Caillebotte fait partie de ces peintres qui dépictaient ce qu’ils voulaient, comme il le voulait. Ce tableau n’a jamais été montré du vivant de l’artiste. Très certainement qu’il eut soulevé un retentissant scandale, une émeute, un saccage. Bien sûr que déjà, et avant, par exemple en 1863, Le Déjeuner sur l’Herbe a fait scandale, mais, au moins, il a été exposé. Ce qui, encore une fois, ne fut pas le cas du tableau ci-dessous. On se souvient que dans le Déjeuner, Victorine Meurent, modèle bien connu des peintres, est de profil, assise, la jambe droite pliée verticalement avec le bras droit plié, cachant en partie le sens. Nul téton ni toison. Tandis que chez Gustave…
Ce tableau est exposé dans une salle du Minneapolis Institute of Arts. Je ne serais pas étonné qu’un jour quelqu’un vienne se plaindre du caractère “pornographique” et “pédophile” de celui-ci. Je ne pense pas ces adjectifs, je les prête, et c’est bien pour cela que je les ai encadrés de guillemets anglais, indiquant la suspicion, le doute, ou encore la possibilité. Mais enfin, cette fille, quel âge a-t-elle ? Ce ne semble pas encore un corps de femme fait, non ? Mais, en sus, serait-elle enceinte ? Mais rapprochons-nous :
Comme d’habitude, on se demande : Comment est-ce peint ? (on se rappelle qu’une question implique le verbe avant le sujet). En 2022, cela tient toujours, tenir dans le sens moderne, contemporain, tout ce que vous voulez. 1880. Regardez ce visage
C’est quand même incroyable.
J’ai bien conscience qu’en se rapprochant ainsi, on risque d’être choqué, mais rappelons que les dimensions du tableau sont quasiment grandeur nature, et que ce visage, il ne faut pas une loupe pour le découvrir tel. Pourquoi Caillebotte dépicte-t-il ainsi le visage ? Je trouve ça… je ne sais pas… aberrant. Que se passe-t-il, dans la tête d’un artiste, en 1880, pour peindre comme ça ? Il faudrait procéder à une enquête cognitivo-sociologique… Quelque chose de ce genre. Cette façon de peindre est tellement incroyable que l’on pourrait avoir envie de comparer avec d’autres, non pas les modernistes, tels Renoir, Monet, Manet, mais d’autres, moins connus et plus académiques ; par exemple Jules Bastien-Lepage. Prenons un détail de son tableau “Les foins”, 1877
Bastien-Lepage respecte le canon classique, rien à dire, c’est lisse, bosselé comme il faut, pommettes, pli palpébral et paupière supérieure et chevelure OK. Mais bon !, à part ça, rien de neuf ; que du vieux depuis Ingres. Tout cela est éteint. La Notice électronique du Musée d’Orsay nous dit pourtant que « Bastien-Lepage doit ce succès à un oeuvre [sic] personnel, reflet d’un remarquable esprit de synthèse puisque si l’on y sent l’influence de sa formation, on y trouve aussi de multiples références aux mouvements les plus novateurs. Dès les années 1870, Bastien-Lepage a surtout réconcilié le réalisme paysan et la grande tradition, non sans éclairer sa palette et dynamiser ses cadrages à la manière du jeune impressionnisme.» L’impressionnisme ? Avant de briser-là, signalons un “Autoportrait” de 1880 qui n’a rien mais rien à voir avec l’Impressionnisme. Passons. Revenons à l’ami Gustave et rapprochons-nous de ce corps :
À un moment, il faut qualifier. On peut se tromper, mais ça aide tout de même à avancer des pions. Donc : peinture irradiante. À un point tel que la peinture circule sur le corps, se percutant par ondoiements chromatiques, car que de variations tonales sur ce corps ! Le modèle, apprend-on, allait devenir la go de Gustave, et on peut donc alors supputer que cette impudeur éclatante 1880 (!) explicite cette intime confiance et relation.
On le constate ; le bas, disons, la jambe gauche, est traitée différemment du haut (F.1). Les touches sont là davantage concentriques, en arc-de-cercle. Sans plus attendre, le lieu du désir, la motte (ou devrait-on écrire… l’âme-ôte ?) :
Que gagnons-nous avec ce gros plan sur la touffe ? Eh bien, à quelques centimètres près, elle constitue le centre du tableau. J’exagère, bien sûr, mais, que ce mont de Vénus ne se trouve pas au centre du tableau n’empêche nullement que cette pièce du désir s’y trouve tout de même. Voyez ? Et remarquez comme les motifs du tissu s’affolent à proximité :
La matière affolée par le temple de la chair…
On lit souvent, trop souvent, que Caillebotte fut un peintre impressionniste. Tout cela ne ressortit qu’à de la paresse intellectuelle. Non. Ce qu’il faudrait, c’est se rapprocher de chacun de ces héros, tenter de pénétrer le parcours de la main et du cerveau. Pour cela, il nous reste la fiction objective.
Léon Mychkine
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