemment la tête à l’endroit d’une ancienne blessure de guerre dans laquelle est restée enfoncée une partie de schrapnel. Autrement dit, Dixon ne voulait pas tuer Paine, car il ne pouvait pas deviner qu’un coup de poing et une mauvaise chute lui serait fatale. En arrière-plan Manhattan Bridge. Sombre ambiance. Juste après cette image, elle va fondre en larmes.
Beau cadrage, façon “New Topographics” avant l’heure.
De nouveau seul, le détective marche dans la nuit, bien noire, avec quelques lumignons, son visage presque effacé par la honte et la gêne de masquer une vérité terrible.
La nuit mange tout (attaque du côté gauche), sauf ce qui résiste, la fumée plus noire qu’elle ; lumignons, phares et chromes, car la nuit urbaine est dépouillée de son noir (urbana).
L’urbain américain, c’est l’acier, et le béton. Ne verrait-on pas (anticipation) un Robert Morris (façon “L-Beams”, 1965) qui serpente en angles le long et au dessus des personnages ? La réalité, le réel, des choses dures contre lesquelles on ne peut pas venir se frotter sans y laisser des traces.